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La christité
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  • Ce blog contient les conférences et sessions animées par Jean-Marie Martin. Prêtre, théologien et philosophe, il connaît en profondeur les œuvres de saint Jean, de saint Paul et des gnostiques chrétiens du IIe siècle qu’il a passé sa vie à méditer.
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1 février 2019

Lecture de Rm 9, 4-13 puis étude : "La supplantation de l'ancien et l'accomplissement du plus originaire", par J-M Martin

Dans les chapitres 9-11 de l'épître aux Romains saint Paul traite des rapports entre Israël et des nations, Ces chapitres ont donné lieu à des lectures purement historiques, ce qui a donné des spéculations sur la destinée historique d'Israël – entendez les juifs – qui sont hors de propos si une meilleure lecture est faite de ce texte. Dans le dossier présenté ici qui recoupe plusieurs interventions de Jean-Marie Martin, vous trouverez une lecture tout en finesse qui tient compte de ce que dit Paul (la supplantation de l'aîné  par le cadet) mais replace cela dans une autre perspective. J-M Martin en profite aussi pour voir de quelle manière Paul relit l'Ancien Testament, en particulier d'où vient l'expression "Église de Dieu".

Les premiers versets ont été lus très rapidement, on pourra se référer à une étude plus complète faite par un ami de J-M Martin : Par Joseph Pierron : Lecture commentée de Rm 9, 1-5 précédée d'un regard sur Rm 9-11 (Israël et les nations).

Le message suivant portera sur la lecture des versets suivants, Rm9, 14-20, avec une réflexion sur "y a-t-il de l'injustice en Dieu ?"

 

Lecture de Rm 9, 4-13

suivie d'une étude plus générale :

La supplantation de l'ancien et l'accomplissement du plus originaire

 

 

Paul écrivant aux Romains, enluminure de la Vulgate

Rm 9, 4-20 (D'après la traduction de la Bible de Jérusalem)

« 3Je souhaiterais d’être moi-même anathème, séparé du Christ, pour mes frères, ceux de ma race selon la chair, 4eux qui sont Israélites, à qui appartiennent la filiation, la gloire, les alliances, la législation, le culte, les promesses 5et aussi les patriarches, et de qui le Christ est issu selon la chair, lequel est au-dessus de tout, Dieu béni éternellement ! Amen. 6Non certes que la parole de Dieu ait failli. Car tous les descendants d’Israël ne sont pas Israël. 7De même que, pour être postérité d’Abraham, tous ne sont pas ses enfants ; mais c’est par Isaac qu’une descendance portera ton nom (d'après Gn 21, 12) 8ce qui signifie : ce ne sont pas les enfants de la chair qui sont enfants de Dieu, seuls comptent comme postérité les enfants de la promesse. 9Voici en effet les termes de la promesse : Vers cette époque je viendrai et Sara aura un fils (d'après Gn 18, 12.14). 10Mieux encore, Rébecca avait conçu d’un seul homme, Isaac notre père : 11or, avant la naissance des enfants, quand ils n’avaient fait ni bien ni mal, pour que s’affirmât la liberté de l’élection divine, 12qui dépend de celui qui appelle et non des œuvres, il lui fut dit : L’aîné servira le cadet (Gn 25, 23) 13selon qu’il est écrit : “J’ai aimé Jacob et j’ai haï Ésaü.” (Ml 1, 2-3). »

 

1) Dénominations et propriétés d'Israël : Rm 9, 4-5.

Les versets 4 et 5 donnent des caractéristiques d'Israël. Au chapitre 2 on avait déjà vu une première dénomination clairement énoncée avec des caractéristiques : « 17Toi tu te nommes Ioudaïos (Judéen, juif), tu te reposes sur la loi, tu mets ta suffisance (ou ta fierté) en Dieu…  » Ici c'est un peu différent.

 « 4Ils sont israélites, à eux sont la filiation, la gloire et les alliances ; le don de la loi, le culte et les promesses. 5A eux sont les pères et desquels est le Christ selon la chair. Lui (Dieu) est au-dessus de tout, Dieu béni pour les éons. Amen.»

Regardons quelques-unes des propriétés énoncées dans ces versets.

Ils sont israélites c'est-à-dire descendants de Jacob dont Israël et le second nom. Autrement dit, ils se réfèrent au patriarche qui est l'éponyme, c'est-à-dire au nom du peuple qui est en même temps le nom du père du peuple.

À eux est la filiation : le peuple d'Israël est "fils de Dieu". Et nous nous sommes servis de cette réflexion pour entendre mieux « Tu es mon fils, aujourd'hui je t'engendre », et aussi « Tu es mon fils en qui je me complais » et « Celui est mon fils, écoutez-le », autant de dénominations verbales qui sont venues de la voix du Père et qui portent sur le Christ. Cela nous permettait de dire que, dans ces expressions, le mot "fils" gardait sa signification collective puisque le peuple était fils de Dieu. Or la bénédiction paternelle qui tombe sur Jésus garde son caractère collectif, elle tombe donc sur l'humanité tout entière. Le Christ est le Fils monogène (fils unique) comme Isaac qui est dit monogène en Gn 22 et qui est un ancêtre encore plus ancêtre que Jacob. Cependant le Christ comme Monogène est plein des multiples enfants de Dieu qui sont désormais, non plus un peuple particulier, mais la totalité de l'humanité.

La gloire (doxa). Nous avons toujours dit que pour penser le mot doxa, il fallait passer par le mot français de présence. Tout d'abord, pendant la récréation au désert, il s'agit de la présence sous la tente située au cœur du peuple et puis ensuite ce sera la présence dans le temple. Israël a, dans sa terre, la présence de Dieu.

Les alliances. Le mot "alliance" est souvent employé au singulier et désigne alors l'alliance en Moïse, mais il s'emploie parfois au pluriel et marque éventuellement les alliances successives en Adam puis en Noé, ensuite il y a l'arc-en-ciel qui est un signe d'alliance, puis l'alliance en Abraham (mais pour cette alliance il y a un autre terme que nous verrons dans notre texte) et enfin l'alliance en Moïse. Ce n'est pas ce qui est visé dans notre texte puisqu'il s'agit d'alliances qui sont propres à Israël.

Le don de la loi… "À qui appartient la législation"…. Il en est abondamment question dans l'épître aux Romains. C'est un peuple qui a reçu de Dieu sa loi. Effectivement la loi a été donnée au pas le par Moïse, cette loi est constitutive du peuple.

Le culte qui est en rapport avec le Temple.

Les promesses. "Promesse" au singulier est un mot qui fait habituellement référence à Abraham comme nous l'avons déjà remarqué dans la lecture du chapitre 4. Moïse est l'alliance et Abraham la promesse, ici les deux mots sont au pluriel car on peut connumérer plusieurs alliances et plusieurs moments de la promesse au long de l'histoire d'Israël.

Les pères. Chez saint Paul, le mot "père" a deux sens : il désigne parfois les ancêtres des temps bienheureux de l'Exode, première constitution du peuple ; et il désigne parfois les patriarches (Abraham, Isaac, Jacob, notamment) – plus loin nous lirons "notre père Isaac".

À qui est le Christ c'est-à-dire que le Messie est promis au peuple d'Israël : l'attente du Messie est une caractéristique du peuple d'Israël

Vous avez donc une liste de dénominations et de privilèges par lesquels se caractérise le peuple d'Israël, privilèges dont Paul bénéficie lui aussi. Et c'est un scandale pour lui que ceux qui ont tous ces privilèges, y compris la promesse du Messie, lorsque le Messie arrive, ils ne le reçoivent pas. C'est aussi un grand chagrin, c'est ce qu'il dit dans les premiers versets.

 

À ces dénominations et propriétés, il faudrait ajouter d'autres termes qui se trouvent dispersés dans d'autres endroits de l'épître.

Le peuple de Dieu. Il s'oppose aux nations (aux gentils) : ha-am (le peuple) en opposition à hag-goïms (les nations). Le mot "peuple de Dieu" est toujours employé à propos d'Israël.

L'héritage (ou la part). Le mot "héritage" est souvent mis en référence à Abraham. De même la descendance (sperma) est souvent la descendance d'Abraham. Nous avons vu cela au chapitre 4 des Romains : les enfants (tekna) d'Abraham.

La circoncision (péritomé), mot que nous avons vu en passant, toujours chapitre 4. C'est une marque distinctive mais le substantif peut désigner le peuple : "la circoncision" désigne le peuple de Dieu ; "la non-circoncision" désigne les gentils.

Donc voilà un relevé de dénominations et de propriétés où se reconnaît Israël, ici lues à travers le texte même de saint Paul[1].

 

2) Ces dénominations sont traversées par un principe répartiteur.

Je vais exprimer en prenant pour modèle la distinction entre Israël et "les Judéens" (en grec c'est oï Iudaoï, mot qu'on traduit souvent par "les juifs")[2].

Le mot "juif" est utilisé surtout pour désigner le peuple, presque par contamination avec un regard déjà grec, c'est-à-dire que ça désigne pratiquement une ethnie alors même qu'ils ne se comptent pas comme une ethnie – ce serait un sens plutôt géographico-racial, plutôt racial peut-être, alors que le "peuple", "l'Israël de Dieu" désigne tout autre chose.

Pour éclairer cela, il suffit de penser que cette césure répartitrice que nous essayons d'apercevoir est déjà dans la bouche des prophètes juifs, lorsqu'ils s'adressent aux juifs, ils leur disent : “Vous n'êtes pas l'Israël de Dieu.”

Tout naturellement pour nous, la structure porteuse de cette répartition c'est la distinction du caché et de ses dévoilements, et nous avons beaucoup insisté pour que le caché par rapport au dévoilé ne soit pas pensé comme le projet ou le dessein par rapport à sa réalisation.

Ce caché est le référent qui perdure mais qui perdure comme caché. Et à la lecture des Éphésiens on peut être étonné de ce que ce thème constitutif du caché / manifesté soit réduit à annoncer que les païens aussi sont admis dans le caché de Dieu (qui est l'Israël de Dieu). En effet, la révélation du mustêrion, dit saint Paul, est que les nations sont co-héritières : « 3 il m'a été accordé de connaître le Mysterion selon une révélation (un dévoilement), […] 6les nations sont co-héritières, co-corporées, et co-participantes de la promesse, dans le Christ Jésus… » (Ep 3). Et on peut être étonné à première lecture, si on pense qu'il s'agit simplement ici d'une répartition horizontale, c'est-à-dire historico-géographique et qu'il y va de l'extension d'un peuple à d'autres peuples. Or pas du tout. Le rapport du caché au manifesté est tellement essentiel chez Paul que nous l'avons vu déjà comme le rapport ciel / terre, comme le rapport mâle / femelle, et il se lit maintenant dans le rapport Israël / les nations.

 

3) Ce principe répartiteur est au travail en Rm 9, 6-13

Le sein d'Abraham par Daniel le Noir, cathédrale de la DormitionIci nous retrouvons la suite du texte que nous lisions tout à l'heure. Paul ici se pose à lui-même des objections auxquelles il apporte une réfutation.

« 6Non que la parole de Dieu soit caduque. Car tous ceux qui sont issus d'Israël ne sont pas Israël. 7et parce que tous ceux de la descendance d'Abraham ne sont pas tous ses enfants – nous savons que parfois, "descendance (sperma) d'Abraham" est pris dans un sens mystérique (le rapport semence/fruit) ; mais ici il s'agit du principe répartiteur qui distingue "la descendance" entendue en sens racial et "les enfants" entendus comme enfants de la promesse. Ceci est développé dans la suite du texte – en Isaac sera appelée à toi une descendance. – cela signifie que –  8Ce ne sont pas les enfants de la chair qui sont enfants de Dieu, - en effet Ismaël est enfant de la chair d'Abraham et il n'est pas enfant de Dieu - mais les enfants de la promesse sont imputés (sont comptés, logizétaï) pour descendance (sperma). – On a le verbe "imputer" (compter) que nous avions rencontré au chapitre 4. C'est bien un principe répartiteur du genre de celui que nous avons premièrement détecté qui est ici à l'œuvre dans le texte de l'Ancien Testament. Paul reprend une thématique juive qui distingue les deux enfants d'Abraham : celui de la promesse (de la femme libre) et celui de l'esclave, mais il modifie : les fils de la femme libre sont les fils de la foi d'Abraham, c'est-à-dire les chrétiens ou le Christ lui-même.

9Voici la parole de la promesse : "En ce kairos je viendrai, et il sera à Sara un fils". – Et Paul donne un autre exemple – 10Non seulement [Sara aura un fils], mais aussi Rébecca ayant conçu du seul Isaac notre père  l'exemple est celui de Rebecca, la femme d'Isaac qui a eu dans son sein deux jumeaux, Jacob et Ésaü – 11car alors qu'ils n'étaient pas encore nés, ni n'avaient quelque chose de bien ou de mal, afin que demeure la disposition (prothésis) de Dieu, celle qui est selon un libre choix (eklogè), 12non à partir des œuvres, mais à partir de celui qui appelle (klesis),  il lui (à Rebecca) a été dit : "Le plus grand sera soumis (douleuseï,servira) au plus petit", 13selon qu'il est écrit : "J'ai aimé Jacob mais j'ai haï Esaü".

Ensuite commence une réflexion sur ce qu'une telle parole peut provoquer chez l'auditeur : 14Que dirons-nous donc ? Y a-t-il de l'injustice en Dieu ? – c'est quelque chose que nous verrons plus tard.

 

4) Le surgissement du neuf sur ce qui est ancien dans la ligne du temps.

Paul rappelle donc la parole que Dieu a adressée à Rebecca à propos des deux jumeaux qui sont dans son sein : « Le plus grand sera soumis au plus petit", 13selon qu'il est écrit : "J'ai aimé Jacob mais j'ai haï Esaü". »  Ce qui est rappelé ici, c'est une constance biblique : la dépossession de l'aîné qui est manifestation d'un plus originaire, à savoir la manifestation du caché de Dieu, c'est-à-dire de sa volonté (thélêma) au sens biblique, nous voyons apparaître cette volonté au verset 18 : « il fait miséricorde à qui il veut, et il endurcit qui il veut ».

Dans la Bible, l'irruption paradoxale de la vie sur des conditions de stérilité est une autre façon d'indiquer cette manifestation du plus originaire, autre façon de marquer l'intervention radicale de Dieu. Et sans doute, la notion de naissance virginale de Jésus en Marie est l'ultime écho de cela, c'est-à-dire la manifestation même de ce qu'il y a rupture dans un enchaînement, dans ce qui est acquis, dans ce qui est l'aîné, et par quoi surgit le neuf, le radicalement neuf qui est toujours le plus proche du plus originaire.

 

●  Deux sens du mot "ancien".

Ceci nous oblige à distinguer deux sens du mot "ancien" dans nos Écritures par rapport à la nouveauté, deux sens qui ne sont pas dans la même ligne.

– D'une part le Christ est la plus grande nouveauté et par suite le plus proche du plus originaire, le plus proche du plus ancien. C'est pour cela qu'il y a proximité immédiate entre l'annonce de la résurrection et les textes qui disent les premières choses. Le mot arkhê qui est le premier chez saint Paul et chez saint Jean ne dit pas le plus vieux dans le temps mais au contraire ce qui, étant plus originaire que le plus vieux, apparaît dans le plus nouveau. Autrement dit, il y a manifestation de l'arkhê dans la résurrection, présence de l'arkhê dans la résurrection.

– Mais d'autre part, cette nouveauté dénonce "l'antérieur", c'est-à-dire ce qui est "vieux dans la ligne du temps" cette fois, ce qui est ancien dans la ligne de la vieillerie, au sens paulinien du "vieil homme". Comprenez bien que le Christ n'est pas plus vieux que le vieil homme dans la ligne du temps, mais qu'il est plus originaire. Et cette dénonciation de l'aîné s'indique ici comme la dénonciation du grand au profit du plus petit, du premier au bénéfice du dernier.

Nous retrouvons une thématique évangélique en ses paradoxes multiples qui s'expriment en leur lieu à peu près de la même façon.

 

●  Une signification pour nous.

Or ceci a signification par rapport à notre vie et à notre façon d'être au temps. C'est-à-dire que, en nous, le droit d'aînesse – c'est-à-dire ce que nous avons acquis, ce que nous croyons posséder – doit être dépossédé constamment, supplanté par ce qui nous vient du plus originaire. Et je vous signale que le mot "supplanté" est la signification du nom de Jacob (le supplanteur), Jacob qui supplante Esaü.

 

●  Remarque sur la lecture de Rm 9.

Dans la lecture que nous venons de faire, nous avons proposé une lecture quasi anhistorique en l'interprétant de chacun de nous. Or ce qui est très important, c'est de voir que c'est effectivement ainsi que la résurrection surgit et ne cesse de surgir, et qu'elle surgit concrètement dans l'histoire des peuples, pour autant que les peuples se lisent comme histoire. Mais cela ne nous permet pas de mettre en face ou à côté de cette histoire une prétendue histoire sainte. Il s'agit désormais de ce qui se vit dans l'homme sur le mode sur lequel il vit, fût-ce historiquement. En tout cas, cette notion d'histoire n'a pas à être projetée en tant qu'histoire sainte. Ce qu'il en est de la résurrection est d'une autre qualité que la simple notion d'histoire.

Ceci est très important pour lire le chapitre 9 de l'épître aux Romains où il y va justement de la situation d'Israël et des nations, texte que l'on lit souvent d'une façon purement historique, ce qui a donné des spéculations sur la destinée historique d'Israël – entendez les juifs – qui sont hors de propos si une meilleure lecture est faite de ce texte.

Dans les versets que nous avons lus, tout est écrit pour mettre en évidence l'appel (klésis) de Dieu. Cette klésis coïncide totalement avec le thème de la grâce. « Ce n'est pas à partir des œuvres mais à partir de l'appel » est-il dit au verset 12, et naturellement cela nous introduit dans des difficultés bien connues et qui sont développées par Paul dans ce même chapitre : est-ce qu'il y a de l'injustice en Dieu.... ? l'idée de Dieu par rapport à l'idée de grâce.

Mais ce même thème d'appel, c'est aussi ce qui va se développer en ecclésiologie si on souvient que cet appel se dit klésis et qu'il s'agit de l'Ekklêsia, l'appel de la totalité de l'humanité.

 

6) La supplantation de l'ancien et l'accomplissement du plus originaire donnent lieu à des variations différentes sur le texte de l'Ancien Testament.

Ces variations concernant la relecture de l'Ancien Testament ne sont pas constantes, elles peuvent être différentes par exemple chez Paul et chez Jean.

Nous avons donc ici une structure qui est au travail sur le texte de l'Ancien Testament dans nos auteurs : dans Paul, dans Jean…. Nous allons regarder plusieurs thèmes.

 

a) D'abord, chez saint Paul, l'Exode et les références mosaïques.

À propos de l'Exode et des références mosaïques, il y a de la supplantation et de l'accomplissement.

Il y a de la supplantation c'est-à-dire qu'il y a un aspect de l'ère mosaïque qui est dénoncé, c'est la Loi, mais il y a aussi l'usage de ces textes parfois sur le mode de l'accomplissement chez saint Paul.

 

●   Usage de textes sur le mode de l'accomplissement

En effet, la nouveauté est souvent considérée comme la réactualisation, la reprise des temps bienheureux des pères du désert.

À ce propos, lisez 1 Cor 10 : « 1Je ne veux pas vous le laisser ignorer, frères : nos pères étaient tous sous la nuée, tous ils passèrent à travers la mer 2et tous furent baptisés en Moïse dans la nuée et dans la mer. 3Tous mangèrent la même nourriture spirituelle, 4et tous burent le même breuvage spirituel ; car ils buvaient à un rocher spirituel qui les accompagnait : ce rocher, c’était le Christ. »

Je note cela parce que le temps du désert fut la constitution du peuple comme peuple, et que des expressions caractéristiques de cette constitution du peuple seront ressaisies pour dire l'ecclésiologie paulinienne, en particulier l'expression klétoï hagioï ("appelés consacrés" ou "appelés à la consécration"[3]) : « À tous ceux qui sont à Rome, aimés de Dieu, appelés à la consécration ; grâce à vous et paix  » (Rm 1, 7).

En effet ce peuple du désert est appelé dans le Deutéronome, Qahal YHWH en hébreu, "la Convocation de Dieu"[4], ce qui a donné Ekklêsia tou Kuriou, dans la traduction de la Septante "la Convocation du Seigneur", mais qui correspond à Ekklêsia tou Théou puisque Kurios (Seigneur) est la traduction de YHWH. Le Nouveau Testament parlera de Ekklêsia tou Théou.

Il semblerait que l’expression Ekklêsia tou Théou ait d’abord été utilisée pour désigner la communauté de Jérusalem, considérée comme la communauté type, à la suite de l’expression « ekklèsia tou Théou » de Deutéronome, puis que l'expression ait été étendue aux autres communautés. Par exemple certains pensent que le début de 1 Cor (et aussi de 2 Cor) est la revendication pour l'Église de Corinthe de la présence de l'Ekklêsia tou Théou à Corinthe : « 1Paul… et Sosthène le frère, 2à l’Église de Dieu qui est à Corinthe, à ceux qui ont été consacrés dans le Christ Jésus, aux appelés consacrés, à tous ceux qui invoquent le nom de Notre Seigneur Jésus Christ… »

L'Ekklêsia tou Théou est donc une réalité non historico-géographique, et cette réalité-là est présente à Jérusalem, à Corinthe et dans d'autres lieux.

Je ne sais pas si vous voyez par parenthèse la différence qu'il y a de penser cette réalité mystérieuse qui est l'Ekklêsia qui est également présente ici et ici, plutôt que de penser l'Ekklêsia universelle sur le mode de l'addition. C'est donc une incitation à penser l'universalité de l'Ekklêsia autrement que sur le mode de ce qui peut se donner à entendre dans les recensements sur le modèle des sociétés.

 

b) Les patriarches Abraham, Isaac, Israël-Jacob.

Ils sont généralement assumés positivement, c'est-à-dire qu'ils sont revendiqués et qu'ils sont plus fortement pris pour leur signification mystique.

C'est ici qu'intervient l'exégèse de la promesse, de l'héritage, de la descendance. Et la revendication chrétienne est alors celle-ci : nous, au titre de la foi – c'est-à-dire nous, ou bien juifs ou bien païens racialement, mais les mêmes au titre de la foi – nous sommes la descendance d'Abraham.

Et vous avez remarqué que notre chapitre 4 de l'épître aux Romains était construit pour montrer que la descendance d'Abraham et l'héritage d'Abraham étaient précisément au titre de la foi et non au titre de l'obéissance à la loi[5].

 

c) Les "premières choses", autrement dit la référence à Genèse.

Ici le rapport est le plus immédiat. C'est l'immédiate proximité du plus caché et de son dévoilement dans la résurrection. C'est sur ce mouvement de relecture que se situent des choses comme la dénomination du Christ comme arkhê, c'est-à-dire comme tête unifiante du ciel et de la terre, mais aussi comme image, c'est-à-dire comme accomplissement dévoilant du « Faisons l'homme à notre image » y compris le texte d'Ep 5, 21-33 que nous avons lu auparavant : la femme qui est l'Ekklêsia– c'est-à-dire toute l'humanité convoquée et rassemblée – vient à dévoilement dans la résurrection même du Christ[6].

Et notre texte de référence est ici encore dans l'épître aux Romains, mais cette fois Rm 8, 29-30 :

« Car ceux qu'il a préconnus – nous nous rappelons que les préfixes en pro et pré réfèrent à cette délibération dans le caché – et qu'il a prédéterminés à être de même morphê que l'image qui est son Fils– voilà le mot qui est probablement le plus révélateur : que nous soyons par la résurrection conforme, de même forme (morphê) que l'image dont il disait « Faisons l'homme à notre image » et qui est son Fils – pour qu'il soit premier-né parmi les multiples qui sont ses frères – "premier-né" que nous avons rencontré dans Colossiens[7]. Premier-né ne se lit pas dans la ligne de l'aînesse puisque l'aînesse est dénoncée. Mais il est très important de voir que le premier-né se lit comme "le plus originaire" parmi beaucoup de frères – ceux qu'il a prédéterminés, ceux-là il les a aussi appelés ; et ceux qu'il a appelés, il les a aussi justifiés ; et ceux qu'il a justifiés, il les glorifiera. » Et, pour revenir à Ep 5 que nous lisions avant Rm 9, alors sera pleinement accomplie l'Ekklêsia, le rassemblement de la totalité de l'humanité, l'Ekklêsia glorieuse

Vous remarquerez que nous avons vu la distinction du caché au manifesté et que nous retrouvons le rapport de la tête au corps.



[1] Joseph Pierron, ami de Jean-Marie Martin a étudié plus longuement tous ces désignations : Par Joseph Pierron : Lecture commentée de Rm 9, 1-5 précédée d'un regard sur Rm 9-11 (Israël et les nations).

[2] Le mot Ioudaïos : « Dans l'Ancien Testament, ce terme est plutôt rare et d'usage récent. Il désigne d'abord les citoyens du Royaume de Juda (Royaume du Sud); il a alors une connotation sociologique et politique (2 R 16,6; 25,25; Jr 32,12; 38,19; 40,11-12). L'accent peut aussi porter sur la valeur ethnique du mot, par exemple, les Judéens exilés volontaires en Égypte (Jr 43,9; 44,1). Après l'exil, le peuple élu n'a aucune institution politique propre à laquelle s'identifier. Yehudi prend le sens actuel du mot juif, à savoir un membre du peuple élu, peu importe sa citoyenneté ou son lieu de résidence. On trouve déjà ce sens dans le livre de Néhémie (1,2; 2,16; 3,33-34) et surtout dans le livre d'Esther (2,5; 3,4.6.10.13).» (Site Interbible.org)

[3] Dans l'Ancien Testament on trouve des rapprochements des deux mots "appelé" et "consacré". Par exemple en Exode12, 16 dans la version de la Septante : « Le premier jour sera appelé consacré (klêthêsétaï hagia) et le septième jour sera un appel consacré (klêtê hagia) pour vous. » Dans la traduction de L'Exode de La Bible d'Alexandrie  (Cerf 1989), une note précise : « Le sens créé par la LXX dans de tels contextes est celui de "convocation". »

[4] « Dans la Septante, le terme ekklèsia est utilisé une centaine de fois. Le mot y désigne bien une assemblée, convoquée, mais pour un acte religieux, souvent cultuel (Dt 23 ; 1 R 8 ; Ps 22, 26). Il correspond à l’hébreu qahal, employé surtout par l’école deutéronomique pour désigner l’assemblée de l’Horeb (Dt 4, 10), des steppes de Moab (Dt 31, 30) ou de la Terre Promise (Jos 8, 35 ; Jg 20, 2). Le Chroniste l’emploie également pour désigner l’assemblée liturgique d’Israël au temps des rois après l’exil (1 Ch 28, 8 ; Ne 8, 2). L’appellation qahal YHWH (ekklèsia tou Théou) précise et qualifie la désignation d’Israël comme peuple de Dieu (am YHWH, laos tou Théou). Le qahal YHWH, c’est le peuple de Dieu en tant que convoqué par YHWH en assemblée cultuelle, au sein de laquelle YHWH est particulièrement présent. Ce qu’exprime l’expression sacerdotale : klètè hagia, traduction littérale de miqra qodès = convocation sainte (Ex 12, 16 ; Lv 23, 3 ; Nb 29, 1). […] Si ekklèsia traduit toujours qahal, ce dernier mot est parfois rendu par d’autres termes, en particulier par synagôgè (Nb 16, 3 ; 20, 4 ; Dt 5, 22) qui rend plus souvent le mot sacerdotal ‘èdah. Eglise et synagogue sont donc deux termes à peu près synonymes (cf. Jc 2, 2). Ils ne s’opposeront qu’après le conflit entre juifs et chrétiens, et l’expulsion de ceux-ci des synagogues juives vers l’an 90. […] Dans le monde grec, le mot ekklèsia, dont le mot Eglise n’est qu’un décalque, désigne l’assemblée du peuple (dèmos), au sens de l’organisation politique des cités grecques, où le peuple se rassemblait sur la place publique (agora) pour les affaires importantes. Ce mot se rattache au verbe kaléo : appeler. Car cette assemblée était appelée, convoquée : les citoyens deviennent alors des ekklètoi (de ekkaléo : appeler au-dehors) ; ils sont appelés par le héraut (kérux => kérygme) à sortir de leurs maisons, et convoqués à se rassembler. La différence essentielle avec l’usage biblique vient du fait que c’est une assemblée politique et non religieuse, et que ce n’est dans la cité grecque qu’une session, une réunion : entre deux sessions, il n’y a pas d’ekklèsia.» (https://archivesweb.cef.fr/public/archive.revue-egliseetvocations.cef.fr/article343.html).

[7] Cf. Col 1 : « 15lui qui est image du Dieu invisible, premier-né de toute création… 18et lui est la tête du corps [qui est] l'Église, lui qui est archê, premier-né d'entre les morts en sorte qu'il soit prééminent en toute chose… »

 

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