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La christité
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  • Ce blog contient les conférences et sessions animées par Jean-Marie Martin. Prêtre, théologien et philosophe, il connaît en profondeur les œuvres de saint Jean, de saint Paul et des gnostiques chrétiens du IIe siècle qu’il a passé sa vie à méditer.
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6 février 2020

Partie 3 de "Jean 4, La Samaritaine et Cie", commentaire des v.28-42 fait par J Pierron à St Merry

Voici la fin du commentaire de la rencontre de Jésus avec la Samaritaine. On a ici plusieurs dialogues entre Jésus et ses disciples, la femme samaritaine et même les Samaritains. Au début on a le thème de la nourriture puis celui de la moisson… Et comme toujours Joseph Pierron fait le lien avec nous aujourd'hui.

La présentation de l'ensemble figure dans le 1er message. Ceci est la transcription d'une série de cours qui n'a pas été relue par Joseph Pierron, il peut y avoir des erreurs. Comme l'ensemble était copieux, il a été divisé en trois messages :

 

Troisième partie

Jésus, ses disciples, la femme et les Samaritains (Jn 4, 28-42)

Par Joseph Pierron

 

retour des disciples, Berna Lopez1) Versets 27-30: épisode de transition.

 

Nous avons vu les disciples partir faire les courses au verset 8, ensuite la Samaritaine est arrivée et un long dialogue s'est instauré avec le thème de l'eau et de la soif, le thème du mari, le thème de l'adoration et du culte...

 

27Et là-dessus ses disciples vinrent et ils sont dans l'étonnement : il parle avec une femme. Mais cependant personne ne dit : "Que cherches-tu ou qu'est-ce que tu as à parler avec elle ?"

28La femme laissa donc sa jarre et s'en alla vers la ville ; elle dit aux hommes : 29"Venez, voyez l'homme qui m'a dit tout ce que j'ai fait, est-ce que ce ne serait pas la Messie ?" 30Ils sortirent de la ville et vinrent auprès de lui.

 

Jn 4, mosaïque st Marc à Venise, détail

Ce sont quatre versets de transition. Certains disent qu'ils n'ont aucun intérêt, que ce sont des trucs de remplissage. Personnellement je pense qu'ils ont un rôle important.

Avant de les commenter je vais vous parler du caractère distributeur de ce chapitre. Il n'y a pas seulement des déplacements locaux mais une sorte de balancement, une sorte de va-et-vient où les paroles du Christ sont des gestes, et ses gestes sont parlants.

 

Quand on lit un texte comme celui-là, il faut le lire toujours dans l'espace même du texte, dans son mouvement.

Première donnée. La femme se situe toujours dans un rôle qui est fondamental du point de la lecture, c'est ce que Jésus dit à la Madeleine : « Va dire à tes frères » (Jn 20). Le texte va donc avoir le rôle répartiteur d'une présence et d'une absence : la Samaritaine s'en va annoncer aux hommes de sa ville juste après que les disciples soient revenus.

Deuxième donnée. Dès les points de départ on a la thématique de l'eau, et aussi dès le début la thématique du pain puisque les disciples sont allés acheter des nourritures. En effet ce qui est d'abord noté, ce n'est pas le fait d'envoyer une douzaine de personnes faire des courses pour acheter à manger, mais ce qui est noté c'est l'opposition entre l'eau et la nourriture. Il y a une répartition entre le don inouï qui est représenté par l'eau et une autre donnée à propos de la nourriture qui apparaît au verset 34 : « faire la volonté de celui qui m'a envoyé » donc une répartition entre le don inouï et l'entrée dans la volonté du Père.

Troisième donnée. On a vu qu'il y a la thématique de l'eau et la thématique du pain et donc la répartition entre le boire et le manger. Déjà au chapitre 2 des Noces de Cana, l'eau de la purification devient le vin et ce sera lié au symbolisme du sang ; puis dans notre chapitre on va voir apparaître le blé et la moisson ; et au chapitre 6 on verra apparaître le pain et le corps. C'est donc une orientation dans la symbolique de Jean, une symbolique qui va en s'amplifiant et en visant autre chose.

Quatrième donnée. Il y a une répartition entre ce qui est provisoire et ce qui est eschatologique, c'est-à-dire entre ce qui est de la vie courante et qui est provisoire, et puis ce qui est définitif.

Enfin il reste une question qui est la recherche de l'unité du texte. Ce texte ne correspond pas à notre logique. Il est parti du thème de l'eau et de la soif, puis est passé au thème du mari, ensuite au thème de l'adoration et du culte puis on va passer au thème de la moisson… Reste toujours en pointillé : qu'est-ce qui fait l'unité de ce discours ? En tout cas on est dans une autre logique que celle de la démonstration. Cette logique est tirée de ce qui est le plus originel, de ce qui est le plus sourciel, de ce qui va s'instaurer et qui va régner. Aussi bien dans l'évangile de Jean que dans l'évangile de Marc, la grande question c'est : “qui règne, quel est ce règne et où est-il ?” Et donc sous-jacent : quelle est cette royauté, de quel type est ce pouvoir ? C'est une question fondamentale qui supporte ces différents épisodes.

 

Au verset 27, pour faire venir les hommes de la ville, la femme dit « il m'a dit tout ce que j'ai fait ». Est-ce une indication purement anecdotique ? Non. Il s'agit d'une parole qui révèle la femme à elle-même. Cette parole détecte le manque qu'il y a en moi. Quand la femme dit « il m'a dit tout ce que j'ai fait », ce n'est pas du dépit, ce n'est pas une mauvaise constatation, c'est la détection d'un manque. Or la détection d'un manque est déjà la détection du plein. Quand je commence à découvrir un manque, c'est que la marche vers la plénitude est commencée.

 

3) Versets 31-34 : "Ma nourriture".

Dans l'entre-deux les disciples l'interrogeaient en disant : "Rabbi mange". (v. 31).

Vous remarquez que Jean utilise le verbe "interroger" à propos de ce qu'ils disent qui est : « Rabbi, mange ». Le verbe erótaó est celui qui est utilisé pour désigner l'interrogation socratique. Par l'interrogation Socrate essaie de susciter l'étonnement pour pousser plus loin la question. Dans l'évangile de Jean il ne s'agit pas de l'ironie socratique, mais il s'agit de la suite de l'étonnement qui est clairement racontée au verset 27 : ses disciples étaient dans l'étonnement parce qu'il parlait avec une femme. Donc pour les disciples il s'agit de tourner autour de cet étonnement, et ils disent simplement « Rabbi, mange. »

 

Il leur dit : J'ai à manger une nourriture que vous ne savez pas". (v. 32).

Il s'agit de manger et donc d'ingérer c'est-à-dire de s'approprier. Et chez Jean, c'est l'extrême du toucher.

En effet il y a une progression, ce qui est premier c'est entendre, donc être tourné vers ce que je ne connais pas (vers l'insu) pour l'accueillir. Ensuite l'entendre donne le voir qui est croire, donc un voir qui n'est pas de l'ordre de la vision humaine, c'est lié au visible. Le troisième c'est le toucher, ce qui n'est possible que dans l'eschatologie comme le dit Jésus à la Madeleine : « Ne me touche pas ». Or l'extrême du toucher c'est manger. Il faut en effet que l'élément propre – ce que je suis au plus profond de moi-même – soit souligné dans l'acte de foi de même que dans l'acte de révélation du Christ.

Le mot qui est traduit par "nourriture" est en fait le mot brôsin qui signifie une manducation et non pas la nourriture elle-même qui serait tropha comme au verset 8. Peut-être que Jean a choisi ce mot-là pour indiquer l'acte de se nourrir et non pas l'aliment en lui-même. On retrouvera brôsin au chapitre 6 de la multiplication des pains aux versets 27 et 55.

Cette formule de Jésus « j'ai une manducation à manger » signifie : qu'est-ce qui me fait tenir, qu'est-ce qui me fait vivre, qu'est-ce qui me constitue, qu'est-ce qui me maintient ? Ce n'est pas de manger les aliments que vous m'apportez, j'ai une autre nourriture que vous ne connaissez pas.

Ce qui est surtout souligné ici c'est le « vous ne savez pas », donc c'est l'insu, là d'où vient l'éclaircie.

 

Alors les disciples se disent entre eux : "Est-ce que quelqu'un lui a apporté à manger ?" (v. 33).

Cette phrase est là pour signaler la différence de plan, souligner qu'ils sont dans la méprise. Les disciples qui n'ont pas encore atteint la foi en la résurrection ne peuvent que se méprendre. Ils sont à la fois dans la différence qu'ils ne saisissent pas, et dans un différend c'est-à-dire de l'ordre du débat et du combat.

Et ceci est une caractéristique de la vérité chez saint Jean : la vérité n'est pas de l'ordre d'une proposition, elle est de l'ordre de ce qui est débattu, donc de ce qui est combattu… La vérité est dans l'événement qui advient, dans l'être qui advient. La vérité est donc dans l'être même de Dieu tel qu'il advient en lui-même. La vérité advient entre Dieu et l'homme qu'il a choisi, donc la vérité est de l'ordre du dévoilement, et celui-ci n'est pas de l'ordre du savoir mais au contraire de l'ordre de l'insu.

 

Jésus leur dit : "Ma nourriture est que je fasse la volonté de celui qui m'a envoyé, et que j'accomplisse son œuvre". (v. 34).

Ici nous avons le mot "volonté" qui est difficile pour nous. Il est terriblement marqué dans la pensée occidentale où joue la distinction entre l'intelligence et la volonté, c'est-à-dire qu'on distingue la région du connaître et la région du faire…

Pourtant, dans la pensée sémitique, le mot "volonté" est un mot décisif. Il indique le moment du secret, le moment de la semence. Il y a un "je veux" qui est semé en chaque homme. Et comme on le voit dans le chapitre 7 de l'épître aux Romains, on distingue le "je veux" et le "je fais". C'est une distinction fondamentale entre le moment du secret (du semé, du non-dévoilé) et ce qui doit advenir, ce que je dois faire mais que je ne peux pas faire par moi-même. La semence c'est aussi le nom secret qui est là pour tout homme, mais il faut que ce nom soit réalisé. Ce qui nous est demandé, c'est d'inventer une vie qui soit propre à chacun d'entre nous, qui ne soit pas quelque chose de l'ordre du banal et de l'usé. Et comme l'homme ne peut pas réaliser cela tout seul puisqu'il n'est pas au niveau de Dieu, donc il est obligé de recevoir le salut. Et ce qui est dévoilé c'est qu'on ne se sauve pas par soi-même, mais qu'on doit se laisser sauver.

 

4) Versets 35-38. La moisson.

Brutalement le discours semble s'interrompre pour repartir sur un autre thème. En fait il revient à la base de ce qu'on vient de dire, c'est-à-dire que quelque chose est semé et quelque chose doit être moissonné. Il revient donc sur la condition même de l'homme : qu'en est-il de l'homme ? Il est entre semaille et moisson.

 

Ne dites-vous pas : "Encore quatre mois et la moisson vient" ? Voici, je vous le dis : "Levez vos yeux et considérez les champs, déjà ils sont blancs, prêts pour la moisson. (v. 35).

Il faut savoir que la semaille se faisait fin octobre et la moisson début avril, donc entre les deux il y a six mois. Ici on est quatre mois avant la moisson.

Et il leur dit « levez vos yeux », c'est une formule qu'on retrouve en Jn 6,5, une formule de révélation.

Il leur dit : ne tenez pas compte de vos calculs humains, ne considérez pas vos six mois ou quatre mois, mais levez les yeux, c'est-à-dire essayez de comprendre ce que je suis en train de faire, essayez de le contempler, de le méditer. Si vous en êtes capables, levez les yeux, changez complètement de regard, ayez déjà le regard ultime, le regard sourciel, celui qui vous permet de voir. Dès le moment où la parole de Dieu a été semée, la moisson était déjà là. Regardez, c'est déjà la résurrection, c'est déjà le rassemblement en moi.

Jésus affirme qu'il est lui-même le dévoilement total de la révélation. C'est lui qui est le "je viens" eschatologique. C'est on lui qu'il peut y avoir identité de la semaille et de la moisson, qu'on ne peut plus distinguer les deux. Dès la première parole « Lumière soit » le Christ est déjà semé, et il y a un moment où on ne peut plus distinguer semaille et moisson.

Il y a identité de la mort et de la résurrection, et symboliquement il y a identité de la fatigue et de la joie – on l'avait vu fatigué au bord du puits, et il était même le Dieu assoiffé.

On est dans le lieu le plus sourciel, à savoir le lieu où un Dieu peine, où Dieu a soif parce qu'il vient chercher l'homme. On est au sommet de la révélation, et c'est pour ça que Jean introduit le thème des semailles et de la moisson.

 

moisson de louangeLe moissonneur reçoit salaire et rassemble le fruit pour la vie éternelle, si bien que le semeur se réjouit en même temps que le moissonneur (v. 36).

« Le moissonneur reçoit le salaire » est une phrase en suspens car pour Jean le salaire n'est pas ce qui sauve, le salaire n'est pas ce qui donne la vie. Il faut donc lire la suite pour comprendre.

C'est là qu'on a la grande définition de Jésus Christ : il est simplement celui qui rassemble le fruit pour la vie éternelle. Évidemment il rassemble tous les hommes qui sont des dispersés, il les réunit dans la seule filiation du Christ. C'est pour la Vie qu'il les rassemble, la Vie qui est continuellement neuve et continuellement nouvelle de sorte que celui qui sème se réjouisse en même temps que celui qui moissonne. C'est lui qui est totalement présent au cœur de l'aventure. Quand saint Jean écrit cela il est en train d'interpréter ce qui s'est passé lors de la mort-résurrection, à savoir qu'il n'y a plus des individus dispersés, il n'y a que la totalité du Christ qui rassemble tout ce qui est du propre de chacun. C'est là où on : on a une révélation qui se manifeste, une vérité qui se dévoile, cependant elle ne se dévoile pas dans une proposition, elle se dévoile dans un homme qui advient dans le temps. Et cette vérité-là se vit, s'exprime d'abord dans le déchiffrement de son propre temps qui n'est pas le temps chronologique usuel.

En effet, nous distinguons entre celui qui sème et celui qui moissonne, et pour nous cela renvoie à deux événements dont l'un est la condition de l'autre. Le verset 36 semble dire autre chose puisqu'il parle de simultanéité. Derrière ce qu'il dit la question est posée pour moi de savoir quelle est de la toute première distinction qui peut soutenir ma recherche. Je sais qu'il va y avoir la Passion, et suivra la Résurrection, mais en disant cela je me situe dans un courant qui met un développement chronologique entre passion et résurrection. Ce mode de pensée est typique de l'Occident, il nous est commun. Or cette distinction est peut-être complètement fausse. En effet Passion et Résurrection ne sont pas deux événements différents, c'est le même événement sous deux modalités différentes.

 

moisson, Citeaux enluminure 3Car en ceci la parole est vraie : "autre le semeur, autre le moissonneur". (v. 37).

Avec les versets 36 et 37 vous avez le cas typique de deux phrases qui se contredisent. Celui qui sème et celui qui moissonne sont autre et autre (v. 37), pourtant ce ne sont pas deux différents puisque c'est le même sous deux modalités différentes (v. 36).

Ici se trouve posé un problème de la vérité chrétienne, elle est de maintenir des adverses, de maintenir ce qui est apparemment des opposés pour pouvoir approcher de la vérité.

je n'ai pas besoin de chercher si le semeur ce sont les prophètes ou les psalmistes ou Jésus… et ceux qui récoltent ce serait alors nous, ça c'est une mauvaise façon d'aborder la question.

 

Je vous ai envoyés moissonner ce pour quoi vous n'avez pas peiné. D'autres ont peiné et vous vous êtes entrés dans leur peine". (v. 38).

Ce qui caractérise le semeur c'est donc "la peine" (ou "la fatigue", c'est le même mot en grec), et ce qui caractérise le moissonneur, c'est la joie comme il est dit au verset 36. Or il est dit au verset 6 que lorsque Jésus s'assoit au bord du puits, "il est fatigué" ("il est dans la peine"). L'auteur est ainsi obligé de définir ce qu'il en est du Christ : il est à la fois le semeur et le moissonneur. Dans toute la révélation et dans le Christ, semeur et moissonneur sont le même mais sous des modalités différentes.

Jésus prie au jardin des oliviers, Salomon Raj (Inde)Comment cela transparait-il dans les évangiles ?

– Dans les Synoptiques on a deux textes pour approcher le mystère de Jésus, deux textes qui sont mis en abyme, à savoir Gethsémani (« …il commença à éprouver de la frayeur et des angoisses. 34Il leur dit: Mon âme est triste jusqu'à la mort…» Mc 14, 33-34) et le grand cri sur la croix (« Vers la neuvième heure Jésus clama en un grand cri : " Éli, Éli, lema sabachtani ?", c'est-à-dire : "Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ?"» Mt 27, 46 ; Mc 15, 34).

– Ces deux épisodes n'apparaissent pas tels quels dans l'évangile de Jean. En fait ils sont mis ailleurs pour qu'au travers du récit de la Passion apparaisse la Résurrection. L'auteur ne veut pas faire du récit de la Passion un récit de souffrance, si bien qu'il fait en sorte que le parcours de la Passion soit marqué par la Résurrection. Cependant il maintient quand même l'aspect déréliction au chapitre 12. C'est au moment où des juifs demandent à Philippe de les conduire vers Jésus (v. 21) et le Christ a une parole de révélation, il dit : « 23L'heure est venue où le Fils de l'homme doit être glorifié », il s'arrête et puis « 27maintenant mon âme entre en turbulence – c'est-à-dire je ne sais plus où je vais – Et que dirais-je?... Père, délivre-moi de cette heure?... Mais c'est pour cela que je suis venu jusqu'à cette heure. » Vous avez là l'équivalent de la scène de l'agonie : le Christ arrive au bout, il n'y a plus de discours à faire, il n'y a pas de réponse à donner, sinon de faire le passage. C'est à ce moment-là, dans l'évangile de Jean qu'est maintenu l'aspect adverse de ce qu'est la résurrection.

 

Ainsi, dans ce qui est la destination du Christ et de tout homme, il y a d'une part ce qui est dans la peine (dans l'effort, dans la recherche) et d'autre part ce qui est de l'ordre de la moisson (de la récolte), mais ni l'un ni l'autre ne relève de la décision de l'homme, cela ne relève pas pour autant de l'arbitraire de Dieu qui en sauverait quelques-uns, ça relève de la volonté (du désir) de Dieu.

Pour éclairer ce thème de la semence et de la moisson, et indiquer ce qu'est "la volonté (le désir) de Dieu", nous allons prendre trois textes.

 

Le premier texte est dans Paul, 1 Cor 15, 37-38. La question que se posent les Corinthiens c'est : on veut bien encore croire à la résurrection, la nôtre, mais comment ressuscite-t-on ? Et Paul répond : « Toi tu sèmes un grain (de blé ou autre), mais l'évolution du grain est indépendante de ta volonté. Tu sèmes un grain nu, donc ce que tu sèmes est de l'ordre de la mêmeté, de la répétition, ce qui ne donne aucune nouveauté – et c'est Dieu qui lui donne le corps selon qu'il l'a voulu – cela ne veut pas dire que Dieu fait cette donation arbitrairement et n'importe comment, en ayant acception des personnes, mais qu'il la fait "selon sa volonté" c'est-à-dire selon son désir, selon sa visée, selon sa destination. – et Dieu donne à chacune des semences son propre corps – mais n'essayez pas de deviner ce que l'un va devenir et ce que l'autre va devenir. Quand Dieu sème, il sème quelqu'un qui n'est pas comparable à d'autres. Il sème un tel, un tel et un tel avec pour chacun sa destination propre, et la résurrection se fait selon cette destination. C'est ce qui est semé en vous qui va s'épanouir et se révéler. Donc la volonté dont il s'agit c'est la destination, l'orientation, le désir que Dieu a pour tous et pour chacun. Et ce que Paul dit c'est que le plus propre, le plus singulier en tout homme n'est pas quelque chose que l'homme produit, c'est ce que Dieu désire pour lui et qui n'appartient pas à un autre. Ainsi ce qui me fonde, ce qui me maintient, ce qui me tient dans la maintenance, ce qui me tient tout en étant dans la distance des autres, ce qui me tient dans la constance et qui fait que je reste le même, ce ne sont pas mes perfections, ce ne sont pas mes qualités, ce n'est pas l'image que je me fais de moi, mais c'est le désir de Dieu qui veut se manifester en moi. C'est ce que Jésus dira sous une autre forme : « Je suis avec vous ». Tout cela donne une autre vision de l'altérité : l'altérité telle qu'on la comprend l'Évangile n'est pas celle que nous voyons au travers des études psychologiques d'aujourd'hui.

Dans notre texte Jésus dit « je vous ai envoyés moissonner ce pourquoi vous n'avez pas peiné, d'autres ont peiné et vous marchez vers leur peine » (v. 38). Ce qui crée l'altérité c'est d'être ouvert pour, d'être semé pour, d'être envoyé pour. La destination est un envoi, l'envoi étant un concept majeur de saint Jean.

 

Le deuxième texte est en Marc 4, en particulier les versets 26-29, c'est la parabole de la semence répandue. Celui qui a semé est allé dormir et voici que l'herbe croît, dans le silence et dans le mystère, ça se fait automatiquement.

De même l'homme ne sait même pas qu'on l'a ensemencé – ou alors s'il le sait c'est que ça lui a été révélé – et que ce qui a été semé en lui se met en marche de son propre mouvement, dans la mesure même où la parole de révélation est accueillie. Donc la semence qui est la parole de Dieu se met en mouvement et correspond à celui qui est ensemencé.

 

Le troisième texte est Jn 12, 24-25 où on a la fameuse formule : « 24Si le grain ne tombe en terre et ne meurt, il reste seul, mais s'il meurt, il porte beaucoup de fruit. » Dans ce texte, semence et moisson ne sont plus celles de notre chapitre 4. Il ne s'agit plus de certains qui seraient les semeurs comme étaient les prophètes et d'autres qui seraient les moissonneurs comme seraient les chrétiens. Il s'agit du seul et unique Christ, celui qui est semé dans la mort et qui ressuscite, celui qui passe par la mort et qui est dans la résurrection. C'est ce qui adviendra au chrétien dans la mesure même où il a la foi. Il acceptera de ne plus avoir de sens par lui-même. « 25Celui qui aime sa propre vie (qui s'aime soi-même), celui-là se perd, alors que celui qui se hait en ce monde, qui ne tient pas compte de son propre désir mais qui tient compte de la volonté de Dieu, celui-là la conserve la vie éternelle. »

Donc la foi se recueille d'abord dans l'événement de la mort et de la résurrection du Christ et ça se réalise dans la personne même du Christ qui, en lui-même, sème et moissonne. C'est là ce qui se produit aussi pour chacun des croyants dans la mesure même où il naît à partir de la parole de l'autre, dans la mesure même où il ne vit pas par sa propre pensée, par ses propres désirs mais où il se repose sur l'événement du Christ, et où il fructifie à partir de la parole qui est celle du Christ.

 

Ce qu'on perçoit au travers de notre texte, c'est de savoir qui domine, qui règne. Ce qui règne c'est le désir de Dieu en tant qu'il est accepté. Sans le désir de Dieu qui est manifesté dans le Christ, on ne peut rien faire….

La destination est un concept majeur de notre texte, elle est éclairée par le rapport de la graine et du fruit, par leur distance et leur différence. Il y a non pas une destinée mais une destination ; non pas un destin mais une présence du désir de Dieu.

Le sens dans lequel chacun de nous va vivre sera caractérisé tout à la fois par le temps de la fatigue et le temps de la joie. Dans l'acte même de la foi, là où se rend présente la résurrection, il y a la capacité de vivre dans la fatigue, et par ailleurs là où est présente la fatigue, il y a la capacité de vivre dans la joie. C'est le temps, l'unique temps du « Donne-moi à boire », c'est le temps du « J'ai soif » et de la Croix, c'est le temps de la transition vers une destination.

 

 

5) Versets 39-42 : dialogue de Jésus avec la femme et les Samaritains

les Samaritains viennent à JésusDe cette ville beaucoup crurent en lui parmi les Samaritains à cause de la parole de la femme "qui avait cette marturia" disant : "Il m'a dit tout ce que j'ai fait".(v. 39).

Le mot marturia ne signifie pas "témoignage" mais "ce qui permet de vivre, ce qui remet en route, c'est le fait d'avoir retrouvé l'orientation.

On a le mot "beaucoup" (beaucoup crurent en lui) qui est un des noms de la moisson, et nous le retrouverons au verset 41. On voit qu'il rassemble, c'est son rôle, et la femme qui était seule peut devenir une ville.

On a ici la répétition de la phrase du verset 29 : « Il m'a dit tout ce que j'ai fait ».

 

Donc comme les Samaritains venaient vers lui, ils lui demandèrent de demeurer chez eux et il demeura là deux jours. (v. 40).

Ils restent deux jours. Pourquoi deux ? Vous savez que dans l'évangile de Jean en particulier et très souvent dans la pensée antique, les chiffres ne sont pas considérés d'abord par la quantité. Quand on utilise un nombre, c'est qu'il y a déjà une signification, une relation.

Ce qu'on peut dire du deux c'est qu'il n'est jamais le plein et, comme le disait les Grecs, le deux est la matrice de la multiplicité, avec le on peut combiner une indéfinité de façons d'être ensemble.

Jésus reste deux jours, c'est-à-dire que commence à s'instaurer le dialogue, cependant ils ne sont pas encore mûrs pour la moisson.

Cette mention des Samaritains indique qu'un travail est fait qui est l'ouverture vers l'universel. Ceux qui sont appelés ne sont plus des Judéens, ce ne sont même pas des Galiléens, mais ce sont des Samaritains.

 

Samaritains-Jésus, Moïse fait jaillir eau du rocher41Et beaucoup plus nombreux, ils crurent, à cause de sa parole 42et ils disaient à la femme : "Ça n'est plus à cause de ton bavardage que nous croyons mais nous-mêmes nous avons entendu (nous avons eu l'oreille assez pointue) et nous savons que celui-ci est vraiment le Sauveur du monde". (v. 41-42).

Ils vont devenir rapidement plus nombreux à croire à cause de sa parole à lui : « nous avons entendu » ce qui est la définition même de la foi. La foi ce n'est pas de savoir en ayant une idée sur, mais c'est d'entendre.

Ils ajoutent « nous savons » or en grec, dire "je sais" c'est la même chose que de dire "je vois", c'est la même racine verbale. Donc ils entendent et ils voient, c'est l'acte complet de foi.

Ce qu'ils voient (ce qu'ils savent) c'est qu'il est "le Sauveur du monde". C'est donc le dernier titre donné au Christ dans ce chapitre. Du fait même, c'est le titre le plus élevé, celui qui approche le plus du mystère. Or "Sauveur", c'est le nom même de Jésus puisque Jésus en hébreu c'est un diminutif de Yéhoshoua qui veut dire "Yahvé sauve" (Dieu sauve). Donc c'est la personne même de Jésus qui sert de processus d'identification. Il n'y a plus référence à l'Ancien Testament, à la tradition des Pères, il y a identification et dévoilement de ce qui est dernier. Le nom propre de Jésus est ce qui est dévoilé, c'est le sens de l'Évangile. La foi n'a pas son achèvement dans des formules, elle ne peut avoir son être accompli qu'en Dieu lui-même en tant qu'il se révèle. Dieu intervient comme épiphanie, et ce qui nous est demandé c'est d'essayer d'écouter, d'entendre.

 

Le mot "sauveur" a évidemment aussi un sens pour lui-même. Mais n'allez pas vous imaginer que Jésus est celui qui repêche. Il n'est pas celui qui restaure, il n'est pas celui qui ravaude, il n'est pas celui qui répare. Il n'y a pas de garagiste là-dedans, non ! Il est celui qui tient le sceau, celui qui garde et  qui sauvegarde, celui qui donne la pleine vérité à ce qu'elle est.

Ce qui est dit c'est non seulement "sauveur" mais « sauveur du monde », autrement dit, tous et chacun seront saufs.

 

Après ces deux jours il s'en alla de là vers la Galilée. En effet Jésus lui-même a témoigné qu'un prophète n'a pas d'honneur dans sa propre patrie. (v. 43).

Donc il repart vers son propre domaine. Alors que Jérusalem est le lieu de la manifestation et de l'apparition, la Galilée est son lieu à lui. Mais le lieu du Père n'est même plus en Galilée.

« Un prophète n'a pas d'honneur dans sa propre patrie », je pense que dans cette phrase, l'accent est mis sur « sa propre patrie ». Aller en Galilée c'est toujours monter vers un certain épanouissement, c'est monter vers la vie ; mais ici le déplacement va être énorme parce que le lieu de la patrie va être le lieu de l'abandon du Père.

Il dit qu'un prophète n'a pas d'honneur dans sa propre patrie, mais il ne faudrait pas prendre ce verset comme une condamnation des Galiléens. En effet les Galiléens vont l'accueillir, le problème sera celui du sens de l'accueil.

On ne peut rencontrer le Père que dans le Fils, donc en sortant du territoire. Le lien qui se fait avec le Père a donc lieu dans un autre contexte, dans une autre démarche. C'est là le problème de la foi.

Le déplacement va être énorme parce qu'il sera lié à la Passion du Fils. Ce qu'il en est du Christ, c'est qu'il ne peut trouver son Père que dans une distance qu'il doit créer.

Dans le prologue il est dit « il est venu chez les siens et les siens ne l'ont pas reçu » (Jn 1, 11) et on a tendance à l'interpréter en disant qu'il est venu chez les juifs et que les juifs ne l'ont pas reçu. Je ne pense pas que ce soit le sens. Ici "les siens" c'est aussi bien ses disciples, c'est aussi bien nous. Nous n'avons jamais fini de le reconnaître. Ce qui est le propre du Christ n'est pas encore vraiment dévoilé.

Le thème de "sa propre partie" nous concerne, nous aussi. Où se fait authentiquement la rencontre du Christ ?

 

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