Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
La christité
La christité
  • Ce blog contient les conférences et sessions animées par Jean-Marie Martin. Prêtre, théologien et philosophe, il connaît en profondeur les œuvres de saint Jean, de saint Paul et des gnostiques chrétiens du IIe siècle qu’il a passé sa vie à méditer.
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Newsletter
Visiteurs
Depuis la création 1 094 393
Archives
20 mai 2019

“L'évangile est parole de Dieu” : Qu'est-ce que ça veut dire ?

« Qu'une parole soit "parole de Dieu", comment est-ce que je le sais ? » : cette question amorce le dialogue transcrit ici.  Jean-Marie Martin a été professeur de dogmatique à l'Institut Catholique de Paris, après avoir fait des études à Rome. Il nous donne un point de vue d'Église.

Il a animé pendant des années, des rencontres à Saint-Bernard de Montparnasse (Paris) tous les 15 jours. En 2009-2010, pour la deuxième année, le thème était celui du temps. À la fin d'une séance, un échange s'est instauré à propos de ce qui est "parole de Dieu" pour nous aujourd'hui. Cela l'a conduit à parler du corpus, du magistère… de façon très rapide.

Pour éviter d'ajouter des notes, voici la liste des messages qui complètent ce qui est dit ici :

 

“L'évangile est parole de Dieu” : Qu'est-ce que ça veut dire ?

Par Jean-Marie Martin

 

acclamation de la Parole, J-F Kieffer

► On dit que l'évangile est parole de Dieu, mais si quelqu'un me demande ce que j'entends par là, je n'irai pas très loin.

J-M M : Votre question ouvre un aspect qui a trait à la différence épistémologique entre l'historien et le travail que nous faisons ici.

Qu'une parole soit "parole de Dieu", comment est-ce que je le sais ? Cette question est celle de la canonicité, et c'est autre chose que la question de l'inspiration, de l'inhérence… des choses qu'on confond souvent à propos de l'Écriture Sainte. Pourquoi est-ce que je dis que l'évangile de Jean est parole de Dieu alors que l'évangile de Philippe qui est très intéressant n'est pas parole de Dieu ?

► C'est l'Église qui le dit.

J-M M : Oui, mais il faudrait savoir qui a déterminé le corpus, et d'abord savoir en quel sens par exemple, l'évangile est parole de Dieu.

L'évangile que nous lisons est parole de Dieu non pas simplement en ce sens qu'il relaterait des paroles du Dieu que fut Jésus, il est parole de Dieu dans sa texture d'écriture. Il n'est pas parole de Dieu parce qu'il relate les paroles de quelqu'un qui est Dieu. Et donc, qu'il soit parole de Dieu, l'homme singulier que je suis ne peut pas en décider. La question pourrait se poser dans d'autres traditions religieuses, mais elle a une signification plus particulière je pense pour ce qui concerne l'évangile.

La parole qui a été retenue comme parole de Dieu a pour caractéristique d'être multiple, d'être dissonante, d'être un recueil, une collection d'ouvrages. C'est une collection relativement restreint dans le temps de l'écriture si l'on compare avec ce qui est parole de Dieu au sens strictement juif qui, lui, est vraiment une collection où l'histoire comme histoire a son chemin.

Pour nous chrétiens, la parole de Dieu est déterminée comme parole apostolique. Autrement dit, pour qu'une parole soit reconnue comme parole de Dieu, il faut que ce soit une parole de l'âge apostolique. À la mort du dernier des apôtres, il n'y a plus "parole de Dieu" au sens canonique du terme.

La liste du corpus s'est effectuée progressivement. Les communautés ont pris l'habitude de lire des lettres qu'elles avaient reçues de Paul, ou se sont servis de récits de Jésus élaborés dans des liturgies…. Ces choses ont été rassemblées. Et ce qui est intéressant en cela, c'est qu'il y a eu une élaboration qui a été, d'une certaine façon, collective. J'ajoute, puisque la position que je prends par rapport à l'Écriture ne m'empêche pas d'être attentif à des probabilités historiques, qu'on pourrait même penser percevoir parfois dans certains passages un souci communautaire. Par exemple dans les derniers chapitres de Jean, et même dans l'ensemble de son évangile, on sent le souci de raccorder peut-être une tradition des communautés issues de Pierre avec la tradition des communautés johanniques.

C'est donc l'âge apostolique qui a produit la Parole, et c'est l'âge post-apostolique qui en a reconnu les limites, qui a reconnu la liste des ouvrages retenus. Tout s'est constitué progressivement. Les premières listes que nous avons datent de 180 après Jésus-Christ.

Nous avons donc ici des traits qui caractérisent l'Évangile initial comme étant rapidement collectif dans sa détermination parce qu'il est fondamentalement collecteur. Autrement dit, l'individu n'est pas à la mesure de ce qui se passe dans cette expérience fondamentale.

Aussi bien, Jésus ressuscité se manifeste de façon multiple. Nous avons des listes qui ne sont pas toujours exactement les mêmes. Elles ont été connues par des églises où des gens ont eu cette expérience du Ressuscité. Par exemple il y a une liste chez Paul en 1 Cor 15.

Par ailleurs il y a là quelque chose de multiple parce que c'est la révélation de ce que l'individu est déchiré – dieskorpisména : déchiré en lui-même et déchiré comme si Adam était une statue brisée, mise en pièces – de ce que l'homme seul est fragmentaire, de ce que l'individu comme tel n'est pas à la mesure de ce qui se manifeste dans la fonction récollective, rassemblante : « …en sorte que les enfants de Dieu déchirés (ta dieskorpisména) il les rassemble (sunagagê) pour être un » (Jn 11, 52). Ceci est tout à fait essentiel à la première prédication de l'Évangile, et ça met un rapport entre sa vocation et le caractère d'écriture qui est le sien, sans compter la différence des Écritures : différence des livres à l'intérieur du Nouveau Testament, et aussi apparentes contradictions qui sont multiples – par exemple Jésus dit « Je vous donne ma paix », mais il dit aussi « Je ne suis pas venu apporter la paix mais le glaive »… et vous pourriez faire une très longue liste de ces contradictions.

Ceci indique une autre chose à propos de la parole de Dieu : c'est une parole qui n'est pas dissertante, c'est une parole qui est transmise par le rabbi, et un rabbi a une parole opportune, une parole qui parle quand elle parle, c'est-à-dire une parole qui parle ici et maintenant pour le moment d'évolution du disciple. C'est une parole ajustée. C'est une parole qui se donne à entendre à l'heure où j'ai à l'entendre, donc ce n'est pas une structure de dissertation construite, et cela est essentiel.

On pourrait dire que Jésus parlait une parole de rabbi et que ce qui est venu ensuite c'est le dogme qui est une autre traduction. Voyez la parole de Loisy : « Jésus annonçait le Royaume, et c'est l'Église qui est venue. » Elle est non pertinente à certains égards, et cependant elle donne à penser parce qu'elle peut vouloir dire bien des choses.

C'est pour cela que souvent, plutôt que de faire une dissertation sur cette parole, je préfère qu'on échange entre nous parce que ça fait ressortir des aspects divers, des possibilités de sens divers.

 

► Pourquoi y a-t-il des livres qui n'ont pas été intégrés dans le corpus ?

J-M M : C'est justement l'expérience de l'ensemble des Églises. Par exemple le Pasteur d'Hermas est un ouvrage du IIe siècle, un ouvrage de visions qui n'est pas gnostique du tout, et certaines communautés l'ont un temps reconnu, on le trouve cité dans la liste des Écritures reconnues. Comme il n'a pas été reconnu par l'ensemble de toutes les Églises il ne fait pas partie du corpus.

La liste du corpus s'est donc effectuée progressivement, et il y a eu un moment où le corpus s'est déterminé et s'est fixé.

 

Nous venons de parler du corpus, mais il y aurait à prendre en compte la façon dont la Parole se gère et se distribue et s'articule au cours des siècles, les dogmes n'en sont qu'un exemple. Quelles sont les modifications apportées par rapport à la parole évangélique, mais aussi quel est leur sens, leur justification éventuelle… et aussi quelle est leur carence par rapport à la parole évangélique ?

Il y a donc à voir le moment de la constitution même des évangiles mais aussi leur réception au cours des siècles.

 ► Ça donne l'Église une autorité formidable.

J-M M : Pour répondre à ta question il faudrait d'abord reposer à nouveau la question : qu'est-ce que j'entends par "Église" ?

C'est Paul qui, le premier, emploie le mot Ekklêsia, et il dit qu'il y a dans cette Église des charismata. Si tous sont christiques, tous ne font pas la même chose, il y a des fonctions multiples. C'est un thème qui intervient dans 1 Cor… « Un seul Pneuma mais des charismata multiples. »

Or parmi les charismes il y a un "charisme de garde" qui est confié à Pierre[1] – ce n'est pas grand-chose, c'est un charisme entre autres – et ce charisme est pour une part hérité, c'est-à-dire que la fonction pétrine n'est pas héritée en totalité, mais le charisme de garde est réputé de bonne heure être hérité par les successeurs de Pierre, de même aussi que par l'ensemble des évêques entendus comme successeurs des apôtres. Mais là nous passons une étape.

Sur la façon dont le service de garde fonctionne, nous pourrions ouvrir aussi un débat. Quand on prononce le mot "Église", on entend souvent "institution hiérarchique"… Or il y a beaucoup de confusions sur la véritable structure hiérarchique de l'Église… mais je ne veux pas entreprendre cela maintenant. Cette histoire est fondée sur quelque chose d'authentiquement évangélique, mais elle a aussi un champ libre d'autodétermination. Ainsi les figures que le charisme de garde a prises au cours des siècles s'expliquent cette fois historiquement. Pierre et ses successeurs ont choisi la forme du droit romain parce que c'était ce qui existait là où ils étaient, mais ce choix est révisable. En principe l'Église pourrait un jour ne plus s'exprimer dans le langage du droit romain ; il y aurait des risques énormes, mais ça se pourrait.

Il y a quelque chose d'achevé, c'est l'expérience spirituelle fondatrice de la résurrection qui relie intégralement l'histoire de Jésus à la parole apostolique au sens où celle-ci est témoignante, Nous sommes dans une autre ère qui n'est plus l'ère de la plantation mais l'ère d'une croissance. Là, les articulations, les structures données subissent une histoire incroyable. Ça vaut pour la sacramentalité et pour le "régimen" (le gouvernement) – par exemple le magistère est une forme du "régimen". Le charisme de garde n'est pas un charisme sacramentaire. Sacramentellement le pape n'est pas plus que n'importe quel prêtre.

C'est en ce sens-là que la constitution Lumen gentium n'a pas abouti à grand-chose. Son but était de faire que les évêques aient leur mot à dire. Or ce n'est pas ça qui est intéressant dans l'Église.

Est-ce que j'ai le droit de dire ça ? Mais oui, j'ai le droit. Et qui me le donne ?

► Ma conscience.

J-M M : Non, ma conscience a besoin d'être informée. Ce qui me donne le droit de dire cela c'est la théologie romaine la plus rigoureuse. On se fait de fausses idées sur ce qu'il en est du régime de la pensée au cours des siècles, dans le fait et dans le droit.

Il faudrait réfléchir plus généralement sur le temps de l'Église par rapport au temps apostolique.

*   *   *

*

ANNEXE

Par Christiane Marmèche

 

Le fragment de Muratori, un document latin de 85 lignes datant de 170 environ est la première liste de livres reçus par des Églises, et il est en mauvais état. Il donne la liste des livres reconnus comme inspirés par l'Eglise de Rome à cette époque. L'épître aux Hébreux n'y est pas citée (à cause de l'état du texte on ne peut savoir si les épîtres de Jacques et de 2 Pierre étaient dedans). C'est en 1897 que quatre fragments de ce Canon ont été trouvés dans des manuscrits des XIe et XIIe siècles de la bibliothèque du Mont-Cassin.

On sait par exemple que l'épître aux Hébreux était reçue en Orient mais pas en Orient, et que par contre, l'Apocalypse était reçue en Occident et pas en Orient. Et ceci a duré jusqu'au IVe siècle.Les 27 livres du Nouveau Testament ont été écrits en grec. Le plus ancien manuscrit complet qu’on a du NT date du milieu du IVe siècle; découvert au monastère Sainte-Catherine du mont Sinaï en 1859, il s'appelle le Sinaiticus.

 En 363 ap. J.-C., le concile de Laodicée déclare que seul l’Ancien Testament (apocryphes compris) et les 27 livres du Nouveau Testament peuvent être lus dans les Églises. Les conciles d’Hippone (393 ap. J.-C.) et de Carthage (397 ap. J.-C.) donnent la même liste de 27 livres comme faisant autorité. La  fixation  définitive du canon du Nouveau Testament n’a eu lieu qu’au concile de Trente (1545 - 1563). C’est alors que l’adhésion au Canon devient  un  acte  de  foi  nécessaire.

Dans les « originaux » de la Bible, il n'y avait aucune séparation entre les mots, ni les voyelles, aucune ponctuation. C’est probablement autour de l’année 1226, qu'Étienne Langton, archevêque de Canterbury et grand chancelier de l’Université de Paris, divisa en chapitres l’Ancien Testament et le Nouveau Testament sur ​​le texte latin de la Vulgate de saint Jérôme. Il en fut alors de même pour la Bible hébraïque, le texte grec du Nouveau Testament et la version grecque de l’Ancien Testament. La division des chapitres en versets date de 1553 avec la Bible française de Robert Estienne, un imprimeur français. Ceci sera étendu aux Bibles protestantes, catholiques et plus tard aux Bibles hébraïques..

Voici un tableau des livres de deux testaments qui montrent des analogies de structure...

 

comparaison Ancien et Nouveau Testament

 

 



[1] Ceci est dit dans une symbolique pastorale, Jésus lui confie le soin de veiller sur le troupeau.

 

Commentaires