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La christité
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  • Ce blog contient les conférences et sessions animées par Jean-Marie Martin. Prêtre, théologien et philosophe, il connaît en profondeur les œuvres de saint Jean, de saint Paul et des gnostiques chrétiens du IIe siècle qu’il a passé sa vie à méditer.
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21 octobre 2016

ÉNERGIE. Ch IV : Eau, sang et pneuma : la récapitulation de 1Jn 5, 5-8

En 2011-2012 Jean-Marie Martin a animé un cycle de rencontres, ceci est la dernière : « Aujourd'hui nous allons trouver le terme même de pneuma (esprit, souffle, vent, Esprit Saint…) dans un texte assez récapitulatif qui se trouve dans la première lettre de Jean au chapitre 5. Les versets 5 à 9 inclus nous intéressent particulièrement mais nous allons lire à partir du début rapidement pour situer ce texte. Nous verrons à quel titre on peut l'appeler récapitulatif puisque c'est notre dernière lecture de cette année.

 

Chapitre IV

Eau, sang et pneuma

La récapitulation de 1Jn 5, 5-9

 

Le thème affiché de l'énergie nous avait conduits à méditer des termes comme dunamis, comme énergéia (mise en œuvre) chez saint Paul, le verbe œuvrer (ergazesthaï) et ergon (œuvre) chez saint Jean en particulier, et finalement nous avait invités à trouver un mot plus fondamental, de l'originaire même de ces termes dans les Écritures, et c’était le terme de pneuma.

Nous avons proposé d'abord une approche générale de ce terme dans sa complexité, sa richesse, ses capacités symboliques multiples. Ensuite nous avons lu le Prologue de l'évangile de Jean où le mot pneuma ne se trouve d'ailleurs pas, mais nous avons trouvé un bon nombre d'équivalences.

Aujourd'hui nous allons trouver le terme même de pneuma dans un texte assez récapitulatif qui se trouve dans la première lettre de Jean au chapitre 5. Les versets 5 à 9 inclus nous intéressent particulièrement mais nous allons lire à partir du début rapidement pour situer ce texte. Nous verrons à quel titre on peut l'appeler récapitulatif puisque c'est notre dernière lecture de cette année.

 

1) Pour situer notre texte : lecture des versets 1 à 12.

« 1Quiconque croit que Jésus est le Christ, est né de Dieu, et quiconque aime celui qui l'a engendré aime aussi celui qui est né de lui. 2Nous connaissons que nous aimons les enfants de Dieu, lorsque nous aimons Dieu, et que nous pratiquons ses commandements 3Car l'amour de Dieu consiste à garder ses commandements. Et ses commandements ne sont pas pénibles, 4parce que tout ce qui est né de Dieu triomphe du monde; et la victoire qui triomphe du monde, c'est notre foi. 5Qui est celui qui a triomphé du monde, sinon celui qui croit que Jésus est le Fils de Dieu? 6C'est lui, Jésus Christ, qui est venu avec de l'eau et du sang; non avec l'eau seulement, mais avec l'eau et avec le sang; et c'est l'Esprit qui rend témoignage, parce que l'Esprit est la vérité. 7Car il y en a trois qui rendent témoignage: 8l'Esprit, l'eau et le sang, et les trois sont d'accord. 9Si nous recevons le témoignage des hommes, le témoignage de Dieu est plus grand; car le témoignage de Dieu consiste en ce qu'il a rendu témoignage à son Fils. 10Celui qui croit au Fils de Dieu a ce témoignage en lui-même; celui qui ne croit pas Dieu le fait menteur, puisqu'il ne croit pas au témoignage que Dieu a rendu à son Fils. 11Et voici ce témoignage, c'est que Dieu nous a donné la vie éternelle, et que cette vie est dans son Fils. 12Celui qui a le Fils a la vie; celui qui n'a pas le Fils de Dieu n'a pas la vie. » (TOB)

« 1Tout homme qui croit que Jésus est le Christos est définitivement né de Dieu. » En effet une des toutes premières choses que nous avions remarquée c'est que croire, ce n'est pas avoir une opinion sur quelque chose, croire c'est naître de plus originaire que notre naissance civile.

« Tout homme qui aime celui qui engendre, aime aussi ce qui est engendré de lui. » Nous avons là une sorte d'apparente déduction. « Ce qui est engendré de lui » c'est le Fils. Donc tout homme qui aime le Père aime le Fils. Nous retrouvons ici un thème fréquent dans cette lettre : « Tout homme qui nie le Fils n’a pas le Père. Celui qui confesse le Fils a aussi le Père. » (1Jn 2, 23). En un premier sens « ce qui est engendré de Dieu » c'est donc le Fils Monogenês, mais en un autre sens c'est la multitude des enfants de Dieu (tekna tou theou) puisqu'ils sont en lui. Et nous retrouvons un thème qui est souvent attesté dans cette même épître, que celui qui aime Dieu aime aussi les frères qui sont tout ce qui est engendré de Dieu. Nous avons ici une sorte de cohérence marquée.

« 2À ceci nous connaissons que nous aimons les enfants de Dieu quand nous aimons Dieu – ce que je viens de dire est dit ici mais en mouvement inverse – et que nous œuvrons ses dispositions (entolas). » On traduit souvent le mot entolê par précepte, mais ce n'est pas possible chez saint Jean[1]. Ceci rejoint le grand thème des chapitres 14, 15, 16 qui disent en quoi consiste la présence du Christ absent. Car le Christ s'en va, ce qui crée l'inquiétude chez les disciples. Et Jésus leur annonce en quoi cet absentement est la condition (ou l'envers) d'un autre mode plus intime et plus universel de présence. Et les noms de cette présence sont : l'agapê, la garde de la parole (c'est ce que nous trouvons ici, la garde des dispositions), la prière et la venue du pneuma. Ce sont les quatre noms sous lesquels l'unique présence de Dieu en Christ ressuscité s'accomplit dans sa communauté. Ceci n’est qu’un simple rappel de thèmes qui sont traités par Jean en d'autres lieux sur un mode plus développé[2].

« 3Car c'est ceci l'agapê de Dieu que nous gardions (têrômen) ses dispositions – garder (têrein) ou avoir la garde de la parole ou des dispositions de la parole ; la parole de Dieu, nous savons que ce n'est pas simplement une parole qui disserte sur les choses, c'est une parole qui donne ce qu'elle dit, c'est une parole qui ouvre un chemin de vie. La disposition c'est entrer dans ce chemin de vie. Donc rappel fragmentaire des quatre que j'ai nommés. Il faut relever des constantes parce que cela confirme la lecture – et ses dispositions ne sont pas lourdes (baréiaï). » Nous n'allons pas développer ce passage car ce n'est pas notre sujet, mais il mériterait d'être médité en lui-même : voir en quoi les dispositions de Dieu ne sont pas lourdes.

« 4Car tout ce qui est né de Dieu vainc le monde. » Les dispositions ne sont pas lourdes c'est-à-dire qu'elles sont aisées à porter, il est aisé de vaincre la difficulté. « Ce qui est né de Dieu » : il y a ici à nouveau cette apparente ambiguïté qui est en même temps d'une très profonde richesse, à savoir que ce qui est né de Dieu c'est le Fils comme le nom l'indique, le Fils Monogenês ; il est un mais pas un parmi d'autres, il est l'un et l'unifiant de la totalité des enfants de Dieu dispersés ou déchirés. Donc nous sommes inclus dans cette totalité. Or il s'agit ici de vaincre le monde, le monde au sens johannique du terme qui n'est pas notre signification à nous, à savoir ce monde-ci en tant précisément qu'il est régi par le prince de la mort et du meurtre ; ce monde où nous sommes asservis à l'avoir à mourir et d'une certaine manière à l'exclusion, le mot de meurtre étant ici une désignation d'exclusions beaucoup plus vastes parmi lesquelles il faut entendre même l'indifférence qui est un mode d'exclure.

Et c'est ceci la victoire qui a vaincu le monde, notre foi (pistis). – Ceci peut s'entendre de deux façons : la foi peut s'entendre de l'acte de foi ou du contenu de la foi. Quand je dis quelles sont mes dernières volontés, je ne dis pas quel est mon dernier acte de volonté, mais les choses qu'ultimement je veux pour après ma mort. En fait les deux choses sont indissociables car croire ce n'est pas recevoir simplement l'information, à savoir que le Christ est mort et ressuscité, mais c'est recevoir la vigueur de résurrection. En effet acquiescer à la résurrection c'est déjà ressusciter car la parole de Dieu n'est pas une parole qui disserte, c'est une parole qui donne ce qu'elle dit. Ce n'est ni une parole de dissertation ni une parole de commandement, c'est une parole donnante.

C'est maintenant que ce qui nous concerne va apparaître.

5Quel est celui qui vainc le monde sinon celui qui croit que Jésus est le Fils de Dieu. – Nous avons ici l'autre titre. Auparavant, à propos du verbe croire, il s'agissait de croire que Jésus est le Christos, c'est-à-dire le Messie oint de pneuma. Ici c'est le Fils de Dieu. Ces deux titres appartiennent aux titres de premier rang qui peuvent être dits de Jésus : Fils de Dieu, Christos, Seigneur… ces titres appartiennent au tout premier vocabulaire. Il y a des titres qui surviendront par la suite, comme les nombreux "Je suis" chez saint Jean. Quand Jésus dit « Je suis la vérité », « Je suis la vie », ça dit quelque chose de Jésus, mais ces titres (vérité, vie…) ne sont pas au même niveau que ceux de Fils de Dieu, Christos... dans la constitution originaire du discours chrétien.

6Celui-là est celui qui est venu par eau et sang, Jésus Christos, non pas dans l'eau seulement, mais dans l'eau et dans le sang ; et le pneuma est le témoignant – s'ébauche ici un ternaire : eau, sang, pneuma (souffle) ; l'émergence du mot de témoignant ici est très importante, nous allons dire pourquoi – car le pneuma est la vérité. – La vérité bien sûr ici ne désigne pas ce que nous appelons la vérité. D'autre part nous savons que Jésus dit de lui-même : « Je suis la vérité ». Ici c'est le Pneuma qui est vérité. Nous avons donc un nom qui appartient en commun au Christos et au Pneuma. La gestion de ces éléments de vocabulaire dans le premier siècle de l'Église est d'une très grande complexité, et en même temps elle correspond à la recherche de repères. Ces mots qui ne vont pas rester ici sont des rapports pensés entre eux. Pour l'instant nous relevons ici un nom qui est commun.

7Car trois sont les témoignants : 8le pneuma et l'eau et le sang, et les trois sont vers un (sont pour un, sont un).

 9Si nous recevons le témoignage des hommes, le témoignage de Dieu est plus grand. – Ici il y a une sorte d'élément argumentaire a fortiori. Mais en réalité c'est plus que cela car le mot "plus grand" est une expression qui est extrêmement fréquente chez saint Jean et qui désigne toujours, soit l'espace de résurrection par opposition à l'espace de ce monde, soit le Père par rapport au Fils. « Je vais vers le Père car le Père est plus grand que moi » (Jn 14, 28), voilà une affirmation étrange pour quelqu'un qui sait que, d'après le concile de Nicée, le Père et le Fils sont égaux. Alors qu'est-ce que cela signifie ? Voilà un point intéressant.

Car c'est ceci le témoignage de Dieu qu'il a témoigné à propos de son Fils. – Qu'est-ce que c'est que le témoignage que Dieu a témoigné à propos de son Fils ? Voilà une phrase qui, pour nous, est sans doute énigmatique, mais qui est évidente pour Jean comme pour tout le Nouveau Testament. Cela signifie deux choses : la proclamation « Tu es mon fils » par la voix venue du ciel qui atteste (c'est un témoignage), et la deuxième chose : la résurrection, la résurrection qui est appelée le beau témoignage que le Père lui a rendu en le ressuscitant d'entre les morts. Donc une parole et une gestuelle toujours autour de ce pôle central de la résurrection.

Saint Paul par exemple cite le Psaume 2 dans les Actes des apôtres. C'est l'écriture de Luc qui est mise dans la bouche de Paul et adressée aux Juifs : « Nous vous annonçons une bonne nouvelle : Dieu a pleinement accompli sa promesse faite aux pères pour nous les enfants quand il a ressuscité Jésus, comme il est écrit dans le psaume 2 : “Tu es mon fils, moi aujourd'hui je t'engendre” » (Ac 13, 32-33). La résurrection est l'accomplissement de la parole « Tu es mon fils » donc il y a un rapport subtil entre la filiation et la résurrection ; ce sont des choses qui, pour nous, ne sont pas présupposées dans le courant de notre langage.

Je n'ai donné qu'un exemple, je pourrai en donner beaucoup d'autres, mais c'est simplement pour illustrer le fait.

« 10Celui qui croit au Fils de Dieu a l'attestation (le témoignage) en lui-même – c'est-à-dire qu'il reçoit l'attestation de Dieu – celui qui ne croit pas à Dieu le fait menteur – expression que nous avons déjà rencontrée dans sa première lettre, dès le premier chapitre ; elle est assez étrange à notre oreille mais elle a sa pertinence – parce qu'il n'a pas cru à l'attestation que le Dieu a attestée au sujet de son Fils. 11Et c'est ceci l'attestation que Dieu nous a donné vie éternelle, et que la vie est dans son Fils. – Nous avons ici un autre terme très important dont Jésus lui-même dit "Je suis" : « Je suis la vie (zôê) ». Que la vie soit dans le Fils, nous le savons depuis le Prologue : « 1Dans l'Arkhê était le Logos, et le Logos était vers Dieu, et le Logos était Dieu ». Par parenthèse ceci nous invite déjà à entendre le verbe être d'une autre façon puisque être signifie être dans, c'est-à-dire que être n'a pas le sens absolu du terme, mais un sens relatif ; être c'est "être à", "être par rapport à", "être auprès". « 4Ce qui fut en lui était vie (zôê). » La vie est dans le Christ ; cette vie-là est simultanément la sienne et la nôtre ; c'est-à-dire qu'il est né de Dieu mais la foi est une nouvelle naissance qui nous accorde la vie même de Dieu en nous.

12Celui qui a le Fils a la vie, celui qui n'a pas le Fils de Dieu n'a pas la vie. » Donc à nouveau nous revenons sur cette thématique : celui qui ne reconnaît pas Jésus comme authentiquement Fils de Dieu (il s'agit sans doute ici de tendances judaïsantes) n'a pas non plus le Père. Tout ceci est d'une grande cohérence.

●  Les immenses profondeurs et richesses du verbe "avoir".

On pourrait être étonnés par des expressions comme “avoir le Fils”, “avoir le Père”, “avoir la vie”, mais c'est méconnaître les immenses profondeurs et richesses du verbe avoir pour plusieurs raisons[3] :

  • contrairement à ce qu'on dit couramment, le verbe avoir, s'il est entendu en son plus propre, est plus riche que le verbe être. D'habitude on dit le contraire : « Il ne s'agit pas d'avoir mais d'être », et on a raison de dire cela dans le sens où on veut le dire probablement.
  • le verbe avoir, du moins en français, est le meilleur auxiliaire du verbe être : les Allemands disent « je suis été (ich bin gewesen) » alors que nous disons « j'ai été ».

En effet "avoir" dans son sens originaire signifie : "se situer par rapport à" ; or l'homme est nativement relationnel. Aussi bien en grec ékheïn est parfois utilisé pour le verbe être[4].  

Cet emploi du verbe être avec un sens relationnel est très fréquent, très constant ; mais il nous ouvre à ce point de lecture qui nous fait prendre distance d'avec la lecture subjectivante ou substantialisante qui pense que l'unité monadique est l'essence de l'être alors que l'unité monadique est dans la relation même, dans l'être à. C'est quelque chose de très important. Ça aurait pour conséquence des richesses prodigieuses découlant de la doctrine de la Trinité telle qu'elle s'expliquera par la suite, même si elle s'égarera aussi parfois dans d'autres directions ; mais nous aurions là des richesses, une invitation à désubstantialiser ce que notre langue de façon abusive n'arrête pas de substantialiser.

 

2) Eau, sang et pneuma. Les testimonia.

Nous allons bien sûr nous concentrer sur ce qui concerne le ternaire « eau, sang, pneuma ». On pourrait dire : ce sont trois éléments, l'eau, le sang, le pneuma (le souffle) – mais dire le souffle ce n'est pas suffisant, il faut garder le terme de pneuma parce que lui-même est récapitulatif. Ces éléments ont en commun d'être des fluides :

  • l'eau abonde (le verbe abonder vient de onde, il désigne l'eau) ;
  • le sang désigne parmi les éléments classiques l'équivalent du feu ; il y a un petit texte du IIe siècle où j'ai trouvé cela : aima (le sang) hôs (comme) pur tupomenon (marqué de la symbolique du feu) ; le sang est aussi fluide ;
  • enfin le pneuma (souffle).

On pourrait dire : ce sont trois éléments et cette perspective peut avoir son intérêt à la mesure où les verbes qui concernent le pneuma sont des termes comme verser, emplir, etc. : « L'amour de Dieu est versé dans nos cœurs par l'Esprit Saint qui nous a été donné » (Rm 5, 5) ; emplir est un terme très important : « Le ciel et la terre sont remplis de ta gloire » (dans le Sanctus, cf Is 6, 3) la gloire est un autre nom du pneuma. Donc nous sommes dans une symbolique d'éléments liquides (fluides).

Mais ce n'est pas suffisant parce que ces éléments sont lus à partir de l'Ancien Testament et par suite ils sont toujours plus ou moins référés à un épisode. Ceci correspond à ce qu'on appelle couramment l'usage des testimonia. Les premiers chrétiens font des recueils de textes de l'Ancien Testament qui sont groupés autour d'un thème, et qui, par ailleurs, sont puisés de façon disparate dans l'Écriture. Vous avez des listes de choses qui concernent l'eau dans l'Ancien Testament, des choses qui concernent le bois pour la symbolique de la croix, des choses qui concernent la pierre ou le roc, etc. Et à chaque fois ces termes-là se trouvent dans des épisodes. Nous savons que saint Jean connaît cela puisque, à propos de la symbolique de la croix, il évoque l'échelle de Jacob qui était traditionnellement invoquée comme l'échelle verticale qui réunit ciel et terre, de même qu’il a recours à l'élévation du serpent sur la hampe du bois, du serpent qui guérit de la morsure des autres serpents dans un passage du livre des Nombres (Nb 21, 6-9). Donc il connaît un certain nombre de ces testimonia.

Nous allons nous poser la question de savoir si ces éléments (eau, sang, pneuma) correspondent à des épisodes de l'Évangile. Autrement dit, s'ils ne sont pas simplement puisés au monde minéral, au monde élémentaire, s'ils sont référenciés à quelque chose qui est récité comme un épisode, ce qui est une structure constitutive de l'Écriture. Ceci est techniquement, pour la lecture, très important.

Donc nous allons nous poser cette question-là. Mais auparavant, après avoir donné ces indications générales, nous regardons les versets 6 à 8 de notre texte parce que cela peut ne pas paraître évident.

 

3) Le ternaire "eau, sang et pneuma" (v. 6 à 8).

« 6Il est celui qui vient par eau et sang, Jésus Christos, non pas dans l'eau seulement mais aussi dans l'eau et dans le sang. Et le pneuma est le témoignant, puisque le pneuma est la vérité. 7Car trois sont les témoignants, 8le pneuma et l'eau et le sang, et les trois sont vers un (sont un).»

Voyons la marche de cela. Cela prendra toute sa vigueur lorsque nous aurons repéré les lieux référentiels qui sont implicitement évoqués sans être énoncés explicitement dans ce texte.

Il faut bien faire attention que nous avons d'abord un hendiadys : « il vient par eau et sang ». Qu'est-ce que c'est qu'un hendiadys ? Deux noms pour dire une seule chose : eau et sang désignent la même chose : c'est cette eau-là qui est le sang.

Nous savons également qu'il y a un hendiadys avec l'eau et le pneuma : « Si quelqu'un ne naît pas d'eau et pneuma, il ne peut entrer dans le royaume de Dieu » (Jn 3, 5) : c'est cette eau-là qui est le pneuma. Et il y a la référence : chapitre 7 à la fête de Soukkot, « 37Dans le dernier jour qui est le grand jour de la fête Jésus se tint debout et cria disant : “Si quelqu'un a soif, qu'il vienne près de moi, et qu'il boive, 38celui qui croit en moi, selon que le dit l'Écriture, des fleuves d'eau vivante couleront de son sein” – et l'exégèse qui est faite par Jean –  39Il dit ceci à propos du pneuma » ; donc eau est un des noms du pneuma, ils sont un.

Notre texte de 1 Jn 5 poursuit : « non pas dans l'eau seulement, mais dans l'eau et dans le sang » (v. 6) donc ici ils sont deux. Avec cette différence que nous n'avons pas la structure hendiadyque pour la bonne raison que, cette fois, la préposition est répétée et l'article est donné à chacun ; alors que dans « par eau et sang » vous avez une seule préposition pour deux et pas d'article. Ici « dans l'eau et dans le sang ». Ils sont un, ils sont deux ; et nous allons bientôt voir qu'ils sont trois. Alors il faut garder à la fois leur unité et leur différence.

« Et le pneuma est l'attestant » : voilà le mot important qui va gérer la suite du texte : martureïn (témoigner, attester).

●   Parenthèse sur le thème de la confiance.

Par parenthèse je crois que, l'année prochaine, c'est la confiance qui est l'objet des différents thèmes ici (au Forum 104). Peut-être qu'il serait intéressant de regarder les fondements qu'on pourrait appeler pré-juridiques comme le témoignage, la fidélité, la référence foncière à la parole. Le mot de foi évidemment indique cela en français aussi, bien que ce ne soit pas pour nous un bon point de départ pour comprendre le mot de foi dans le Nouveau Testament ; cependant il traduit quelque chose de cela.

Il y a tout un ensemble ici autour de la foi, de la fidélité, de la confiance, parce que le témoignage chez nous est réputé être une preuve extrêmement faible. On se sert du témoignage quand on n'a pas de preuve matérielle dans les tribunaux. La parole est ce qu'il y a de plus faible et incertain. Or tout est fondé sur la parole dans le Nouveau Testament et sur une créance à une parole fondatrice. Il y a là un ensemble qui serait très intéressant pour l'an prochain.

●   Rapport entre vérité et témoignage chez saint Jean.

Mais la notion de témoignage a un autre intérêt ici. En effet l'idée de témoignage chez Jean est méditée à partir d'un mot qui se trouve dans la Torah et qui institue les conditions de gestion des tribunaux selon lequel toute vérité se tient entre le témoignage de deux ou trois. « Un seul témoin ne peut suffire pour convaincre un homme de quelque faute ou délit que ce soit ; quel que soit le délit, c'est au dire de deux ou trois témoins que la cause sera établie. » (Dt 19, 15).

On en trouve l’écho dans saint Jean « Et dans votre loi il est écrit que le témoignage de deux hommes est vrai.» (Jn 8, 17). La déposition d'un seul témoin ne suffira pas pour établir la culpabilité d'un homme accusé d'un crime, d'un délit ou d'une faute quelle qu'elle soit ; on ne pourra instruire l'affaire qu'après avoir entendu les déclarations de deux ou de trois témoins.

Le thème du témoignage est traité à de nombreux endroits de l'évangile de Jean et précisément sous cette forme que je dis de façon sommaire ici.

●   Application de ce principe en 1 Jn 5.

Donc l'hendiadys « par eau et sang » (v. 6a) ne suffit plus, il faut qu'ils soient deux (« non pas dans l'eau seulement, mais dans l'eau et dans le sang » v. 6b) et qu'il y en ait même un troisième pour que la notion de témoignage surgisse dans le texte : « 7Car trois sont les témoignants ». Dans notre texte, il fallait arriver à cela.

Par ailleurs le pneuma peut se dire tout seul de façon hendiadyque parce que, de toute façon, il est aussi trois : « 6Et le pneuma est le témoignant, puisque le pneuma est la vérité. » (v. 6c).

« 7Car trois sont les témoignants, 8le pneuma et l'eau et le sang, et les trois sont un. »

●   Parenthèse sur l'unité du Père et du Fils et sur l'unité des multiples.

Les multiples qui sont un est une expression fréquente dans nos Écritures, ça se dit du Père et du Fils : « Le Père et moi – cela fait deux, mais – nous sommes un » (Jn 10, 30).

Les multiples sont multiples, oui, mais il y a le fameux mot de Caïphe : « 49 "Vous ne savez rien, 50ne calculez-vous pas qu'il vous est bon qu'un seul homme meure pour tout le peuple et que toute la nation ne soit pas détruite (ne périsse pas)". 51Il dit cela non pas de lui-même, mais étant grand prêtre de cette année-là, il prophétisa que Jésus devait mourir pour la nation, 52mais non pour la nation seulement, mais en sorte que les enfants de Dieu dispersés (ta dieskorpisména : les multiples sous le mode de la déchirure) il les rassemble (synagagê) pour être un. » (Jn 11) donc le rapport des multiples et de l'un est un thème absolument fondamental.

Il ne s’agit pas de curiosités, ce sont des choses qui sont, on peut dire, étranges à notre oreille si nous ne sommes pas habitués à lire ces œuvres-là. Mais ce ne sont pas des choses qu'on note en passant comme étranges, c'est constitutif de cette Écriture, c'est essentiel. Le rapport du Christ et de l'humanité est impliqué dans ce mode de dire, car nous sommes les dieskorpisména (les déchirés), nous sommes une humanité déchirée et les fragments n'ont pas en eux-mêmes de quoi se refaire. Il y a l'intact de cette déchirure qui est le Fils un, qui est, lui, unifiant de la totalité de l'humanité. C'est pourquoi sa mort et sa résurrection ont à voir intimement avec notre mort et notre résurrection. C'est au cœur du mystère christique.

 

4) Les épisodes référents pour « eau, sang et pneuma ».

La question maintenant qui reste posée d'après l'ensemble des choses que j'ai dites – je ne sais pas si je les ai dites dans un bon ordre mais peu importe – ce serait de repérer les lieux, les épisodes correspondants. En effet j'ai dit que ces éléments étaient des épisodes ou bien étaient assumés à travers un épisode qui était censé leur donner leur sens (leur signification).

Donc quels sont les épisodes où l'on trouve l'eau, le sang et le pneuma (le souffle) dans l'évangile de Jean ? L'eau seule il y en a partout ; l'eau et le vin ayant rapport à eau et sang, il y en a à Cana mais là, il n'y a pas de pneuma nommé.

Les lieux récapitulatifs des trois se trouvent, l'un tout à fait au début et l'autre tout à fait à la fin :

  • c'est le Baptême de Jésus au premier chapitre[5] ;
  • et c'est la mort du Christ en croix au chapitre 19, la mort en croix qui contient en elle la résurrection de Jésus, toujours.

a)  Eau, sang, pneuma au Baptême d'après saint Jean.

Montrons que les trois éléments se trouvent au Baptême.

    1er élément : Le sang de l'agneau sacrificiel.

Vous pourriez me chipoter parce que : où est le sang dans le baptême ?

Le sang de l'agneau, mosaïqueLe sang est dans l'agneau sacrificiel. Comment le sait-on ? C'est que nous avons ici une double attestation. En effet, pour qu'il y ait vérité, il faut deux témoins, deux voix qui parlent. Il y a la voix venue du ciel qui dit « Tu es mon fils » et la voix de la terre, la voix du Baptiste, et le Baptiste témoigne en voyant Jésus passer : « Voici l'Agneau de Dieu qui lève le péché du monde » (Jn 1, 29), et c'est réitéré. Nous verrons d'ailleurs que, lors de la croix, le sang est référencié aussi à l'agneau de façon explicite. Pour nous ça peut paraître étrange, mais il faut se placer dans la situation de quelqu'un pour qui ce n'est pas étrange, il faut trouver les présupposés qui rendent cela évident.

Deux témoins : le ciel et la terre, donc deux voix témoignantes car le Baptiste dit : « Je suis la voix de celui qui crie dans le désert » (Jn 1, 23), et une voix venue du ciel se fait entendre. Le rapport ciel /terre est constitutif des premiers chapitres de Jean.

Pour que le témoignage soit vrai, il faut que les témoins disent la même chose. Donc « Tu es mon fils » et « Voici l'agneau de Dieu qui enlève le péché du monde » disent la même chose, mais pour nous c'est loin d'être évident. Et pourtant c'est cela. Avant même de chercher à apercevoir comment et en quoi cela peut être la même chose, il convient de se rappeler que, pour Jean qui écrit, c'est la même chose puisque les deux voix doivent dire la même chose pour être un témoignage authentique. Là c'est l'unité secrète du mystère christique qui est éparpillé chez nous dans des dogmes, des attestations, de multiples choses, mais qui est une pensée d'une profonde cohérence intime. C'est cela qu'il faut progressivement approcher.

  2ème élément : l'eau différente de celle du Baptiste.

Mais l'eau fait problème aussi : où est l'eau dans le Baptême ? Ce n'est pas l'eau du Baptiste puisqu’il dit : « 33Celui qui m'a envoyé baptiser dans l'eau celui-là m'a dit : “Celui sur qui tu verras le Pneuma descendant et demeurant sur lui, celui-ci est celui qui baptisera dans le Pneuma.” » (Jn 1).

C'est qu'il y a eau et eau. En effet tout l'évangile de Jean est construit comme un partage des eaux[6] :

– au chapitre premier : cette eau-là qui est le pneuma dans laquelle Jésus baptise est distinguée de l'eau du Jourdain (l'eau du Baptiste). Cependant l'eau du Baptiste joue une figuration symbolique.

– au chapitre 2 : le vin (qui est un autre nom du pneuma) est opposé à l'eau lustrale des Judéens dans les jarres ;

– au chapitre 3 :« Si quelqu'un ne naît pas d'eau et pneuma (c'est-à-dire de cette eau-là qui est le pneuma)… » Ce n'est pas notre conception sacramentelle du baptême qui est indiquée ici, dans laquelle il y a de l'eau, élément sensible, et puis l'intériorité pneumatique. Cette conception va se développer plus tard dans d'autres structures de pensée que celle de Jean ; ce n'est pas faux mais c'est nocif pour notre lecture authentique de Jean. Nous avons ici un hendiadys : « eau et pneuma » c'est-à-dire « de cette eau-là qui est le pneuma », donc ce qui est évoqué ici, ce n'est pas l'eau (l'élément eau).

– au chapitre 4, celui de la Samaritaine : différence est faite entre l'eau du puits de Jacob et « l'eau que je donnerai », donc une autre eau qui est précisément le pneuma ;

– au chapitre 5 : ce n'est pas l'eau de la piscine de Bethesda dans laquelle il faut plonger le paralytique, mais c'est la parole qui est l'autre eau, la parole de Jésus qui dit « Lève-toi ».

– au chapitre 6 il y a un épisode maritime mais qui n'est pas exactement dans la même symbolique de l'eau ;

– au chapitre 7 nous trouvons cette grande proclamation que j'ai citée : « 37Jésus se tint debout et cria disant : “Si quelqu'un a soif, qu'il vienne près de moi, et qu'il boive, 38celui qui croit en moi, selon que le dit l'Écriture, des fleuves d'eau vivante couleront de son sein” 39Il dit ceci à propos du Pneuma. » Donc il s'agit de l'eau qui est le pneuma, l'eau hendiadyque.

     3ème élément : le pneuma sous forme de colombe.

Baptême de Jésus, onction du Saint EspritNous n'oublions pas qu'au Baptême, le pneuma descend sous forme d'une colombe et repose sur Jésus. Il oint Jésus et donc le manifeste comme Christos, c'est-à-dire comme Messie Roi oint, imprégné, enduit.

●   Parenthèse sur les grandes épiphanies (Baptême, Transfiguration, Résurrection).

Quand Jésus parle ici de l'eau (1 Jn 5), il parle de l'élément eau mais toujours référencié à un épisode, ici même à deux épisodes si on considère aussi le sang et le pneuma. 

J'ai parlé du Baptême et j'aurais voulu en parler comme étant l'une des trois grandes épiphanies, mais c'est une parenthèse qui n'est pas dans le droit-fil de ce que nous cherchons en ce moment, elle est importante du fait qu'il faut repérer des constantes.

Épiphanie est un mot qui signifie manifestation et le Baptême est la première grande épiphanie car c'est la première célébration anticipée de la résurrection. En effet la dimension de résurrection est en Jésus mais ne se manifestera en plénitude que dans la résurrection qui est l'épiphanie au jardin, le baptême étant l'épiphanie sur le fleuve. La Transfiguration est l'autre grande épiphanie, c'est l'épiphanie sur la montagne ; il y a également le pneuma, non plus sous la forme de la colombe, mais sous la forme de la nuée qui descend sur Jésus, Moïse et Élie, car la nuée est un des noms du pneuma[7].

L'énumération des trois grandes épiphanies (sur le fleuve, sur la montagne, au jardin) est faite dès le second siècle par les lecteurs attentifs de Jean.

b)  Eau, sang, pneuma à la Croix (Jn 19, 31-37).

Christ crucifié, évangiles dits de François II, BNFJ'en viens au chapitre 19, l'épisode de la croix[8].

●    Sang et eau coulent du côté de Jésus en croix.

« 31Les Judéens, puisque c'était la Vigile (la Préparation), pour que les corps ne demeurent pas sur la croix pendant le shabbat – car c'était un grand jour que ce shabbat-là, demandèrent à Pilate de leur briser les jambes et de les enlever (les corps). 32Les soldats vinrent donc ; ils brisèrent les jambes du premier, puis de l'autre qui avait été crucifié en même temps que lui (Jésus). 33Venant vers Jésus, comme ils virent qu'il était déjà mort, ils ne lui brisèrent pas les jambes. 34Mais un des soldats, de sa lance, lui ouvrit le flanc. Et sortit aussitôt sang et eauhendiadys35Celui qui a vu a témoigné, et son témoignage est vrai. La thématique du témoignage vient en rapport ici avec la thématique de l'eau et du sang – Et celui-ci sait qu'il dit vrai afin que vous aussi vous croyiez.

36Ces choses arrivèrent, afin que soit accomplie l'Écriture : "Pas un os ne lui sera brisé". » La citation de Ex 12, 46 fait allusion à la recette de cuisine de l'agneau pascal[9] : il ne faut pas rompre les os de l'agneau pascal. Donc la référence à l'agneau que nous avons trouvée dans « Voici l'agneau de Dieu qui lève le péché du monde » se trouve à nouveau ici dans cet ensemble.

 

sur la croix Jésus envoie l'Esprit●    Le pneuma livré.

«37Et une autre Écriture dit encore : “Ils regarderont celui qu'ils ont transpercé.” – c'est la transfixion comme telle, et le pneuma est déjà là – Inclinant la tête, il (Jésus) livra le pneuma. » Les Synoptiques, disent « Il remit (aphêken) le pneuma » (Mt 27, 50) ou « il expira (exépneusen) » (Lc 23, 46 ; Mc 15, 37), mais à dessein Jean emploie le terme de pneuma avec le verbe para-didomi dans lequel il y a le verbe donner : paredôken (il livra).

Donc pneuma, sang et eau, nous avons ici ces éléments qui sont rassemblés de façon intentionnelle.

 

5) Nouvelle lecture de 1 Jn 5, 5-6.

Alors pour ramasser cela, nous revenons à notre texte.

« 5Quel est celui qui vainc le monde sinon celui qui croit que Jésus est le Fils de Dieu. » Le thème de la victoire : « Croire que Jésus est… » c'est vaincre le monde. Ce qui vainc ce monde-ci qui est régi par la mort et le meurtre, c'est la résurrection. Celui qui croit, croit à la résurrection ; mais croire à la résurrection ce n'est pas avoir une opinion sur la résurrection, c'est ressusciter soi-même, la parole de Dieu étant, nous le disons encore une fois, une parole œuvrante[10], donc une parole donnante.

 « 6Il est celui qui vient par eau et sang. » "Eau et sang" est un hendiadys que nous avons trouvé explicitement dans l'épisode de la mort sur la croix.

La mort sur la croix, c'est la résurrection du Christ. Jean ne considère jamais un épisode comme un fragment de l'Évangile. Chaque épisode, s'il est lu au profond de lui-même, recèle la totalité de l'Évangile[11]. La mort n'est pas une anecdote qui sera suivie ensuite heureusement par une bienveillance du Père qui se décide enfin et qui se dit : « Tiens, je vais le ressusciter ». Pas du tout. La résurrection est dans la mort du Christ, c'est-à-dire que son mode même de mourir fait que sa mort n'est pas une mort pour la mort, mais une mort qui manifeste la vie.

 

Conclusion.

Le vendredi saint n'est pas différent du dimanche de Pâques : le vendredi il n'est pas nécessaire de pleurer car le vendredi célèbre déjà la résurrection ; c'est Jésus lui-même qui le dit aux femmes : « Ne pleurez pas » (Lc 23, 28).

Dans ce passage qui se trouve à la fin de sa première lettre, Jean célèbre la résurrection et non seulement la résurrection mais aussi la Pentecôte, car le versement de l'eau, du sang et du pneuma, c'est la diffusion du Pneuma (de l'Esprit), c'est-à-dire que Jean ne considère jamais un épisode pour son caractère fragmentaire, mais il célèbre toujours la totalité et l'unité secrète du mystère christique à propos des différents épisodes. C'est d'ailleurs un principe de lecture qui vaut pour l'ensemble de l'évangile de Jean. C'est tout le mystère intégralement qui est célébré dans l'épisode de l'aveugle-né ou dans celui des Noces de Cana. Prenez n'importe quel épisode, il ne tient, de la façon dont il est dit, que parce qu'il recèle la totalité du mystère.

C'est l'invitation à lire grand, à lire en profondeur. À lire grand : ce n'est jamais une simple anecdote qui arrive à l'homme Jésus quelque part, c'est ce qui arrive à l'humanité dans son intégralité qui est en question à chaque fois. Et lire ce n'est pas se documenter car, nous l'avons dit, la parole de Dieu est une parole œuvrante.

Voilà une approche du thème que je voulais évoquer avec vous. Ça paraît riche et en même temps récapitulatif et conclusif comme texte. C'est très difficile de tenir tout cela rassemblé, de faire que les choses soient dites ensemble et que cependant vous ne soyez pas complètement perdus à chaque fois.



[3] Ceci est repris avec des extraits d'autres interventions de J-M Martin dans Les verbes être et avoir dans la Bible, en hébreu, grec et français.

[4] Par exemple en Jn 11, 17 :« venant Jésus le trouva, étant (ékhonta) de quatre jours déjà dans le tombeau. »

[5] En Jn 1 le Baptême de Jésus est raconté par Jean-Baptiste aux versets 19-36, mais le Prologue lui-même est déjà dans la figure du Baptême. Voir les chapitres II et V du Prologue de l'évangile de Jean (tag JEAN-PROLOGUE)

[6] Ceci est repris dans un message qui reprend d'autres interventions de J-M Martin : La symbolique de l'eau en saint Jean (la mer, eau des jarres, fleuves d'eau vive, eau-sang-pneuma au Baptême et à la Croix).

[7] L'examen des traits caractéristiques présents dans ces trois épiphanies (ou théophanies) est longuement faite dans la session du Prologue de l'évangile de Jean, au I du Chapitre II : Théophanies et structure du Prologue.

[8] Ce texte est aussi commenté dans la session sur la Passion (tag JEAN 18-19-PASSION).

[9] Allusion au livre de Jean Pierre Vernant Cuisine du sacrifice.

[10] Sur le thème de la Parole œuvrante voir tout particulièrement le chapitre I.

[11] « Il ne faut pas nous hâter de distribuer les mots eau, sang, pneuma que nous trouvons en 1 Jn 5 de façon étanche par rapport à tel ou tel épisode de la vie du Christ : le Baptême, la Croix etc. Ces mots disent la résurrection, mais ils ne la disent pas comme un épisode, ils la disent comme la venue de Jésus aux siens, c'est-à-dire qu'ils disent simultanément la résurrection et son recueil. En effet tout ce passage de 1 Jn 5 est dans un contexte de pistis (foi) d'après le verset 5 qui introduit le passage concernant ces trois qui sont l'eau, le sang et le pneuma (v.6-8). Ce qui est en question ici, c'est la foi comme victoire, c'est-à-dire la venue de Jésus aux siens. Ce qui est en question c'est le venir, et le venir par moyen d'eau, sang, pneuma. Il est bien question ici à la fois de la parole entendue, du baptême, de l'Eucharistie, mais non pas comme des choses disjointes et telles qu'il faudrait attribuer telle pièce du ternaire à tel sacrement, mais telles en revanche que chacun de ces symboles dans son unité profonde dit la totalité de la présence du Christ aux croyants maintenant. [ … ] Nous retrouvons là le langage de l'évangile de Jean : l'eau à boire, le sang qui coule, le pneuma parlant, ou la parole qui s'entend, comme aussi bien ailleurs le pain qui se mange désignent le "venir du Christ", disent des noms de sa réelle présence de Ressuscité. » (Extrait du cours à l'Institut Catholique de Paris en 1979-80).

 

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