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La christité
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  • Ce blog contient les conférences et sessions animées par Jean-Marie Martin. Prêtre, théologien et philosophe, il connaît en profondeur les œuvres de saint Jean, de saint Paul et des gnostiques chrétiens du IIe siècle qu’il a passé sa vie à méditer.
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16 février 2020

Réflexions sur le baptême aujourd'hui à partir de Rm 6, 3-11. Par Jean-Marie Martin

La mort / résurrection du Christ oriente ce texte de Rm 6 qui commence par dire : « nous tous qui avons été baptisés dans le Christ Jésus, c'est en sa mort que nous avons été baptisés » c'est de là que part Jean-Marie Martin pour nous faire redécouvrir le sens du baptême en revenant au Nouveau Testament. Il nous rappelle que le baptême n'est pas une pratique puisque recevoir le baptême, on ne fait rien, c'est Dieu qui fait.Il nous introduit à plusieurs symboliques du baptême : plonger, teindre, oindre, vêtir, introduire dans l'espace de lumière. Et à la fin répond à des questions posées sur le besoin de baptiser et autres questions.

Cette intervention est extraite d'une séance qui a eu lieu à Saint-Bernard de Montparnasse en présence de Maurice Bellet, c'était la deuxième année où J-M Martin lisait l'épître aux Romains, donc en 1994-95.

Vous verrez si vous regardez les autres messages sur le baptême qu'il est fidèle à lui-même :

 

 

Réflexions sur le baptême aujourd'hui à partir de Rm 6, 3-11

Par Jean-Marie Martin

À Saint-Bernard-de-Montparnasse

 

Voici une traduction de Rm 6, 3-11 pour l'étude.

  • « Ignorez-vous que nous tous qui avons été baptisés dans le Christ Jésus, c'est en sa mort que nous avons été baptisés ? 4Nous avons donc été co-ensevelis avec lui par le baptême pour la mort, en sorte que, de même que le Christ est ressuscité d'entre les morts par la gloire du Père, ainsi, nous aussi, nous marchions dans une nouveauté de vie. 5En effet, si nous avons été co-plantés avec lui en similitude de sa mort, nous le serons aussi de sa Résurrection, 6sachant que notre homme ancien a été co-crucifié avec lui, en sorte que soit désactivé le corps du péché de sorte que nous ne soyons plus esclaves du péché ;  7car celui qui est mort est justifié du péché. 8Or, si nous sommes morts avec Christ, nous croyons que nous co-vivrons aussi avec lui, 9sachant que Christ ressuscité des morts ne meurt plus (c'est-à-dire qu'il n'appartient plus à la mort) ; la mort n'a plus de pouvoir sur lui (elle ne le régit plus). 10Car celui qui est mort, est mort au péché en une fois (une fois pour toutes et une fois pour tous) ; celui qui, au contraire, vit, vit à Dieu. 11Ainsi vous-mêmes, regardez-vous comme morts au péché, et comme vivants à Dieu dans le Christ Jésus. »

C'est au verset 9 que Paul parle explicitement de la mort / résurrection du Christ, et on comprend que c'est ce qui oriente tout le texte, c'est-à-dire que c'est ce qui régit secrètement le processus de l'écriture. Alors, si nous avons lu une première fois le texte et que nous avons repéré cette orientation, nous pouvons faire une deuxième lecture, et si nous faisons cela, d'une certaine façon nous dés-écrivons le texte en ne suivant pas exactement son ordre, mais c'est pour mieux le laisser vivre dans son écriture à lui.

 

Cela ne nous étonne pas que la mort / résurrection du Christ soit ce qui oriente tout le texte. Il est important que nous en prenions conscience, parce que si nous nous laissons aller à lire simplement dans le mouvement apparent du texte, voici que le premier mot qui vient, c'est le mot de "baptême". Or "baptême" dit quelque chose déjà chez nous, mais cela ne dit pas la même chose dans le texte de saint Paul puisque le baptême est orienté dans son intelligence vers autre chose ou à partir d'autre chose.

Il faut nous défaire de la lecture paresseuse qui se laisse aller au cours du texte. Ce travail que nous faisons là correspond à ce que nous appelons parfois « prendre de la distance par rapport à l'immédiateté du texte et aux échos spontanés qu'il peut susciter chez nous afin de l'entendre à partir de son secret, à partir de son désir ».

 

1) Les quatre mouvements.

Nous allons partir de la mort/ résurrection du Christ (v. 9) pour revenir à ce qui précède dans le texte, pour arriver au langage baptismal du verset 3.

 

●   Premier mouvement : mort / résurrection du Christ.

À propos de mort / résurrection du Christ, je rappelle d'abord une chose : le mot de "mort", nous savons que c'est un mot à propos duquel il faut être très précautionneux dans l'Évangile. En effet il peut désigner la même chose que la résurrection quand il s'agit de la mort christique alors qu'au contraire, quand il s'agit des hommes, il peut désigner la rupture avec tout ce qui fait vivre – le mot "vivre" étant ici entendu dans le grand sens du mot zoê (vie) et non pas de la vie biologique. Par ailleurs le mot "mort" peut avoir un aspect fonctionnel, celui du verbe "mourir" qui s'exprime dans des expressions comme "mourir à". D'ailleurs chez saint Paul "mourir" c'est toujours "mourir à" et "vivre" c'est toujours "vivre à".

 

christité, idées-cathé●   Deuxième mouvement : notre mort / résurrection dans le Christ.

Il y a une deuxième chose que je veux dire, c'est qu'il est question ici de la mort / résurrection du Christ, mais chez saint Paul il n'est jamais question du Christ comme d'une personne singulière à qui il arrive d'étranges événements. Le Christ n'est pas premièrement ou d'abord "un en plus" ou "un à côté des autres". Il est "plus un" que ce que nous appelons "un", c'est-à-dire qu'il est la réalité unifiante de l'humanité dans sa dimension de résurrection. Autrement dit, sa mort et sa résurrection, c'est quelque chose qui nous concerne.

Quand je dis : « Le Christ est ressuscité », je dis quelque chose de moi, sur moi et sur vous.

Pour l'instant nous relevons cela comme quelque chose de constant et d'essentiel au texte.

 

Troisième mouvement : La résurrection du Christ lui-même se dit en langage baptismal.

Le mot "baptême" est un mot qu'il faut entendre d'abord comme un mot du discours avant de le considérer comme un geste déterminé. Je prends ce qui est dit en Marc 10,38. Les disciples se disputent à propos de la place à avoir dans le royaume et Jésus leur pose la question : « Pouvez-vous boire la coupe que je bois et être baptisés du baptême dont je suis baptisé ? » De quoi parle-t-il ici ? De sa mort.

Ce qui est dit dans d'autres endroits à propos de la mort est dit ici dans un langage baptismal.

 

●  Quatrième mouvement : Notre mort / résurrection se dit en langage baptismal

Là il y a  beaucoup de choses à dire et je vais sûrement en oublier, mais c'est le mouvement, c'est le processus qui est important, parce que cela veut dire que chez saint Paul le mot "baptême" est pensé à partir de tout ailleurs que de ce que nous pensons habituellement.

Un tout petit exemple. Vous pourriez me dire : ce qui recueille en nous la mort/résurrection du Christ ne s'appelle pas "baptême", puisque dans le Nouveau Testament cela s'appelle la "foi" puisque le mot foi (le mot croire) ne dit rien d'autre que recueillir en nous que Jésus est mort et ressuscité. Or ici nous avons un autre mot qui est le mot "baptême" et ce mot n'est pas hasardeux.

 

Détour par Ep 4, 4-6.

Je fais un petit détour pour répondre à cette question. Dans l'épître aux Éphésiens qui est une épître magnifique, vous avez ceci (Ep 4, 4-6) :

  • « Un seul corps et un seul pneuma, selon que vous avez été appelés dans une seule espérance de votre appel ;
       un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême,
       un seul Dieu et Père de tous qui est sur tous, à travers tous et en tous. »

Ici nous avons une énumération de mots et elle n'est pas hasardeuse. C'est une des premières traces proprement trinitaires dans le Nouveau Testament puisque vous avez trois moments : un seul pneuma (Esprit) ; un seul Seigneur ; un seul Dieu et Père. C'est dans l'ordre inverse de notre Credo. Et les éléments qui sont accolés à chacune de ces dénominations ne sont pas hasardeux.

« Un seul pneuma, un seul corps, un seul appel » : Chez nous pneuma (Esprit) et corps, ça dit des choses opposés, or ici ce sont deux mots qui disent la même chose. En effet le pneuma est la dimension ressuscitée du Christ et il constitue un seul corps, le corps de l'humanité qui est l'Ekklêsia, mot qui a pour racine klêsis (l'appel). Donc pneuma a un aspect corporifiant, constituant l'Ekklêsia (l'Église). Et le mot "corps" renvoie au rapport tête / corps qui est en jeu dans cette épître des Éphésiens : « Il (Dieu) a placé la totalité sous ses pieds, et il l'a donné comme tête au-dessus de tout à l'Ekklêsia qui est son Corps » (Ep 1, 22-23). Mais là il faut bien voir que le mot "tête" est à mettre en relation avec le premier mot de la Genèse qui est bereshit, mot qui a pour racine rosh (la tête), bereshit signifiant "en tête" ou bien "au commencement", etc.. C'est pour cela que le rapport tête / corps n'est pas un simple exposé à partir d'une description zoologique du corps, il s'agit du rapport de "l'unité maintenante" et de "la totalité des dispersés qui sont recueillis dans cette unité" : c'est cela qui constitue l'Ekklêsia.

« Un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême » : ces trois mots tiennent ensemble. En effet « Jésus est Seigneur » signifie en premier : « Jésus est ressuscité », c'est-à-dire qu'il est le maître de la mort. Qui dit cela ? “une seule foi, un seul baptême”. Le mot "baptême" ici signifie la même chose que le mot "foi", alors que chez nous la foi est une opinion et le baptême est une gesticulation, une pratique. Il faut que nous entendions bien cela.

Il nous faudra donc réfléchir sur l'essence même du mot "baptême" quand nous le rencontrerons en étant attentifs à penser ce mot à partir de la visée de Paul.

 

2) Conséquences de ces quatre mouvements.

Saint-Remy baptise Clovis, détailJ'insiste beaucoup sur le langage, je vais vous dire pourquoi : c'est que nous avons oublié cette symbolique du langage et nous voulons pratiquer des rites. Nous voulons ? Je n'en sais rien, mais nous pratiquons des rites qui sont privés par là de leur intelligibilité, et du même coup, il n'y a pas d'autre recours que de les rendre obligatoires ! Je veux dire par là : si le geste n'est pas activé de l'intérieur, du fait d'être l'accomplissement d'une écoute, la seule solution est de le rendre obligatoire. C'est pourquoi le squelette de notre concept de sacrement, c'est "ce qu'il faut faire pour" comme nous le disent les curés. Et d'ailleurs que ce geste soit fait pour obéir au curé ou pour faire plaisir à ses parents, c'est la même structure : le geste n'est qu'un moyen, c'est une pratique.

Or justement, le baptême n'est pas une pratique. Recevoir le baptême : on ne fait rien, c'est Dieu qui fait.

Nous avons lu Marc 10,38 : « Pouvez-vous boire la coupe que je bois et être baptisés du baptême dont je suis baptisé ? »  où "baptême" est nommé comme un mot que le Christ emploie. Et dans cette phrase il est question aussi de la signification de l'eucharistie : "boire la coupe", c'est s'incorporer l'acquiescement paradoxal du Christ à sa mort.

 

SYMBOLIQUES DU BAPTÊME

 

Que veut dire alors "baptiser" ? C'est un fréquentatif du verbe grec bapteïn qui signifie plonger, tremper, et même quelque chose comme "tremper pour teindre". Je vais vous dire pourquoi.

teintureEn début du IIIe siècle, Tertullien écrit en latin, un latin très difficile – il connaît le grec mais il est le premier Père de l'Église à parler latin parce qu'à l'époque tout le monde parlait grec à Rome – il est intéressant de voir les mots qu'il choisit. Son traité s'appelle bien De baptismo, mais chaque fois qu'il est question du verbe "baptiser" ou de "recevoir le baptême", il emploie le verbe "teindre" – en fait ce n'est pas le verbe "teindre" mais c'est tinguere (tremper), à savoir ce qui donne la tinctio. Le baptisé est tinctus, il est "trempé".

Je lisais tout à fait par hasard et pour de toutes autres raisons l'Évangile de Philippe qui est un évangile gnostique apocryphe qui a beaucoup de choses sur les sacrements. C'est un bon témoin sur les sacrements au IIe et IIIe siècle, dans un cadre qui n'est pas exactement celui de la grande Église mais qui recueille beaucoup de choses. Or il raconte que Jésus entre chez Lévi le teinturier – je ne sais pas où il a pris cela parce que Lévi c'est Matthieu, mais peu importe, je ne sais pas quelle tradition se cache derrière :

  • «  25Le Seigneur entra dans la teinturerie de Lévi. Il prit soixante-douze couleurs et les jeta dans le chaudron, puis il les retira toutes blanches et dit : « C'est ainsi que le Fils 30de l’homme est venu comme teinturier[1]. » (Sentence 54)

Donc ici le mot "baptême" est quelque chose qu'il ne faut pas prendre comme une étiquette pour désigner quelque chose que l'on croit sacré, mais qu'il faut essayer de saisir à partir des contextes, à partir des lieux où il est prononcé en premier, et à partir des mots. Il y a un travail de ce jour qu'il nous importe de faire, sinon pour nous les mots ne sont que des étiquettes.

 

► Ce que vous dites est compliqué parce que, si quelqu'un a le désir du baptême, on ne va pas chercher midi à quatorze heures !

J-M M : C'est en un sens possible, et néanmoins ce que je dis ne veut pas contester que des choses comme le désir du baptême dépassent totalement l'idée que nous pouvons en donner. Néanmoins, ceci étant acquis, notre tâche est aussi d'entendre ce que nous faisons en étant baptisés. Et même si nous avons été baptisés sur une demande d'autrui qui avait son évidence, le baptême n'est pas quelque chose qui est fait une fois pour toutes. Il est fait une fois pour toutes en ce sens qu'il ne se réitère pas. Cependant, puisque le mot "baptême" a le même sens que le mot "foi", cela signifie que toute foi est baptismale : la foi du catéchumène est une foi en vue du baptême ; dans l'acte du baptême, la foi est baptismale ; et ensuite, le baptisé a une foi qui reste baptismale, c'est cette dimension qui accompagne la foi.

On peut dire la même chose du reste de l'eucharistie : il n'est pas nécessaire de manger du pain pour que la foi soit eucharistique, elle l'est déjà.

L'eau pour le baptême et le pain pour l'eucharistie développent gestuellement, en l'incorporant, la chose qui est radicalement la foi. Et cette corporation, cette incorporation ou cette co-corporation, c'est quelque chose d'étranger à la mentalité d'aujourd'hui.

 

baptistère de Demna, Cap Bon► Les protestants cherchent un autre mode de baptême, souvent ils le font par immersion…

J-M M : Cela n'a rien à voir ! La symbolique de l'immersion a évidemment une signification, mais la validité du baptême n'est pas limitée à la symbolique de l'immersion, d'autant plus que le mot "tremper" est d'une certaine façon préférable au mot "plonger".

Souvent on dit que pour notre baptême, il s'agit d'un mimétisme : de même que le Christ s'est trempé dans le Jourdain, de même il faut que nous soyons trempés dans l'eau du baptême. Or ce n'est pas simplement cela, c'est beaucoup mieux que ça !

 

Par ailleurs la mort et la résurrection du Christ sont elles-mêmes célébrées dans le Baptême du Christ. Le Baptême du Christ est ce qui ouvre l'Évangile, et de même, notre baptême est le geste premier qui introduit dans la foi de l'Église.

Je viens de dire que le Baptême du Christ c'est l'ouverture de l'Évangile, et c'est aussi qu'il soit plongé dans la mort. L'expression "plongé dans la mort" est l'ouverture de l'Évangile parce que c'est très précisément la plongée initiale dans la vie mortelle. En effet c'est cela la mort. Or sa vie mortelle a déjà la qualité de résurrection, c'est-à-dire que le mode de vivre du Christ et son mode de mourir c'est la même chose parce qu'ils ne sont pas simplement dans la situation de lui être imposés. Autrement dit, il n'est pas captif de la puissance de mort : il est mort en acquiesçant – non pas que mourir en acquiesçant soit une chose qui ne se produise pas, du moins dans une certaine phase psychologiquement, mais ce dont il s'agit pour le Christ, c'est d'un acquiescement fondamental, d'un acquiescement donné, c'est : « Ma vie, personne ne la prend, je la donne » (Jn 10, 18), c'est ce qui fait de sa mort une mort pour la vie et non pas une mort pour la mort. Ceci est un lieu fondamental chez saint Jean toujours à réentendre.

 

●  Autres symboliques du baptême : oindre, vêtir, introduire dans l'espace de lumière

Par ailleurs, il y a aussi le thème de l'onction. Il ne faut pas oublier que Christos signifie "oint" donc "baigné", "mouillé", "trempé" – trempé étant le meilleur mot. Il est trempé dans l'eau de la mort – mais en fait non, il est trempé dans l'eau de l'Esprit, de même qu'il est oint de l'Esprit qui descend sur lui et qui le fait Christ – et il est relevé (ressuscité) Christ dans la gloire du Père.

Onction au baptême, idées Cathé

À propos du baptême il y a aussi la symbolique du vêtement. On la trouve chez saint Paul, où il y a toute une symbolique du "revêtir". Elle a quelque chose de différent de ce que nous pouvons spontanément comprendre parce que le vêtement pour nous est quelque chose comme une pelure qui se met par-dessus, qui peut s'enlever, qui est secondaire, alors que dans la symbolique biblique du vêtement, le vêtement est plus important que le corps car le vêtement dit la qualité ou le comportement du corps. Le vêtement c'est l' "habit", un mot de même racine que habitudo (comportement), habere (avoir), habitation… Et il y a chez saint Paul le thème de « revêtir le Christ » et il faudrait voir que ça veut dire.

 

baptême, transmission de la lumièreIl y a donc toute une symbolique complexe du tremper, du oindre, du vêtir, et aussi d'introduire dans l'espace de lumière. Dans les premiers temps, le baptême s'appelait "illumination" (phôtismos).

Je vous dis tout cela en passant car il ne s'agit pas de tout développer mais j'essaye ici d'inviter à penser le baptême. En effet, baptisé enfant ou baptisé adulte, nul ne sait en plénitude ce qu'il vit lors du baptême donné à l'Église, pas plus l'adulte même si c'est un peu plus que l'enfant, de toute façon ce qui se joue là dépasse infiniment les intentions conscientes, les conceptions, les idées que l'on a sur le baptême. La raison en est simple, c'est que dans la rencontre avec Dieu il y a toujours un des termes qui m'échappe. Je peux bien dire l'idée que j'en ai, mais la vérité de la rencontre me dépasse. Cela fait que méditer la foi, ou la méditer en faisant référence à mon baptême, c'est quelque chose qui n'est jamais achevé, qui est toujours à poursuivre.

 

3) Réflexions par mode de questions-réponses.

 ► J'ai une question à propos du baptême : un baptême pratiqué sans avoir conscience de tout cela… par exemple quand on fait baptiser un enfant, ou même comme nous avons été baptisés nous-mêmes, est-ce qu'il est porteur de tout ce que vous décrivez ?

J-M M : Absolument. Et c'est une chose qui nous échappe parce que nous mesurons tout à l'aune du sentiment ou de l'impression que l'on a de ce qui se passe. Une messe furtive dans une église mal balayée a autant de valeur qu'une messe où il y a beaucoup de guitare. Je ne dis pas qu'il faille dire la messe dans des endroits sales, mais je veux dire que ce n'est pas cela qui décide de la vérité de ce qui se passe.

Or bien sûr, le baptême est - j'allais dire - germinatif, c'est-à-dire qu'il signifie et donne en tant que geste l'amitié de Dieu ou la filiation - plus exactement il fait de nous des enfants. Il le fait de façon réelle même si ce n'est que virtuel du point de vue de la conscience. C'est-à-dire que cette virtualité demeure, et si j'ai été baptisé enfant et donc sans catéchuménat préalable, la catéchèse est le moment où il m'est donné de laisser devenir actif cela qui est virtuellement donné en moi.

J'ai rencontré une personne baptiste qui a été baptisée catholique autrefois. Elle m'a dit : j'ai eu deux baptêmes, le premier ce n'est rien du tout, il n'a rien fait, j'étais enfant, et mon vrai baptême, c'est dans l'assemblée baptiste, là j'ai vraiment reçu le Saint Esprit. Je n'ai rien à dire contre des choses de ce genre, simplement je me suis dit qu'il y avait une confusion ici probablement entre le proprement sacramentel (et ce qui est requis de lui), et puis l'affectif, la conscience affective des choses. Très modestement, je me suis permis de lui dire : « peut-être que ce baptême dans l'Esprit était la fructification de cette semence qu'était votre premier baptême, simplement. » C'est du reste ce qui, pour moi, est plausible.

M B (Maurice Bellet) : Tu disais tout à l'heure qu'il est important d'entendre la grande symbolique de la Parole pour que ça ne se dévalue pas en rite obligatoire. Alors je crois que dans la demande des gens par rapport au rite et à l'état du rite, il y a une ambiguïté qui est intéressante à relever. Il peut y avoir aussi une réquisition du côté de ce que tu évoquais et le discernement des deux est important.

J-M M : C'est pour toutes ces raisons qu'il ne faut pas se targuer de savoir exactement ce qu'il en est. Il faut toujours être très prudent même quand on est éventuellement soupçonneux. Et des législations fracassantes sur les bonnes conditions pour être admis au baptême, c'est quelque chose qui me laisse soupçonneux.

Du reste, ce que j'évoquais à propos de la symbolique du baptême vise quelque chose de beaucoup plus large et à plus long terme si on veut, que la simple reviviscence (mot qui a un sens technique, théologique). La maturation de mon baptême dans ma première vie d'enfant, de chrétien… cela se fait par la vie chrétienne, ce n'est pas seulement par la méditation sur les symboles.

Ce que je voulais dire, c'est que le visage du baptême, à un niveau d'annonce faite par l'Église, a besoin de re-puiser le sens originel du baptême. Il y a deux degrés là, et on sera amenés dans doute à dire d'autres choses.

 

baptême d'enfant avec mère► Le baptême d'un enfant, cela exprime quelque chose qui vient d'un adulte. Mais que l'enfant soit baptisé ou non, ça n'a de valeur que s'il le désire, et cela disparaît s'il ne désire pas.

J-M M : Non, ce n'est pas si simple que ça. On ne peut en aucune façon supputer le désir du baptême chez un bébé de trois mois. Je ne dis pas qu'il ne le désire pas, mais que pour déceler et interpréter son désir comme désir de baptême, il faudrait être fort ! En revanche il y a une chose très importante, une chose négative, à savoir qu'on ne naît pas chrétien. Personne ne naît chrétien. On peut naître dans la meilleure famille, la plus chrétienne du monde, mais on ne naît pas chrétien. En effet, nul, s'il ne naît de cette eau-là qui est le Pneuma n'est introduit dans le royaume comme le dit saint Jean au chapitre 3. Alors, attention ce n'est pas un texte dont on puisse se servir immédiatement d'un point de vue sacramentaire pour la bonne raison que "naître à partir de cette eau-là qui est l'Esprit" cela veut dire : "vivre à partir de l'Esprit de résurrection", et donc cela vise particulièrement des adultes puisqu'il s'agit de se ré-identifier de plus originaire que mon identité de naissance à ce monde-ci.

De plus, pour ce qu'il en est du baptême des petits-enfants, ce qui est concerné en premier, c'est les parents – et en fait je ne devrais pas dire "en premier", mais dire que c'est co-originaire. Par le fait même de donner son bébé à baptiser, les parents acceptent une sorte de dépossession qui n'est pas psychologique. Et je vais dire une chose qu'il ne faut pas entendre psychologiquement : les parents continuent à être psychologiquement père et mère, mais spirituellement le bébé est un frère, c'est-à-dire qu'il y a une dimension de cet être, comme de tous les frères, qui n'est plus seulement du rapport parents / enfant. Ça nécessite ou ça suppose que cela suscite chez les parents une autre attitude qui peut avoir même des conséquences d'ordre psychologique à condition néanmoins que les fonctions parentales, autant qu'elles ont joué dans l'ordre psychologique, ne soit pas compromises par cela.

Cela touche l'enfant en quoi ? D'une certaine manière, un individu, qu'est-il sans ses multiples relations constituantes ? Or le bébé est cela dès l'entrée, il entre par de multiples relations constituantes et donc, de quelque manière, il est concerné par cela.

C'est là aussi qu'il faut être très prudent à la mesure où il s'agit de quelque chose qui dépasse non seulement la psychologie de l'enfant, mais aussi celle des parents, et même celle de ceux qui assistent au baptême.

 

On dit qu'on s'engage dans le baptême. Or, pas du tout ! Le baptême c'est quand Dieu s'engage pour quelqu'un. Il faut en finir avec les engagements du baptême. Le baptême, c'est le geste de reconnaître que Dieu s'engage, c'est-à-dire qu'il s'engage pour l'humanité – ça c'est le Christ tout entier –, et je me mets sous cet engagement. Le baptême est bien une activité mais ce n'est pas essentiellement une activité de l'homme, c'est essentiellement une activité de Dieu.

Et quand je dis que cela qui se fait dans l'enfant au baptême est une réalité virtuelle, c'est une façon de m'exprimer. Je ne sais pas bien ce que cela veut dire, mais justement je veux nommer cet espèce d'engagement de Dieu par rapport à cet enfant, engagement qui est reconnu et célébré par la communauté, et je crois que c'est très important. Il y a eu un temps où l'on pensait toujours par mode d'entités, y compris à propos de la grâce et du don de la grâce. Ce n'était pas forcément aussi idiot que cela, mais c'était aussi largement intelligent que les nominations psychologiques dont nous sommes coutumiers. Ce n'est plus de notre époque, mais, nous n'avons pas le moyen de marquer ce qui était marqué par là.

La question que l'on peut se poser finalement : je dis que Dieu s'engage et cela veut dire quoi ? Est-ce qu'il y a quelque chose qui se produit ou est-ce simplement un signe ? Voilà toute la question que l'on pose constamment à propos des sacrements. L'eucharistie ne ferait pas de difficulté si c'était une réunion par laquelle les chrétiens signifiaient la mort du Christ. Alors il faut récuser la question même. La théologie a reçu cette question puisqu'elle a dit : le sacrement est un signe mais c'est un signe efficace. Il lui a fallu le concept de signification et le concept de cause pour expliquer la chose.

Mais ce qu'on trouve chez saint Paul dans la lettre aux Éphésiens, c'est la sacramentalité originelle qui est tout autre chose que le concept théologique de sacrement. En effet sacramentum est la traduction latine du mot grec mustêrion. Or le rapport de mustêrion / apocalupsis, est un rapport de secret à dévoilement, un rapport de semence à fruit, un rapport de désir à corporation, à incorporation, à co-corporation, et ce rapport-là a pour caractéristique que le dévoilement est un dévoilement accomplissant. Et cela, nous n'avons pas de mot pour le dire.

 

●   Parenthèse sur une phrase d'Héraclite : « L'éclair gouverne la totalité »

Je relisais ces jours-ci ce séminaire que Heidegger a fait sur les fragments d'Héraclite. Héraclite est un présocratique du Ve siècle avant JC. On a plus d'une centaine de petits fragments détachés de lui, est un de ces fragments c'est : « L'éclair gouverne la totalité ». L'éclair est dans la symbolique du feu, et la question que nous pouvons nous poser c'est : est-ce que l'éclair, c'est le geste qui pose la totalité (une espèce de geste créateur), ou bien est-ce que c'est un geste qui éclaire pour qu'on puisse connaître ce qui est déjà fait ?

Autrement dit, les questions que nous pouvons poser ici à propos de cette symbolique : est-ce qu'il s'agit de faire ou bien d'éclairer ce qui est déjà fait ? Voilà : le connaître ou le faire venir… Il est normal que nous nous posions cette question, et cependant, Heidegger et son assistant Rinckl (qui font ce séminaire et qui ne sont pas des gens qui batifolent avec le symbolisme) sont conduits à faire remarquer que la question ainsi posée est une question qui peut être dissoute parce qu'il s'agit de quelque chose de plus originaire, du genre de ce que nous évoquons dans le rapport mustêrion / apocalupsis c'est-à-dire le dévoilement accomplissant.

Et c'est là que l'idée de graine est très importante parce que la semence, c'est le symbole peut-être le plus éclairant. En effet la semence fait voir en faisant venir le fruit du même mouvement. Il y a une symbolique à base végétale ici qui est probablement indépassable, et toutes les symboliques de l'ordre de la construction risquent de ne pas garder précisément cela. Le symbole de la semence et du fruit est un symbole très puissant chez saint Paul et chez saint Jean. D'ailleurs c'est intéressant parce qu'il régit des symboles divers : il régit le symbole du vêtement en 1Cor 15 où il s'agit de la graine nue dans un contexte où la graine fait venir le corps, et le corps c'est la même chose que le vêtement en ce sens. C'est une symbolique qui se joint aussi à une symbolique de la construction à propos de l'édification du corps ou de la croissance du temple, choses qui sont quand même gênantes pour notre imagerie spontanée.

 

► Mais donc, ça veut dire qu'il n'y a pas besoin du baptême, tout enfant qui naît…

J-M M : Bien sûr qu'il n'y a pas "besoin" du baptême. Et tu es en train de me redire que le baptême est un moyen, or c'est ce que je viens de dénoncer. D'après la phrase « Si quelqu'un ne naît pas d'eau et esprit… », on voit bien que ce n'est pas de l'ordre du besoin, mais que c'est infiniment plus important que si c'était de l'ordre du besoin. Là n'est pas la question.

► Pour moi le baptême c'est un contrat, je le prends comme cela.

J-M M : Eh bien, faites ce que vous voulez. Le concept de contrat, y compris d'ailleurs dans sa désignation d'alliance est un concept vétéro-testamentaire qui n'est pas repris véritablement par le Nouveau Testament, le mot ne se trouve que deux ou trois fois dans le Nouveau Testament comme "alliance nouvelle et éternelle", et il n'est pas structurant du Nouveau Testament même si beaucoup de gens le prétendent.

► Est-ce qu'on peut dire qu'un baptême donné à un enfant, c'est le signe que Dieu s'engage auprès de chaque enfant même s'il n'est pas baptisé ?

J-M M : Je n'ai pas dit cela tout à fait comme ça. Néanmoins cela a un sens. Ce qui est très vrai, c'est que je ne célèbre bien le baptême que si je le célèbre dans cette écoute que Dieu veut le salut de quiconque, et donc du même coup mon baptême, au lieu d'être quelque chose qui me sépare, est une chose qui est appelée à témoigner pour. En ce sens-là, c'est tout à fait plausible.

Mais alors, le point difficile et il est important de le souligner, c'est de bien voir que la signification ne suffit pas : il y a une signification accomplissante et néanmoins cet accomplissement, je ne dois pas le penser dans le champ du moyen pour quelque chose. C'est donc tout cela qui est à retravailler.

► C'est pourquoi j'attendais un mot que je n'ai pas entendu, à savoir cette fameuse gratuité de Dieu. C'est la gratuité de la semence, et on n'a pas à savoir quand cela donne ses fruits.

J-M M : Tout à fait, c'est toute la question, et c'est le mot fondamental de saint Paul. C'est pourquoi le terme d'alliance n'est pas heureux pour dire le propre du Nouveau Testament. Et c'est la question qui remue Paul ici, car il vient de dire que nous ne sommes plus sous la loi, et il évoque la circoncision comme un des éléments. Mais si je pense le baptême comme le simple remplaçant de la circoncision sur le mode sur lequel la circoncision était pensée, alors je ne suis pas fidèle à la pensée de Paul.



[1] Traduction de  Jacques E. Ménard avec en note : « C'est ce monde psychique que le Christ plonge dans l'eau du baptême pour le rendre immaculé. Il y a ici une allusion au rite valentiniens du baptême qui consiste en une immersion et d'une remontée et, peut-être aussi, au vêtement blanc baptismal.

 

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