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La christité
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  • Ce blog contient les conférences et sessions animées par Jean-Marie Martin. Prêtre, théologien et philosophe, il connaît en profondeur les œuvres de saint Jean, de saint Paul et des gnostiques chrétiens du IIe siècle qu’il a passé sa vie à méditer.
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1 avril 2017

SIGNE de la CROIX. Chapitre VII. La crucifixion en Jean 18-19 et 1Jn 5 ; paroles de fin de retraite

Lors du dernier jour de la retraite de sept jours animée par Jean-Marie Martin sur le thème "signe de la croix, signe de la foi", la rencontre du matin a porté sur la crucifixion en saint Jean avec surtout les lectures de Jean 19, 28-37 (la crucifixion récitée comme intronisation royale) et 1 Jean 5, 5-10 (qui parle des trois fluides eau, sang et pneuma). L'après-midi de ce dernier jour a été consacré à un tour de table.  Ce sont des paroles très personnelles que partagent les participants qui disent ce qu'ils ont entendu, du lieu où ils sont. C'est un exercice important en fin de retraite ou de session, car il oblige à un effort pour garder en mémoire ce qui a bougé en eux et ce qui reste comme chemin ouvert à parcourir. Nous avons gardé une assez grande partie de ce travail.

 

Chapitre VII

La crucifixion ; paroles de fin de retraite

 

Voilà notre dernier matin de méditation commune. Cette méditation du signe qu'est la croix culmine dans la scène même de la crucifixion. Elle se trouve en saint Jean au chapitre 19, particulièrement les versets 28 à 37.

Cependant, dans un premier temps je vais situer cet épisode dans l'ensemble de la Passion de Jésus. Nous prendrons ensuite l'étude de ces versets dans un deuxième temps, et enfin nous aborderons une relecture que saint Jean lui-même fait de certains éléments de cet épisode, au chapitre 5 de sa première lettre.

 

I – La crucifixion en saint Jean

 

1) La Passion comme intronisation royale du Christ.

La Passion du Christ est comme un genre littéraire commun qui a une certaine autonomie et qui se retrouve dans les quatre évangiles. Bien sûr ce genre commun aux quatre est cependant traité dans une visée différente, ou un souci différent, par chacun des évangélistes. Cela se manifeste par le choix préférentiel de tel ou tel épisode qui est présent dans l'un, pas dans l'autre, et surtout par la visée, par ce qui porte l'ensemble du texte.

Pour dire les choses immédiatement de façon paradoxale, le récit de la Passion en saint Jean est en fait le récit de l'intronisation royale du Christ, c'est-à-dire qu'il y a méprise, on se méprend sur ce qui se passe. Il y a ce qu'on voit ou croit voir, et ce qu'il en est.

●   L'indication en Jean 10.

En faisant cela Jean est conforme à ce qu'il a indiqué dans les deux petits versets qui se trouvent au chapitre 10, auxquels nous avons fait allusion à plusieurs reprises : « Ma vie, personne ne la prend, je la donne. J'ai reçu du Père le pouvoir de la donner et de la recevoir. » (v. 18-19) C'est dans le moment même de l'humiliation que se célèbre la gloire. C'est dans le moment même de la mort que triomphe la vie et que se manifeste la royauté du roi Messie.

●   Le mot de Caïphe en Jean 11.

Sur cette multiple méprise, il y a longtemps aussi que saint Jean nous a prévenus : à la fin du chapitre 11, un mot de Caïphe montre que, dans le moment où on veut faire taire Jésus (donc la Parole), c'est le moment où ça parle car sans le savoir Caïphe témoigne.

Jésus devant CaïpheNous lisons au chapitre 11, à la fin de l'épisode de la résurrection de Lazare, un conciliabule entre les grands prêtres pour savoir ce qu'il faudrait faire de Jésus qui devient de plus en plus gênant : « 49Or l'un d'entre eux, Caïphe, étant grand prêtre de cette année-là, dit : ‘‘Vous ne savez rien, 50ne calculez-vous pas qu'il vous est bon qu'un seul homme meure pour tout le peuple et que toute la nation ne périsse pas’’. » Sacrifier un innocent pour éviter le désordre de la nation, c'est un calcul politique sordide, c'est une parole d'une grande banalité politique. Seulement saint Jean ne l'entend pas comme cela. Bien sûr c'est ce que veut dire Caïphe, mais ça dit autre chose. En fait, il ne sait pas ce qu'il dit. Jean poursuit : « 51Il dit cela non pas de lui-même, mais étant grand prêtre de cette année-là, il prophétisa que Jésus devait mourir pour le peuple, 52mais non pour le peuple seulement, mais en sorte que les enfants de Dieu dispersés (ta dieskorpisména : les déchirés) il les rassemble (synagagê) pour être un. » C'est tout le mystère christique.

●   Le mot de Pilate en Jean 18.

Nous allons retrouver la même chose au cours du récit de la Passion : Pilate ne sait pas ce qu'il dit. Nous sommes au chapitre 18.

« 37Pilate lui dit : ‘‘N'est-ce pas que tu es roi ?’’  » Nous sommes ici dans une question fondamentale de l'Évangile, la question : « Que dites-vous que je suis ? ». Pierre lui-même avait témoigné de bonne heure : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant », c'est en Matthieu 16, verset 16 ; et Jésus lui avait bien fait comprendre que ce n'est pas lui qui parlait et que cela lui était donné de par la révélation du Père. Donc c'est le double sens de la parole.

Dans le cas présent : « Jésus répondit : ‘‘C'est toi qui dis que je suis roi’’ » c'est lui qui prononce la parole ‘‘Tu es roi’’, peut-être que tu l'as entendu dire par d'autres mais tu le dis. Et il y a un grand développement sur la royauté christique : il n'est pas roi au sens banal du terme, mais il est fondamentalement roi en ce sens qu'il apporte l'espace de vérité.

Jésus roi●   L'intitulé écrit par Pilate en Jean 19.

Et ça se poursuit au chapitre 19 : « 19Pilate écrivit aussi un intitulé qu'il plaça sur la croix. Il y était écrit : Jésus le Nazôréen, le roi des Judéens. »  Mais on lui fait remarquer : « 21N'écris pas : ‘‘le roi des Judéens’’,  mais que ‘‘celui-là a dit : Je suis le roi des Judéens’’. » Mais « 22Pilate répondit : ‘‘Ce que j'ai écrit, je l'ai écrit’’. » C'est écrit, ça se lit. Là aussi, Pilate n'est pas maître du sens ultime de sa parole. Cela précède la figure de celui qui règne à partir du bois.

 

2) La crucifixion selon Jean 19, 28-37.

Nous en venons maintenant à notre texte proprement dit.

« 28Après cela, Jésus, sachant que maintenant tout est achevé (accompli), afin que soit achevée l'Écriture, dit : ‘‘J'ai soif’’. » Par parenthèse, cette parole-là, nous l'avons déjà entendue dans le récit de la Samaritaine au chapitre 4 où Jésus lui dit : « Donne-moi à boire », le rapport est fait explicitement par saint Jean. On m'a demandé parfois : le texte ne dit pas si finalement elle lui a donné à boire. Mais si, c'est dit, car il a soif de quoi ? De la Samaritaine, c'est-à-dire de l'humanité. Et effectivement la Samaritaine, le confessant comme sauveur du monde, se donne à sa suite. Ce qui me permet de dire cela, ce sont beaucoup de choses : "l'heure" qui est celle de la Passion (la sixième heure) ; au début du récit "la fatigue", car il faut entendre la grande fatigue de Dieu ; et puis surtout ce qui n'est pas dit explicitement du boire est dit explicitement du manger, car lorsque les disciples lui apportent à manger et disent « Rabbi, mange », Jésus dit : « 32J'ai à manger une nourriture que vous ne savez pas. […].34Ma nourriture est que je fasse la volonté de celui qui m'a envoyé et que j'achève son œuvre. » Il est en train d'accomplir l'œuvre ici, c'est cela qui le nourrit, et c'est de cela qu'il avait faim, et c'est de cela qu'il avait soif.

Jésus livre l'EspritPuis on lui donne du vinaigre. « 30Quand il eut pris du vinaigre, Jésus dit : C'est achevé (accompli) ; et inclinant la tête, il livra le pneuma. » Les Synoptiques disent : « Il rendit l'âme » ce qui est la façon banale de dire mourir. De façon fort intentionnelle, il y a ici en grec[1] le verbe donner avec un préfixe, donc livrer, délivrer à : livrer le pneuma. Nous allons voir en effet que le moment de la croix, non content d'être le moment de la résurrection, est aussi le moment de la Pentecôte, c'est-à-dire ce point à partir duquel flue sur l'humanité l'Esprit christique.

«  31Les Judéens, puisque c'était la Préparation, pour que ne demeurent pas sur la croix les corps pendant le shabbat – car c'était un grand jour que ce shabbat-là demandèrent à Pilate de leur briser les jambes et de les enlever (les corps). 32Les soldats vinrent donc; ils brisèrent les jambes du premier, puis de l'autre qui avait été crucifié en même temps que lui (Jésus). 33Venant vers Jésus, comme ils virent qu'il était déjà mort, ils ne lui brisèrent pas les jambes. 34Mais un des soldats, de sa lance, lui ouvrit le côté. Et sortit aussitôt sang et eau.  » Ici “sang et eau”, les deux mots sont liés sans article. Nous avons ici la mention des trois flux qui symbolisent l'Esprit : le pneuma (le souffle), l'eau et le sang. Il y a donc là, à l'intérieur même de la crucifixion, une Pentecôte.

Il y a même une petite Pentecôte chez Jean le soir du premier jour de la semaine, c'est la rencontre avec les Onze (après la rencontre matinale avec Marie Madeleine) : «Il insuffla et leur dit : “Recevez le Souffle Sacré (l'Esprit Saint). » (Jn 20, 22).

« 35Celui qui a vu a témoigné, et vrai est son témoignage. Et celui-ci sait qu'il dit vrai en sorte que vous aussi vous croyiez. » Voilà une insistance qui serait déplacée s'il ne s'agissait pas de manifester le point essentiel de ce qui est question. On témoigne de la résurrection qui est en même temps le point de diffusion du pneuma. C'est l'objet du témoignage, on témoigne de cela que Jésus est mort et ressuscité.

 « 36Ces choses arrivèrent, afin que l'Écriture s'accomplît : Ils ne lui briseront pas l'os. 37Et une autre Écriture dit encore : Ils regarderont vers celui qu'ils ont transpercé. » Voilà deux petits mots. Ne pas briser l'os c'est la recommandation qui est faite pour la préparation de l'agneau pascal (Ex 12, 46). Autrement dit toute la mystique de la Pâque est introduite dans cet épisode. Vous avez des recettes de préparation de l'agneau pascal qui précisent ce point.

Je rappelle que l'os, dans la symbolique biblique, est une façon de dire l'être lui-même en tant qu'il est persistant et durable, parce qu'il dure le plus longtemps dans le processus de corruption.

La thématique de l'agneau pascal nous introduit ici dans un langage – il n'est pas développé dans le contexte mais simplement rappelé – qui est une lecture sacrificielle de la crucifixion. Nous savons que c'est un des multiples langages qui sont mis en œuvre, qui appartiennent au tissu, à la texture même de notre Écriture, comme un autre langage, le langage de la victoire par exemple. Il y est fait allusion souvent dans la première lettre de Jean sous la mention du sang.

Parenthèse : Le témoignage du Baptiste sur l'agneau de Dieu.

Et nous en avons un témoignage initial et très étonnant dans les premières pages de l'évangile de Jean, c'est le mot que nous redisons si souvent et qui est peu parlant à nos oreilles : « Voici l'agneau de Dieu qui enlève le péché du monde ». Il y a du reste rassemblement de plusieurs types de sacrifices qui sont réunis dans une pensée commune ici, mais surtout ce mot est le témoignage du Baptiste. Vous vous rappelez l'importance du témoignage pour la constitution même de ce premier chapitre, les différents témoins : l'Écriture, le Baptiste, nous qui avons vu et qui témoignons, comme le fait Jean ici qui insiste sur le témoignage à nouveau.

Et ce témoignage est très important, chose que nous n'avons pas eu le temps de dire, mais qu'il faut réintroduire comme une autre caractéristique de l'évangile de Jean : c'est que toute vérité se tient dans le témoignage de deux ou trois. Cette phrase est reprise également par Paul, mais en passant, alors qu'elle est structurelle chez saint Jean. La même chose ici. C'est une phrase du Deutéronome (Dt 17,6 ; 19,15), qui règle la façon de conduire les procès : on ne peut pas se contenter du témoignage d'un seul, il faut un témoignage de deux ou trois pour qu'il y ait présence de la vérité.

La vérité se tient entre le témoignage de deux, c'est très important pour étudier la notion de vérité chez saint Jean. D’une simple procédure pratique qu'on comprend très bien, saint Jean fait le principe même de l'intelligence du mot de vérité. En effet c'est récurrent dans l'évangile de Jean, mais le témoignage du Baptiste occupe une place particulièrement importante.

Nous avons déjà énuméré une série de témoignages : la Torah, les Prophètes, nous, etc. mais ici il s’agit d’une autre série, la série ciel et terre. Ciel et terre témoignent, sont les deux témoins qui sont ad minimum requis. En effet dans les deux cas il y a la voix : une voix venue du ciel et le Baptiste dit « Je suis la voix qui appelle dans le désert » (Jn 1, 23). Ciel et terre sont les deux témoins –  « Je suis venu pour témoigner ». En effet le Baptiste parle à partir de la terre comme il est dit ensuite à la fin du chapitre 3 de façon précise, dans un petit passage très intéressant parce qu'il accumule un certain nombre de réflexions qui donnent le sens de ce qui précède et de ce qui va suivre. En particulier, il y a ici, à la fin de ce chapitre 3, un principe de lecture de l'épisode de Cana (chapitre 2) et de l'épisode de la Samaritaine (chapitre 4), sur le rapport époux / épouse et ami de l'époux, qui nous donne la signification profonde de ces épisodes.

Mais ici c'est le Baptiste en tant qu'il parle à partir de la terre (Jn 3, 31). Notez bien qu'il lui est donné d'en haut de parler à partir de la terre, ce n'est pas comme s'il y avait un témoignage qui soit de notre propre cru d'un côté, et puis un autre du ciel, d'autre part. C'est l'entrecroisement de deux appels, de deux vocations données : l'appel (la voix) du ciel et la voix venue de la terre.

Vous voyez qu'il y a tout un réseau de significations. Je vous assure que je ne les invente pas par plaisir, elles sont attestées. On pourrait montrer cela avec beaucoup plus de rigueur, d'autant plus que la question de « qui témoigne de moi ? » est  récurrente dans l'évangile de Jean avec deux types de réponse : « si je témoigne de moi, mon témoignage n'est pas vrai, c'est un autre qui témoigne de moi, c'est-à-dire le Père » (Jn 5, 31-32) ; et ailleurs « même si je témoigne de moi, mon témoignage est vrai – c'est apparemment le contraire, mais il explique – parce que je sais d'où je suis venu et où je vais. » (Jn 8, 14). Voilà un exemple de phrases apparemment contraires chez Jean et qui ne sont nullement contraires, mais l'apparente contrariété ou contradiction est quelque chose qui incite à lire plus attentivement.

Nous avons donc situé là un mot que notre liturgie nous donne de dire, qui n'est pas celui que nous aurions choisi spontanément de dire à ce moment-là. Mais justement nous avons ici un indice.

Fin de la parenthèse.

 

Donc cette première citation « Ils ne lui briseront pas l'os » a pour but de relier au mystère pascal la crucifixion.

Et enfin l'autre citation est en Zacharie : « Ils regarderont celui qu'ils ont transfixé ». C'est ce qu'on appelle communément la transfixion. Ceci rappelle autre chose : regarder le signe pour être sauf, nous avons vu cela dans l'épisode du serpent d'airain (Jean 3).

Donc nous avons ici un certain nombre de répondances qui peut-être ne sautent pas aux yeux à première vue, mais qui sont dignes d'être remarquées.

 

 

3) Eau, sang et pneuma en 1 Jean 5, 5-10.

En troisième lieu comme je l'ai annoncé, nous allons essayer d'éclairer le mystère des fluides, l'eau, le sang et le pneuma (l'esprit, le souffle) qui représentent trois des quatre éléments traditionnels. En effet le souffle c'est traditionnellement l'air, l'eau c'est l'eau, et le sang est dit chez les anciens dans la typologie du feu (si l'on peut dire). Nous allons donc maintenant examiner cela dans le chapitre 5 de la première lettre de Jean.

a) Première lecture du texte.

Je lis bravement mais il faudra qu'on y regarde de très près ensuite.

« 5Qui est celui qui vainc le mondevoyez, je disais qu'il y avait la thématique de la victoire : c’est un autre mode d’expression symbolique, de même que le langage sacrificiel ; c’est le langage mythique d'un combat où nous sommes victorieux, qui est le combat contre la mort. On le trouve aussi chez saint Paul : « Ô mort, où est ta victoire ? » (1 Cor 15, 55). C'est constant – sinon le croyant que Jésus est le Fils de Dieu. » Fils de Dieu signifie ressuscité : « Fils de Dieu de par la résurrection d'entre les morts. » (Rm 1, 4).

« 6 Il est Celui qui vient par eau et sangnous avions la même expression « sang et eau » dans le récit de la transfixion – Jésus Christos (Jésus oint) ; non pas dans l'eau seulement mais aussi dans l'eau et dans le sang. Et le pneuma est celui qui témoigne, puisque le pneuma est la vérité. 7Car trois sont les témoignants : 8Le pneuma et l'eau et le sang, et les trois sont un (vers un). » Ce n'est pas moi qui inventais quand je mettais en évidence ces trois fluides, c'est repris explicitement par Jean lui-même.

« 9Si nous recevons le témoignage des hommes, le témoignage de Dieu est plus grand. C'est ceci le témoignage de Dieu, [c’est celui] qu’il a témoigné au sujet de son Fils. » Le témoignage de Dieu : cette diffusion de pneuma, eau et sang.

« 10Celui qui croit au Fils de Dieu a le témoignage en lui. Celui qui ne croit pas à Dieu le fait menteur, puisqu'il ne croit pas au témoignage que Dieu a témoigné au sujet de son Fils. »

Je vous signale que nous trouvions déjà le même ternaire dans l'épisode du Baptême, qui comme chacun sait, est la première mise en scène de la Résurrection. Car la Résurrection n'est jamais un épisode comme tel, il n'y a pas de récit de Résurrection, il y a des récits d’apparitions du Ressuscité. Donc la Résurrection se récite dans d'autres épisodes : dans la crucifixion chez Jean comme nous sommes en train de le voir, mais déjà dans la scénographie du Baptême, ce qui est attesté encore par l'expression « Tu es mon Fils » – Fils de Dieu, c'est la célébration de la Résurrection.

Quand on parle du témoignage que le Père a rendu au Fils, on peut faire allusion aussi bien au témoignage verbal de « Tu es mon Fils » lors du Baptême qu'à ce beau témoignage que le Père a rendu au Fils en le ressuscitant d'entre les morts, car c'est la même chose (voir Ac 13, 33).

Donc il nous faut voir cela en détail.

b) Nouvelle lecture attentive aux énumérations.

●   V. 6a : « 6 Il est Celui qui vient par eau et sang » : C'est un hendiadys.

Un hendiadys, mot de la rhétorique occidentale, c'est l'emploi de deux mots pour dire une seule chose – ici : de cette eau-là qui est sang ; sang et eau c'est la même chose. Ce qui caractérise l'hendiadys généralement c'est que, si c'est employé avec préposition, il n'y a qu'une préposition pour les deux mots et il n'y a pas l'emploi de l'article.

Vous avez des hendiadys très nombreux chez Jean « plein de grâce et vérité » ; « adorer en pneuma et vérité » : pneuma et vérité, c'est la même chose. Il est très intéressant de méditer comment la véritable unité se témoigne par deux. La véritable unité n'est pas la solitude, mais l'union de deux choses qui disent le même à un micron près.

Le mot de micron, je le prends à l'évangile de Jean : « Un micron et vous ne me constaterez plus, un micron à rebours et vous me verrez » (Jn 16, 16) : c'est-à-dire que son absence (car « Il vous est bon que je m'en aille ») est l'autre face d'une présence neuve et d'un autre type, à un micron près. Invitation à méditer sur le un et deux. C'est le plus élémentaire des calculs mais c'est aussi le plus haut mystère, le rapport de l'un et du deux.

Donc nous avons ici dans un premier temps cet hendiadys. Ce qui ne nous étonnera pas parce qu'il y a un rapport entre l'énumération ternaire et l'unité. L'unité est l'accomplissement de ce rapport parce que l'unité est déjà secrètement en semence dans le deux. La véritable unité, c'est la bonne façon d'être deux ou trois. Nous avons déjà dit cela à propos du galet qui est une autre façon de penser l'unité. En effet on apprendra qu'ils sont trois pour être un : « les trois sont pour être un (oi treis eis to en eisin) ». Pour l'instant les deux (eau et sang) sont d'une certaine façon un dans la mesure où nous avons un hendiadys.

Parenthèse : l'hendiadys "eau et pneuma" en Jn 3, 5

Un hendiadys important se trouve dans la réponse de Jésus à Nicodème. C'est l'expression « naître d'eau et esprit » : « Si quelqu'un ne naît pas d'eau et pneuma, il ne peut entrer dans le royaume de Dieu ». Ce n'est pas du tout notre idée du baptême où l'eau visible symbolise l'esprit invisible. Eau et esprit ici sont deux noms du même. Je le sais par saint Jean, chapitre 7, verset 37. Il n'y a pas de séance où je n'aie cité ce passage tellement c'est important pour la compréhension de l'écriture johannique.

C'est le dernier jour de la fête de Soukkot, le grand jour de la fête. Jésus est debout dans le temple et il crie – voilà une solennité prodigieuse –  « Si quelqu'un a soif qu'il vienne à moi et boive. Celui qui croit en moi, des ruisseaux d'eau couleront de son sein ». Jean fait ensuite l'exégèse : « Il parlait du pneuma ». Quand Jésus dit “eau” dans certaines circonstances (il y a eau et eau nous l'avons vu) il parle du pneuma.

Donc la phrase : « si quelqu'un ne naît pas d`eau et pneuma, il ne peut entrer dans le royaume de Dieu » (Jn 3, 5), doit se traduire « si quelqu'un ne naît pas de cette eau-là qui est le pneuma… » ; car naître d'eau et de pneuma, c'est la même chose qu'entrer dans l'espace de Dieu », c'est entrer dans le royaume de Dieu, l'espace qualifié, l'espace régi de Dieu. Cette phrase à Nicodème est prodigieuse. Quand on pense qu'une phrase comme celle-là a pu être comprise : si le petit enfant n'est pas baptisé avant qu'il ne meure, il ira en enfer ou… ! Rien à voir ! Premièrement il ne s'agit pas du baptême, il s'agit de la foi ; mais toute foi est baptismale, nous avons dit cela, donc le mot baptême n'est pas insensé. Cependant ce n'est pas à partir de notre idée du baptême qu'il faut entendre cette phrase, c'est le baptême qu'il faut entendre à partir de cette phrase, donc c'est l'inverse. Nous injectons constamment nos prétendues connaissances postérieures qui nous empêchent d'entendre de façon originelle la parole.

●   V. 6b : "Dans l'eau et dans le sang", ce n'est pas un hendiadys.

Seulement je ne sais pas si vous avez fait attention, j'ai traduit « Celui qui vient par eau et sang » et ensuite : « non pas dans l'eau seulement mais aussi dans le sang » : là nous n'avons plus d'hendiadys puisqu'il y a deux fois la préposition et en plus il y a à chaque fois l'article. Ici nous nous acheminons vers l'accentuation du deux qui était dans le un précédent. Nous prenons cette direction parce que nous allons vers l'idée de témoignage, et qu'il faut deux témoins.

●   V. 7 : trois témoins qui vont "vers un".

Jean ajoute aussitôt : « et le pneuma est celui qui témoigne ». Ceci amène l'idée de témoignage et ajoute un troisième élément qui est le pneuma, qui est éminemment le témoignant puisque le pneuma est la vérité.

« Parce que trois sont les témoignants – nous voici au trois – le pneuma et l'eau et le sang, mais les trois sont vers un (ou pour un) ».

Peut-être que cela tout de suite ne parle pas beaucoup mais c'est un excellent exercice pour apprendre à lire saint Jean en étant très attentif aux articulations de sa pensée. Si le bénéfice de cette lecture n'est pas immédiat pour vous quant au contenu, cela présente néanmoins une approche pour quelqu'un qui veut apprendre à lire l'écriture de Jean.

 

la traversée de la mort, soeur Marie Boniface4) La totalité du mystère telle que méditée par Jean.

Pour conclure, je vais reconduire à ce qui était le point de départ, à savoir que Jean ne considère jamais à part les éléments qui structurent l'être christique : la mort, la résurrection, la diffusion du pneuma. Il est clair que saint Jean ne les considère jamais comme des épisodes isolés mais les médite toujours dans leur cohérence intime.

Je faisais allusion tout à l'heure à ce que j'appelle la petite Pentecôte du dimanche soir, à la fin du chapitre 20 : le Christ paraît ressuscité avec les stigmates de la Passion et insuffle les apôtres : mort / Résurrection, diffusion de l'Esprit. À chaque fois la totalité du mystère est présente à Jean quand il médite l'un ou l'autre de ces éléments.

Dire que Jésus est mort, ce n'est rien du tout. Tous les hommes meurent un jour. Ce qui est important, c'est de célébrer qu'il n'est pas mort d'une mort quelconque. Il est mort d'une mort qui est semence de résurrection, qui est la résurrection non manifestée comme telle, mais présente.

Il faut donc être toujours en quête de l'unité d'une pensée et toujours tourné vers ce qui en constitue le point focal, le point central. Ainsi, la Mort et la Résurrection du Christ ne sont pas pour Jean deux épisodes distincts, pas plus que la diffusion de l’Esprit (du Pneuma) ; Jean les pense toujours ensemble. Ils peuvent nous apparaître comme des éléments qui composent, mais ils sont indissociables les uns des autres. Donc il faut essayer de reconstituer autour de cela une pensée unifiée et non dispersée dans les multiples problématiques qu'on a suscitées autour. Ou, si on fréquente ces problématiques, il faut les reconduire à leur point initial, à leur point d'unité. Amen.

 

 Homélie sur 2 Cor 5, 16-17, Ga 2, 19-20, Mc 3, 33-35 :

monde nouveau, "Je" christique

 

Ga 2, 19-20

Grâce à la Loi (qui a fait mourir le Christ) j'ai cessé de vivre pour la Loi afin de vivre pour Dieu. Avec le Christ, je suis fixé à la croix : je vis, mais ce n'est plus moi, c'est le Christ qui vit en moi. Ma vie aujourd'hui dans la condition humaine, je la vis dans la foi au Fils de Dieu qui m'a aimé et qui s'est livré pour moi.

Mc 3, 31-35

Comme Jésus était dans une maison, sa mère et ses frères arrivent. Restant au-dehors, ils le font demander. Beaucoup de gens étaient assis autour de lui ; et on lui dit : « Ta mère et tes frères sont là dehors, qui te cherchent. » Mais il leur répond : « Qui est ma mère ? Qui sont mes frères ? » Et parcourant du regard ceux qui étaient assis en cercle autour de lui, il dit : « Voici ma mère et mes frères. Celui qui fait la volonté de Dieu, celui-là est mon frère, ma sœur, ma mère. »

 

Nous avons déjà entendu cet évangile dans l'écriture de saint Matthieu, aussi j'en dirai un petit mot opportun, c'est-à-dire lié à notre retraite, et à partir de textes disparates : ce sera mettre en rapport le très court extrait de la lettre de Paul aux Corinthiens que nous avons lu hier, et le court extrait de la lettre de Paul aux Galates que nous avons entendu tout à l'heure.

« Désormais nous ne connaissons plus personne à la manière humaine » (2 Cor 5, 16). Si nous avons compris le Christ à la manière humaine, maintenant nous ne le comprenons plus ainsi. On comprend très bien cela de la part de Paul qui n'a pas connu le Christ à la manière humaine mais qui l'a connu dans une rencontre du Ressuscité.

Les apôtres ont connu le Christ de manière humaine d'abord, et le connaître ainsi, nous l'avons dit, c'est un peu se méprendre sur son cas. La Samaritaine a connu le Christ de manière humaine d'abord, elle l'a connu comme Samaritaine, c'est-à-dire comme un Judéen qui, normalement, ne fréquente pas trop les Samaritains. Et nous avons dit qu'elle a progressé jusqu'à ce qu'elle puisse le confesser dans sa dimension et son propre nom de Yeshoua, Jésus sauveur.

De nos jours on cherche beaucoup à connaître Jésus de manière humaine. Un historien cherche derrière l'Évangile ce qui a bien pu en vérité se passer avant que ce soit interprété par les apôtres. Or nous ici, nous n'avons pas lu ainsi. Nous avons essayé de lire l'Évangile dans l'Évangile, pas derrière l'Évangile. En effet l'Évangile pour nous implique le témoignage des témoins choisis. Les témoins choisis ne parlent pas du dehors, ils font partie de l'événement, de l'avènement, de la venue et de la parole.

C'est ainsi que saint Paul écrit : « Nul ne peut dire Jésus est Seigneur – c'est-à-dire nul ne peut dire Jésus est ressuscité – sinon dans le Pneuma Sacré. » (1 Cor 12, 3). Naturellement le Saint Esprit ne fait pas partie de l'épistémologie d'un historien, ce n'est pas requis pour être historien. Qu'il fasse la recherche en son lieu, c'est son affaire, ce n'est pas notre affaire de chrétiens en tant que chrétiens, encore que nous puissions nous intéresser aussi à ce qu'il dit, mais c'est autre chose.

Nous avons essayé donc de lire non pas de manière humaine, mais de lire dans l'Esprit, de ne pas être absents de notre lecture puisque nous incluons nos propres célébrations ici dans la marche de notre semaine.

« Si donc quelqu'un est en Jésus-Christ, il est une créature nouvelle. Le monde ancien s'en est allé et un monde nouveau est déjà né » (2 Cor 5, 17). C'est, chez Paul, la phrase même que nous avions citée de saint Jean dans sa première lettre : « C'est ceci l'annonce – ou la disposition, car Jean prend facilement un mot pour l'autre – que la ténèbre – c'est-à-dire le monde ancien – est en train de passer et que le monde nouveau déjà luit ». Nous entrons dans cet espace.

mort-résurrection du Christ, mosaïqueSaint Paul, dans les Galates au chapitre 2, avait poursuivi une réflexion du même type : « 19Frères, grâce à la loi (qui a fait mourir le Christ) j'ai cessé de vivre pour la Loi afin de vivre pour Dieu – nous reconnaissons le thème fondamental de Paul : notre juste rapport à Dieu n'est pas un rapport à une parole de législation mais à une parole qui donne – avec le Christ je suis fixé à la croix (crucifié) – et ce qu'il y a de ma vie qui est fixé à la croix, ce n'est peut-être pas tant cela qui est douloureux, c'est le tout de ce que j'estime bon de ma vie simplement humaine ; c'est pourquoi il dit : cette vie est d'une certaine façon fixée à la croix – je vis mais ce n'est plus moi, c'est le Christ qui vit en moi »[2]. C'est une phrase bien connue et très difficile à bien entendre : “il” est mon “je” plus “je” que “moi” ; c'est la même chose que “plus intime que mon intime”, comme dit Augustin. Ce n'est pas une aliénation, parce que mon rapport au “Je” christique n'est pas un rapport de compétition. Le Je christique qui est la volonté de Dieu est mon identité la plus profonde.

Une phrase comme celle-là est une phrase éminente et en même temps une phrase très risquée, difficile à pénétrer et à bien vivre. Être co-crucifié et co-ressuscité avec le Christ, sont des expressions qui sont courantes chez Paul. Que ma vie ne soit pas “ma” vie mais soit plus mienne que ce que j'estime être mien, même si je le dis sous la modalité du “il” parce que le Je christique n'est pas un je compétitif, n'est pas le je d'un autre, comme vous et moi nous sommes autres : il y a là quelque chose d'infiniment précieux qui nous invite à bien prendre la distance entre notre je natif qui est le petit je, et le Je christique qui est en nous : Je, il est en nous.

« 20Ma vie aujourd'hui dans la condition humaine, je la vis dans la foi au fils de Dieu qui m'a aimé et s'est livré pour moi ». Donc la croix mérite d'être constamment reméditée, il est question de cela ici. Nous avons commencé à courir un chemin dans ce domaine, nous sommes loin d'être au clair avec cela.

J'ai dit que c'était disparate. Simplement un petit mot à propos de l'évangile aujourd'hui. Vous savez que nous avons lu l'équivalent l'autre jour[3], c'était selon saint Matthieu ; ici c'est chez saint Marc, c'est presque le même évangile mot pour mot. Mais j'ai été voir ce même épisode chez saint Luc. Il y a une petite différence dans la parole de réponse du Christ :

  • Ici chez Marc : « “Qui est ma mère, qui sont mes frères ?” Et parcourant du regard ceux qui étaient assis en cercle autour de lui, il dit : “Voici ma mère et mes frères, celui qui fait la volonté de Dieu, celui-là est mon frère, ma sœur et ma mère”. »
  • mais chez Luc : « On lui dit: Ta mère et tes frères sont dehors, et ils désirent te voir. Mais il répondit : “Ma mère et mes frères, ce sont ceux qui écoutent la parole de Dieu, et qui la gardent.” » (Lc 8, 20-21).

 Or nous avons appris que la volonté de Dieu est la semence de Dieu en moi, et nous avons appris que la parole de Dieu est semence. Ce n'est pas dans la différence que nous mettons, nous, comme si l'un parlait de la théorie et l'autre de la pratique : il y a celui qui écoute et celui qui fait la volonté. Mais pas du tout, c'est exactement la même chose : c'est laisser venir par l'écoute la parole de Dieu qui elle seule est susceptible de transformer mon comportement, ma vie, et même ma vie la plus quotidienne.

Essayer de relire cela dans le mouvement même de l'Évangile qui ne connaît pas cette distinction entre théorie et pratique – ce n'est pas de sa structure – j'avais pensé pouvoir le dire aussi à l'occasion de ce petit texte.


II – Paroles de fin de retraite[4]

 

Onction, J-F KiefferPremière parole.

P1 : Il m'a fallu lâcher prise pour tenter d'entendre la bonne nouvelle de la semence et du don gratuit de Dieu à l'humanité que vous transmettez si bien, mon père. J'ai reçu beaucoup et je vous en remercie. En fait le premier espace à rencontrer, mais pour le traverser, c'est le vôtre.

Au cours de cette retraite j'ai pu ressentir cet espace tout autre qu'est celui d'un Dieu amour où la croix structure. Simultanément c'est l'insu qui me pousse à continuer le chemin.

J'ai apprécié votre excellent commentaire à propos du mal. Ici et maintenant il reste cependant difficile pour moi d'entendre que Jésus ait dû souffrir pour sauver l'humanité.

Au début de la session vous n'avez pas employé le mot “amour. Pourquoi ?

J-M M : Je n'emploie pas le mot "amour", j'emploie le mot agapê comme pour pneuma, car ces mots ont tellement de sens que c'est presque une espèce de discrétion que de faire signe vers eux sans prétendre traduire. Bien sûr il y a des cas où il faut traduire, mais ici, pour méditer, pour réfléchir, ça ne s'impose pas. Il est bon de pouvoir repérer des mots fondamentaux qui indiquent une direction de pensée sans qu'on les définisse avec rigueur.

J'ai dû employer le mot agapê quelquefois, ça dépend beaucoup du thème de la session. Seulement il y a des choses non dites qui sont présentes si on le sait. J'ai parlé évidemment beaucoup du verbe entendre, de la foi autrement dit. Or nous, nous distinguons trois choses différentes : la foi, l'espérance et l'amour. La parole de l'Écriture ne procède pas ainsi. La parole essentielle est la parole qui dit agapê. Alors quand je parle de la parole, je parle de l'agapê. Et agapê est une des façons de dire aimer.

Il y a quelquefois une énumération. La foi, l'espérance et l'agapê (que nous traduisons habituellement par "charité") se trouvent au chapitre 13 de la première aux Corinthiens de saint Paul. Mais ce n'est pas trois choses, c'est trois qualités de l'espace christique, ou du comportement christique. Vous avez aperçu que je parlais de comportement christique, je n'ai peut-être pas employé le mot d'ailleurs – ce sont les choses qui importent même si les mots aussi sont importants – donc comportement christique ou espace christique. Chez nous un comportement et un espace, ça ne va pas tellement ensemble ou ce n'est pas la même chose. Or nous avons dit une chose essentielle, c'est que l'Écriture parle moins de vertus, qui seraient des propriétés inhérentes à un sujet, que de relations. Entendre c'est une relation, aimer c'est une relation. Et une relation suppose une dis-tance donc un espace spirituel.

Si vous ne comprenez pas, c'est très possible et ce n'est pas grave. Cela veut dire que vous n'êtes pas tout à fait entré dans ce qui est en question par rapport à la façon dont j'en parle, ou dont l'Écriture en parle, parce que j'essaie de parler à partir de l'Écriture.

Croix à six branches,église rue Traversière, ParisC'était un point essentiel. C'est pourquoi quand on parle de la détermination de l'espace par le proche et le loin, je peux dire que c'est clair dans l'Écriture puisque l'homme est accompli par l'agapê du prochain, l'agapê constitue autrui comme prochain (proche et prochain c'est la même chose). Du même coup je parle (c'est cela le langage symbolique de l'Écriture) de ce qu'on appelle couramment l'espace en tant qu'il est configuré par le lointain et le proche, par les directions comme le haut, le bas, la droite, la gauche. Et quand je dis qu'il y a un rapport entre la proximité spatiale et l'agapê qui est un mode de proximité, du même coup vous devez entendre que je ne parle pas simplement de l'espace mesuré par le géomètre.

C'est non dit, je ne l'ai pas déployé dans ces termes. Si vous entendez un petit peu ce que je suis en train de dire en ce moment, la deuxième fois que vous reviendrez, vous comprendrez parfaitement, vous entrerez dedans. Mais qu'on n'entende pas du premier coup, ça ne m'offusque pas et ça ne m'étonne pas.

Je suis stupéfait quand on me dit que je n'ai pas parlé de l'amour : je n'ai fait que ça !

P1 : Une phrase que je garde : « En la Résurrection nous ressuscitons déjà intérieurement ; la Résurrection du Christ me ressuscite maintenant. » Quand vous parlez ainsi, ça me confirme dans mes convictions, ça me réconforte, ça me rassure parce qu'autour de moi tout le monde parle de réincarnation, et moi je suis fasciné par la Résurrection. Donc ici j'ai trouvé… mais ça a été encore plus loin quand j'ai entendu : « déjà, maintenant » ; ce n'est pas par exemple après la mort. Et quand vous dites que le Christ a gagné et que cette victoire est déjà là… je repars réconforté. Voilà pour le positif.

Par ailleurs je trouve difficile d'entendre certaines interprétations machistes du récit d'Adam et Ève au début de la Genèse ; mais avec vous, ici, cela n'a rien à voir.

J-M M : Je vois ici deux choses. “La résurrection maintenant” : c'est en effet une chose très importante. Cela n'enferme pas notre perspective dans les limites de notre vie temporelle, ça ouvre notre appartenance à une dimension. Ce n'est pas réduire au maintenant, comme si autrefois on pensait que c'était après alors qu'aujourd'hui on dirait : ce n'est pas après, c'est maintenant. Ce n'est pas un débat entre le maintenant et l'après de notre temps, mais c'est le refus de simplement poser pour plus tard ce qui est en question. C'est déjà – même si ce n'est pas pleinement accompli – c'est déjà à l'œuvre.

Ce point est très important parce qu'il tente de répondre à une objection très fréquente qui est : souffrez maintenant, plus tard vous serez heureux. Ce n'est pas cela.

Par ailleurs je ne signe pas un aplatissement de la perspective, pas du tout. On pose couramment la question : est-ce qu'il y a quelque chose après la mort. Répondre oui et répondre non est aussi inepte l'un que l'autre pour la raison que, “après” est un mot du temps, donc “après le temps”, je ne sais pas ce que ça veut dire. Cependant on emploie « avant la création du monde » dans l'Écriture. Il faut donc entendre avant et après non pas simplement dans l'étalement temporel mais dans un maintenant qui n'est pas le maintenant fluant de notre temps, qui est un maintenant stable.

Mais c'est très difficile à penser, ce n'est même pas adéquatement pensable. Nous n'avons aucun élément de notre expérience qui à lui seul permette qu'on se repose et qu'on ait une idée claire de cela. C'est une vexion, une portée vers, ça appartient à la thématique de l'insu. Mais affirmer l'insu, ce n'est pas rien……

Deuxième point à relever : les choses que nous disons du pneuma. L'insu est dit du pneuma par Jean au chapitre 3, puisque c'est là que nous avons pris le mot insu : « Le pneuma tu ne sais d'où il vient ni où il va » mais il ajoute aussitôt « ainsi en est-il de tout ce qui est né du pneuma ». Or les enfants de Dieu comme tels, donc la christité en nous[5], c'est cela qui est né du pneuma. Donc nous participons à cet insu, nous avons une dimension plus grande que ce que nous savons de nous-même. Nous avons une identité autre que simplement celle que nous connaissons. Nous avons un nom qui est le nom par lequel Dieu nous appelle et qui est notre véritable identité, celle qui commence à prendre corps par la foi, par l'affirmation de la résurrection.

J'ai donc précisé ces deux points. Dans la retraite, nous n'avons pas parlé du rapport résurrection / réincarnation. La réincarnation est très à la mode, mais elle est puisée aux traditions orientales, et en Orient elle signifie exactement le contraire du sens que nous lui donnons : la réincarnation en Orient est une malédiction, c'est le malheur de n'être pas libéré mais de rentrer à nouveau dans la roue des souffrances de la temporalité ; alors que quand un Français parle de réincarnation, il appelle ça une seconde chance, ce qui n'est pas du tout le sens.

Quant aux rapports d'Adam et Ève, ils sont à entendre – ça peut être difficile, c'est très délicat – comme un des modes de la dualité, du deux. C'est même un des tous premiers deux pour autant qu'ils sont désignés comme mâle et femelle ; et nous disions que “mâle et femelle” ne sépare pas d'abord des individus. Voilà au contraire quelque chose qui est assez proche d'une symbolique fondamentale de l'Orient, celle du yin et du yang. Mâle et femelle, c'est pratiquement la même chose que ciel / terre dans l'Écriture où ces mots ne disent pas non plus exactement ce qu'ils disent chez nous.

Tirer des leçons morales de cela n'est pas pertinent. Les symboles ne sont pas faits pour qu'on en tire des conséquences morales ou structurelles.

Même quand il est fait mention du mariage ou choses de ce genre, il y a des cas où on en appelle à Adam et Ève (Paul le fait) mais nous ne lisons pas comme il faut. D'ailleurs nous lisons cela à l'envers comme si c'était une façon simplifiée de parler. On prend d'ailleurs le symbole pour cela, alors que le symbole est le contraire d'une façon simplifiée de parler. C'est comme si on disait : « voyez, le mariage comme c'est beau, un homme et une femme, ils s'aiment ; eh bien Dieu et l'humanité c'est pareil ». Tu parles ! Le mariage, c'est beau de temps en temps, probablement, je ne suis pas très informé sur l'affaire… La bonne lecture, c'est le contraire.  

Voilà une des désignations du symbole que je donnais autrefois : c'est le contraire du signe au sens moderne du terme. Un signe c'est quelque chose de connu qui conduit à quelque chose de non connu – donc le mariage qui est bien connu conduirait à penser quelque chose sur le rapport de Dieu et de l'humanité qui est pour nous inconnu. Alors que le véritable symbole, c'est le contraire du signe : il y a symbole lorsque le moins connu éclaire ce qui était censé être le plus connu, invite à une relecture. Autrement dit le symbole descend du secret, de la hauteur, des cieux, pour éclairer la terre, ce n'est pas un exemple terrestre pour éclairer le ciel[6].

Donc voilà ce qu'il en est du symbole au sens authentique du terme. C'est un des mots que j'ai utilisé en premier autrefois, on pourrait le nommer mieux, on pourrait essayer de le nommer à partir de l'Écriture. Ce qui correspondrait le mieux serait de parler de langage mystérique parce que c'est le rapport du caché et du dévoilé, du mystêrion de l'apocalypsis dont j'ai dit que c'était la structure de base de l'écriture du Nouveau Testament. Mais le mot "mystère" est compromis chez nous parce qu'il désigne purement et simplement quelque chose d'opaque qui se refuse à notre esprit de façon négative alors que c'est le contraire : le mystère éclaire les choses.

Deuxième parole.

P2 : Moi, j'ai aimé deux choses pendant cet enseignement. La première c'est la donation gratuite : c'est enlever sa suffisance, son ego, se vider de soi ; et la deuxième c'est laréponse que vous avez faite sur le bonheur et la souffrance (sur le mal et le bien) et que vous avez résumé dans cette phrase : « La rose est sans pourquoi, les épines aussi ». Pour moi la rose c'est un petit peu le Sacré-Cœur de Jésus-Christ et les épines c'est un petit peu sa couronne d'épines donc les souffrances du Sacré-Cœur de Jésus-Christ.

J-M M : C'est très bien. La symbolique de la rose est une symbolique très profonde, et la symbolique des épines est liée d'ailleurs au culte du Sacré-Cœur.

Le thème de la donation n'était pas le thème propre mais, comme il est essentiel, nous avons dû y toucher. Alors c'est bien si on a entendu quelque chose car c'est fondamental. Ça mériterait de grands développements bien sûr, en leur lieu. Par exemple une année on avait fait quelque chose sur « Si tu savais le don de Dieu », toute la semaine était consacrée à cela. Repérer cela comme un thème important, c'est une chose positive. Merci.

Troisième parole.

P3 : Moi je veux dire que justement j'ai noté aussi cette donation gratuite. Le Christ a reçu du Père de donner sa vie pour la recevoir à nouveau. Et vous avez souligné qu'on ne peut pas prendre ce qui n'est pas prenable, et que justement la parole se donne à l'heure où elle se donne. J'ai aimé aussi que la méditation commence par l'hymne aux Philippiens[7] parce que c'est un texte que j'aime même si je ne le comprends pas tout à fait. Et puis j'ai aimé la symbolique des contraires qui s'unifient en fait : le vide / le plein ; l'abaissement / l'exaltation ; la vie / la mort.

J-M M : C'est ça. Nous mettons en œuvre des rapports de mots de façon un peu hasardeuse. C'est une occasion de réfléchir sur ces gestes fondamentaux de la pensée…

La relation entre les humains qui est l'agapê est d'une certaine façon précédée par la relation du Verbe : car le Verbe en lui-même est un et cependant il se déploie en discours. Et un discours est fait de plusieurs mots. Nous ne réfléchissons pas assez à la façon dont ils jouent entre eux, comment ils se rapportent. Pour nous, dès qu'il y a deux mots, ce sont des contraires ; alors qu'il y a des relations indéfiniment complexes et subtiles entre les mots, depuis le moment où ils s'entre-appartiennent au point d'être presque les mêmes dans l'hendiadys dont nous parlions ce matin, jusqu'à l'opposition du jugement ultime qui atteste leur définitive exclusion mutuelle. Il y a du champ entre les deux.

P3 : Il y a une dernière chose : la résurrection comme éveil de la semence dormante, j'ai bien aimé, et l'éveil à un espace de vie neuve. Et puis l'anastasis : se relever, reprendre la posture verticale.

J-M M : Ce sont les deux sens du mot résurrection finalement : éveil et anastasis[8]. J'ai plus insisté sur la dimension verticale parce que nous parlions de la croix et que le premier élément de la croix, c'est le pieu fiché dans le sol, donc la position verticale. Justement toute l'ambiguïté est là car, dans le schéma corporel, la position verticale c'est vraiment l'homme debout et c'est, dans le cas du Christ, en même temps la mort et la résurrection.

Quatrième parole.

P4 : Beaucoup de choses ont résonné pour moi, d'autant plus que j'avais l'habitude de vivre avec le « déjà là et pas encore » de la croix (mort et résurrection). Mais d'y ajouter le pneuma qui pourtant était présent dans ma vie, d'en faire l'unité, je pense que c'est un chemin à suivre et à creuser, je n'ai pas encore tout à fait vu.

Ce qui me gêne et me tarabuste tout le temps c'est : comment dans un monde que Dieu a dit bon et très bon, même si la Genèse est un récit qui ne se lit pas au premier degré, il y a tout de même ceci qui est un message : comment des hommes et des femmes (l'humanité entière créée à l'image et à la ressemblance de Dieu) peuvent-ils avoir tant de haine et de violence intérieure et extérieure ? Pour moi c'est presque un scandale. J'ai beaucoup de mal à le porter.

J-M M : Ce n'est rien d'autre que la question de la présence du mal que nous avons rapidement abordée hier. Et que ce soit un scandale, je répondrai d'une façon plus agressive que la réponse que j'ai donnée hier : "je n'en sais rien". Merci à vous.

Cinquième parole.

P5 : Moi je vais repartir avec une compréhension du cœur : d'avoir la foi nous fait sortir de l'espace du jugement. C'était dans la tête et là je crois l'avoir touché avec mon cœur et c'est du bonheur. Et quand tu as dit que Jésus était bon, ça a été une nouvelle pour moi, je n'avais jamais perçu ça, la bonté de Jésus.

J-M M : C'est un peu paradoxal, non ?

P5 : Complètement.

J-M M : Parce que quelquefois c'est l'accusation qu'on porte au contraire d'un Jésus doucereux qui ne voit pas les difficultés : tout est beau, tout est bon et tout est gentil. C'est un petit peu le doux rêveur galiléen de Renan. Et toi c'était le contraire, je prends acte, c'est bien.

P5 : Et ce qui me fait peur c'est la mort, toutes les petites morts par où je vais passer encore pour comprendre des choses, je n'ai plus de courage, je n'ai pas de courage.

J-M M : Peut-être que la multiplicité même des morts nous apprend à mourir progressivement, non ? Pas forcément ?

P5 : Je ne sais pas. Souvent je me suis dit : j'ai tout compris, et puis patatras, ça repart !

J-M M : Ah oui mais ça c'est plutôt bon.

Jésus et le paralytiqueSixième parole.

P6 : Ce qui a résonné en moi, c'est un appel à faire grandir l'homme intérieur car, en même temps que la vie humaine, Dieu a donné à tout homme une semence de vie éternelle qui germera à l'heure que lui voudra. L'épisode du paralytique[9] m'a fait penser qu'il faut être debout et marcher sur le chemin tracé par la parole du Christ, car la participation active est nécessaire afin de ne pas subir mais de tendre à l'accomplissement.

J-M M : Peut-être que nous n'avons pas assez insisté sur la participation active donc tu parles ici. Elle est cependant effectivement inscrite dans le texte en ceci que c'est la parole qui donne que je marche : elle ne marche pas pour moi mais je ne marche pas sans elle. C'est la parole qui me donne que je marche, donc ce n'est pas l'invitation à une pure passivité. En plus le rapport entre la parole qui donne et mon écoute de la parole indique que je ne suis pas par rapport à elle dans un rapport de compétition : est-ce que c'est la parole qui fait tout, ou est-ce que c'est moi ? J'ai indiqué aussi, au sujet de notre rapport à Dieu, qu'il ne faut pas le penser comme un rapport compétitif. C'est un chemin de pensée qui peut être utile, qui peut être bon. Merci bien.

Septième parole.

P7 : Jean-Marie, tu as dit : pourquoi ne se pose-t-on pas la question : « pourquoi y a-t-il du bonheur ? » Le bonheur est là, il ne faut pas l'oublier, il se cache comme une semence dans la souffrance même. Alors quand le sol se dérobe sous mes pas, il y a le sous-sol, la foi au fond de moi, Dieu est là, il se donne. Cette proximité de Dieu qui ne m'abandonnera jamais, c'est là que se trouve la joie. Me relier au plus profond de mon être, au plus intime, au plus secret, dans le souffle de l'Esprit qui me dit : tu es la fille bien-aimée du Père, il t'appelle par ton nom, lève-toi, fais le signe de croix, abandonne-toi, mets ta main dans la main du Christ, il prend tes blessures dans ses blessures, va, suis-le, il est le secret du bonheur, ta vie nouvelle.

J-M M : Merci bien. C'est un concentré de méditation. D'ailleurs, tu n'y as peut-être pas pensé, mais le rapport de la joie et de l'affliction qui est en question ici est traité dans la petite parabole de la femme qui enfante[10]. Essayer de penser le rapport des deux, puisque c'est aussi un deux, ça : le malheur et le bonheur, l'affliction et la joie. Si on ne veut pas les rapprocher de façon simpliste, ou penser que l'affliction mérite la joie, des choses de ce genre, comment penser leur rapport ? Tu touches à ce texte-là en particulier, peut-être n'y as-tu pas pensé mais c'est sans importance, et même c'est encore mieux de parler l'Évangile sans avoir besoin de faire référence.

Huitième parole.

P8 : Moi, comme c'est la première fois, c'est nouveau, c'est un langage nouveau. Je dois dire que vos conférences sont passionnantes.

J-M M : C'est la toute première fois, vous êtes un peu déconcerté au départ sans doute ?

P8 : Oui, mais ça m'a ouvert des horizons et je dois dire que c'est passionnant et je regrette simplement de ne pas vous avoir rencontré plus tôt, qu'il n'y ait pas plus de père Martin ! À l'avenir je pense que les textes auront une autre couleur, et l'avenir me dira si j'ai entendu puisque maintenant je dois mûrir, là j'ai encaissé pas mal.

J-M M : Ce qui est sûr c'est que vous n'avez pas tout entendu, mais ce qui est probable c'est que vous avez commencé d'entendre, et il faut commencer par commencer. Merci bien.

à l'écouteNeuvième parole.

P9 : Je rebondis là-dessus puisque c'est ce mot là que j'ai choisi : une chose positive, j'ai retenu “entendre” ; une difficulté, j'ai retenu “entendre”.

J-M M : C'est formidable.

P9 : Et je peux décliner parce qu'avec une chose positive (j'ai repris mes notes), entendre ça commence par vide, évacuation de soi ; recevoir, foi ; donation gratuite ; entendre la résurrection du Christ ; ma résurrection maintenant ; éveil de la semence dormante ; entendre la parole, se mettre debout ; entendre les mots de l'évangile qui ont besoin d'être baptisés. Pour tout ça j'ai besoin d'un mot directeur. Et le mot directeur sur le plan des difficultés est aussi important pour moi car c'est : malentendant, mais c'est surtout malentendu. Je suis payé pour savoir que je suis dans les malentendus. Et par ailleurs difficulté aussi : c'est très bien d'entendre la parole de Dieu (à supposer que j'arrive à l'entendre) mais il est dit quelque part qu'il faut aussi la mettre en pratique.

J-M M : Oui mais plus exactement…

P9 : Et j'ai remis aussi dans ces difficultés : le fait d'accepter pour pouvoir entendre, la difficulté de passer par le trouble et la recherche[11]. Et je suis bâti comme ça, je n'ai pas besoin d'avoir 36 mots même si j'en dis beaucoup, c'est ces mots-là qui me restent. C'est comme un arbre généalogique, à partir de là c'est plus facile.

J-M M : Les embranchements se déploient à partir de là. Oui, ce sont des mots de toute première importance, de les rassembler est l'indice que chacun a été quelque peu entendu.

Bien sûr, "l'entendre" dont nous parlons n'est pas simplement un entendre de bon élève… Entendre, c'est la parole qui vient à l'oreille, qui a pour vocation de passer au cœur et du cœur aux pieds pour un bon comportement, et aux mains pour de bonnes manières. Je veux dire par là que c'est une parole dont il faut aussi espérer que progressivement elle nous envahisse, elle envahisse notre vie. Quand tu parles de la pratique, c'est de cela qu'il s'agit. Merci bien.

Dixième parole.

P10 : Ce que j'ai retenu particulièrement au cours de cette retraite, c'est l'écoute de la parole. L'écoute c'est entendre, mais l'écoute c'est aussi faire ce qu'elle me suggère.

J-M M : Oui, c'est ça. Et ça correspond à un des premiers mots qu'on a rencontrés : hypakoê, obéissant. Obéissant est un mot qui sonne assez mal à nos oreilles, mais dans le grec du Nouveau Testament, il est beau parce qu'il y a le mot entendre. Entendre et garder : entendre et laisser que cela nous investisse.

P10 : J'ai noté des épisodes de guérisons de Jésus, que ce soit le paralysé, l'aveugle, ou alors sa rencontre avec Nicodème (naître de nouveau).

J-M M : Ce sont les textes qui vous ont le plus requis. Bien.

P10 : J'ai repensé en dernier : relire attentivement les Écritures, mais je sais que ce qui est primordial pour moi, c'est de demander à l'Esprit Saint de m'éclairer – puisque c'est lui qui a suggéré, semble-t-il, les Écritures – de m'éclairer et de me donner la force d'être fidèle à ce qu'elles me suggèrent.

J-M M : L'attitude de qui s'approche pour entendre peut aller jusqu'à être une demande en elle-même. On peut s'approcher de l'Écriture en demandant d'entendre, puisque nous avons dit que l'Écriture se donne à entendre à l'heure où elle se donne. Si ça se donne, ça se demande : ce qui se donne est de l'ordre de ce qui se demande. Autrement dit la prière n'est pas étrangère à une bonne approche de l'Écriture, elle en fait partie. Et on peut aussi en outre se permettre quelquefois de rendre grâce, c'est-à-dire de reconnaître le don quand on a entendu quelque chose. Merci bien.

onction de l'Esprit, J-F KiefferOnzième parole.

P11 : D'abord j'ai été très touché par les exposés. Au départ c'était difficile de comprendre, mais le deuxième jour j'ai commencé à aimer, et ça a changé beaucoup de choses en moi. D'abord c'est le signe de croix et, comme vous l'avez dit, le signe de croix est l'essentiel de la foi. Et c'est la croix comme signe et comme configuration[12]. Et le signe de croix, ça nous identifie aussi à nous les chrétiens, ça m'identifie à moi.

J-M M : Le mot identifier est un mot qui a rapport avec se laisser configurer, c'est ça.

P11 : Ce que j'ai aimé aussi c'est le verbe donner, c'est Jésus qui se donne pour “donner la santé à l'humanité” ; ce mot, ça m'a beaucoup frappé.

J-M M : Le verbe donner justement ici est un bon exemple du processus dont je parlais tout à l'heure. Ce n'est pas notre idée de ce qu'il en est de donner qui nous donne une idée sur Dieu, c'est le don incompréhensible de Dieu qui éclaire ce que veut dire le verbe donner. C'est en toutes lettres dans l'évangile de Jean. Jésus dit : « Je ne donne pas comme le monde donne ». En effet, le concept mondain de don n'est pas suffisant pour entendre ce que veut dire le verbe donner quand il est employé dans l'Écriture. Le verbe donner reste positivement insu. Merci à vous.

Dernière parole[13].

P12 : À plusieurs reprises cette semaine tu nous as parlé de témoins, de témoignages. Il me semble avoir entendu que le témoin, c'est celui qui peut dire « voici », montrer un chemin parce qu'il a lui-même vu, entendu, contemplé, touché, approché quelque chose de ce qui est en question. En ce sens tu es pour nous un témoin qui nous montre que fréquenter l'Écriture de manière approfondie, c'est fréquenter quelqu'un qui est Père, Christ, Pneuma, quelqu'un qui a déposé sa semence au plus intime de chaque homme et dont le désir est de voir cette semence prendre corps, grandir jusqu'à porter du fruit.

Voir dans la croix, c'est-à-dire dans la mort / résurrection du Christ, le signe de ce désir du Père de sortir l'humanité de l'espace de servitude pour la faire entrer dans l'espace du Royaume, n'est-ce pas entendre la parole qui dit à chacun : veux-tu être guéri de ta servitude ?

Se signer de la croix du Christ c'est se laisser configurer par la christité, c'est se laisser revêtir de la mort pour la vie du Christ, c'est se laisser configurer au Fils de Dieu. C'est consentir à nous vider de ce qui nous retient prisonnier, gisant, passif, paralysé, dans l'espace de servitude, pour nous laisser remettre debout, assumer de ne pas maîtriser notre vie, et marcher dans Celui qui nous dit qu'il est le chemin, ce chemin qui nous conduit vers le Père et qui nous dit à chacune, à chacun, comme à Marie-Madeleine : « Ne me retiens pas, va vers tes frères et dis-leur… ». Se signer de la croix c'est consentir à ce que l'Esprit du Ressuscité fasse son œuvre en nous. Se signer de la croix c'est consentir à laisser la résurrection advenir en nous, pour que ce qui est du prince des ténèbres continue à s'en aller et que le Prince de lumière déjà là prenne toujours davantage sa place en nous ; et qu'ainsi les fruits de vie que le Père a semés en nous, donnent ce qu'il y a de meilleur.

Et comme tu nous l'as redit tout à l'heure, cela est donné à l'heure où c'est donné ; cela est donné gratuitement sans aucun mérite de notre part ; et parce que cela est donné, ça se demande, et demander c'est acquiescer à ce que cela nous advienne.

Et puis il me semble que se signer de la croix du Christ, ça a du poids. J'en arrivais même à certains moments à me dire : je ne sais pas si je ferai encore mon signe de croix parce que si ça veut dire tout ça ! Et je pense que la première rencontre de Bernadette quand elle n'a pas pu lever son bras, c'est parce qu'il y avait probablement quelque chose de ce poids, et qu'il a fallu que Marie lui enseigne comment lever le bras pour tracer sur elle ce signe.

Alors merci de nous avoir ouvert un chemin vers la vie nouvelle.

J-M M : Pour le merci…. Je n'ai jamais vu quelqu'un rassembler dans une cohérence tout un ensemble de choses que nous avons méditées les unes après les autres. Ça m'enchante. Merci.



[1] Le verbe grec est paradidômi : livrer (para est le préfixe, didômi est le verbe donner.

[4] Nous n'avons retenu que certaines des interventions qui ont eu lieu à la fin de la retraite, en particulier celles qui présentaient un intérêt général.

[5] Sur la notion de christité, il y a plusieurs messages dans le tag christité.

[7] Ph 2, 6-11 est médité au chapitre II et en moins long dans Ph 2, 6-11 : Vide et plénitude, kénose et exaltation .

[8] Voir les deux mots pour dire la résurrection au chapitre II - 2°).

[9] Cela se trouve au I du chapitre VI, et c'est commenté plus longuement dans La guérison du paralysé en Jn 5, 1-9. Quel sens donner à l'expression "porter sa croix" ?

[13] C'est le témoignage de sœur Paule Farabollini, c'est elle qui organisait la retraite. Son témoignage est repris dans un message à part.     

 

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