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La christité
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  • Ce blog contient les conférences et sessions animées par Jean-Marie Martin. Prêtre, théologien et philosophe, il connaît en profondeur les œuvres de saint Jean, de saint Paul et des gnostiques chrétiens du IIe siècle qu’il a passé sa vie à méditer.
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10 décembre 2015

1JEAN. Ch X : lecture commentée de 1 Jean 5. Derniers échos de la session

Dans la fin de la session animée en 2009 par Jean-Marie Martin sur "Connaître et aimer dans la première lettre de Jean", est abordé le chapitre 5 dans le temps qui restait. C'est encore un chapitre immense, et certains passages comme les versets 5-7 n'ont pas été abordés en détail faute de temps, les notes renvoient à d'autres messages où cela est médité. Voici le PLAN : 1°) Versets 1-4  ; 2°) Versets 5-7. Eau-sang-pneuma ; 3°) Versets 9-12 Le thème du témoignage ; 4°) Versets 13-15. Un ensemble cohérent sur la prière ;  5°) Versets 16-18. Le péché qui mène à la mort ; 6°) Versets 19-21. Curieuse fin de l'épître.

 

Chapitre X

Lecture commentée de 1 Jean 5

 

Nous avons fini le chapitre 4. Le chapitre 5 est immense à nouveau, j'en esquisse le principe de lecture. Nous n'allons pas le fréquenter avec la même attention pour une question de temps.

1°) Versets 1-4.

« 1Tout homme qui croit que Jésus est Christos, est né de Dieu. – nous avons déjà entendu cela – Et tout homme qui aime l'engendrant aime aussi celui qui est engendré de lui. – c'est le même, de la même semence – 2 À ceci nous connaissons que nous aimons les enfants de Dieu quand nous aimons Dieu – voilà la phrase inverse – et que nous gardons ses dispositions[1]. – Nous retrouvons le thème quaternaire, la structure tétramorphe de la présence de Dieu : « Si vous m'aimez, vous garderez mes dispositions, je prierai le Père et le Père vous donnera le Pneuma  »[2].

3 Car l'agapê de Dieu est que…hina, “afin que” : c'est cela en marquant la direction, vers quoi ça va – …nous gardions ses dispositions. Et ses dispositions ne sont pas lourdes. – Cela correspond à « mon fardeau est léger ». Cette phrase serait à méditer infiniment parce que ça a été vécu et vécu légitimement comme très dur. Ce qui est mis en évidence ici, c'est que, finalement, ce n'est pas nous qui accomplissons cela, qui accomplissons les dispositions.  

Descente aux enfers, église st-Luc-du-monastère, Grèce, mosaique début XIe s4Car tout ce qui est né de Dieu vainc le monde – voilà à nouveau le thème de la victoire : la victoire sur le monde. Or seul ce qui en nous est né de Dieu opère une tâche non lourde, parce que c'est la christité en nous qui opère cela. Et en effet qu'est-ce que cette victoire qui a vaincu le monde ? –. Et la victoire qui a vaincu le monde, c’est notre foi. » Voilà le mot "foi (pistis)" qui ne se trouve qu'une seule fois chez saint Jean. Il emploie abondamment le verbe "croire", ici c'est la foi. Seulement il ne s'agit pas de notre acte de foi, comme c'est le plus souvent le cas ailleurs. Il s'agit, non pas de notre croire, mais de notre cru, de ce que nous croyons. C'est cela qui vainc le monde, et ce que nous croyons, c'est le Christ : c'est le Christ qui vainc le monde.

Nous pouvons faire ici le rapport avec le mot volonté. La volonté est la faculté par quoi je veux, c'est ma disposition à vouloir ou mon acte de vouloir, mais c'est aussi ce que je veux : les dernières volontés ce sont les choses que je veux. Je mets sur mon testament non pas mon acte de vouloir mais les dernières choses que je veux, mes volontés. Et ici la foi c'est ce que je crois : ce qui vainc le monde c'est cela, ou Celui que je crois.

 

2°) Versets 5-8. Eau, sang, pneuma.

Vous avez ensuite un passage qui a fait déjà l'objet d'une session entière, le  passage sur les trois grands symboles fondamentaux : l'eau, le sang, le souffle[3]. C'est un passage éminemment profitable pour l'intelligence de la grande symbolique johannique du pneuma.

L'eau, le sang, le souffle : les trois sont nécessaires mais ce sont trois formes pour dire le même. La mention du sang, nous l'avons déjà repérée à plusieurs reprises : sous l'agneau, sous le sang sacrificiel. Le sang est indéracinable, il est encore là, donc il a sa fonction. L'eau… N'allez pas penser par exemple que l'eau correspond au baptême, le sang à l'Eucharistie, et le souffle à la confirmation de l'Esprit Saint. Ça, c'est bien après, bien autrement.

Nous avons donc affaire ici à une symbolique essentielle qui éclaire tout l'évangile de Jean. C'est une sorte de récapitulation des lieux essentiels : du Baptême du Christ, du moment de la Passion où coulent eau et sang alors qu'il remet le pneuma (nous avons les trois). Mais le détail du texte est subtil, et remarquable pour méditer sur le rapport du un, du deux et du trois.

« 5Quel est le vainqueur du monde, sinon le croyant que Jésus est le Fils de Dieu  6 Il est celui qui vient par eau et sang : Jésus Christ, non pas dans l'eau seulement mais aussi dans l'eau et dans le sang. – Vous avez un premier emploi “eau et sang” où il est clair que ça désigne la même chose, et ensuite les deux sont repris mais cette fois avec une répétition de la préposition et de l'article, pour marquer la dualité : ils sont un, ils sont deux. – Et le pneuma est le témoignant – voilà venir le troisième – puisque le pneuma est la vérité. »  Pneuma et vérité sont des noms du même.

« 7Car trois sont les témoignants : 8 Le pneuma et l'eau et le sang, et les trois sont vers un ». Nous avons ici un texte qui permet de relire l'évangile de Jean dans son intégralité.

 

3°) Verset 9-12. Le thème du témoignage.

« 9Si nous recevons le témoignage des hommes… – voici le thème du témoignage chez Jean : le mot témoignage ne signifie pas exactement ce qu'il signifie chez nous. Nous l'avons vu apparaître dès l'incipit sous sa forme verbale : « nous vous l'annonçons et nous témoignons ». C'est d'une importance capitale pour l'ouverture de l'Évangile. Un des premiers témoins, c'est le Baptiste qui est témoin de la terre, il reçoit du ciel le rôle d'être témoin de la terre. Donc le terme de témoignage va nous laisser, comme c'est arrivé déjà à plusieurs reprises dans notre texte, dans la symbolique du Baptême du Christ.

… le témoignage de Dieu est plus grand. – Meizon : “plus grand que”, le comparatif que nous retrouvons à toutes les pages. Si nous recevons le témoignage des hommes, à fortiori le témoignage de Dieu puisque le témoignage de Dieu est plus grand.

Or c'est ceci le témoignage de Dieu, [celui] qu’il a témoigné à propos de son Fils » – Qu'est-ce que Dieu a témoigné à propos de son Fils ? La parole « Tu es mon Fils, aujourd'hui je t'engendre » ou « Celui-ci est mon Fils bien-aimé ». Le témoignage de Dieu, c'est la désignation « Voici mon Fils » ou « Celui-ci est mon Fils ». Car : « Ce n'est pas moi qui témoigne de moi » (Jn 5, 31) parce qu'on ne doit pas témoigner de soi. Si on témoigne de soi on est menteur, on témoigne toujours d'un autre, c'est un des principes de la notion de témoignage, alors que chez nous on témoigne de son vécu. Non, chez saint Jean, c'est une autre conception du témoignage. J'ai déjà parlé de la conception du témoignage de deux ou de trois, le témoignage n’étant jamais le récit de quelqu'un d'isolé[4].

Or, à un moment, on accuse Jésus de se prétendre Fils de Dieu, de témoigner de lui-même et donc d'être menteur. Et Jésus répond : ce n'est pas moi qui témoigne de moi, c'est un autre ; cet autre c'est le Père ; c'est le Père qui témoigne de moi (Jn 8, 13-18). Quel est le témoignage que le Père rend à Jésus ? C'est la résurrection. Le beau témoignage qu'il lui a rendu, c'est de le ressusciter. Or le beau témoignage de Dieu, c'est aussi la parole qui dit « Tu es mon Fils ». La parole qui dit « Tu es mon Fils » et l'acte de le ressusciter, c'est la même chose, c'est-à-dire que la parole « Tu es mon Fils » est la célébration de l'acte insu et non vu de la résurrection. L'acte de la résurrection lui-même n'est pas vu, il est vu par la parole qui l'énonce. Ensuite le Ressuscité se donne à voir. Et le mot Fils de Dieu prend un sens nouveau à partir de la résurrection car il ne dit rien d'autre que la résurrection. Même si sémantiquement il a des sens préexistants ailleurs, il est ressaisi à partir de la résurrection.

Je rappelle ici un texte que vous avez eu la grâce de redire dans une célébration et que j'avais cité : « Ce Jésus que vous avez mis à mort, Dieu l'a ressuscité le troisième jour selon ce qui est écrit dans le psaume 2 : Tu es mon fils, je t'engendre aujourd'hui ” » (Ac 13, 30-33). L'engendrement se manifeste dans la résurrection, il est égalé par la parole qui dit « Tu es mon Fils ». Donc la référence iconographique, l'icône sous-jacente, c'est l'icône du Baptême qui célèbre et dit la résurrection. Dès que vous voyez le mot témoignage chez Jean, vous pouvez penser à cela, ce qui explique le texte comme nous allons le voir.

« 10Celui qui croit au Fils de Dieu a le témoignage de Dieu en lui. – c'est-à-dire qu’il est  enduit, imprégné, oint de témoignage – Celui qui n’a pas le témoignage en lui – celui qui ne croit pas en Dieu – le fait menteur, puisqu'il ne croit pas au témoignage que Dieu a rendu à son Fils. – nous avons déjà trouvé ce genre de raisonnement au tout début de l'épître : « nous le faisons menteur » (1 Jn 1, 10). Dire “je n'ai pas péché” c'est faire Dieu menteur puisque Dieu dit « Tu es mon Fils » qui signifie la levée du péché. Ce sont des articulations subtiles qui donnent cohérence à ce texte – 

11 Et c’est ceci le témoignage, que Dieu nous a donné : la vie éternelle… – même chose, autre façon de dire que mort et résurrection du Christ est donation pour nous de la vie, c'est-à-dire de la vie de résurrection. L'annonce de la résurrection du Christ est simultanément l'annonce de notre résurrection. Nous ne sommes pas informés sur la résurrection de quelqu'un d'autre comme ça, par hasard, sans que cela nous touche. Accueillir la résurrection de Jésus, c'est accueillir le commencement de résurrection qui s'opère en nous. Le mot zoê aiônios désigne toujours l'espace de résurrection, chez saint Jean – …et que la vie est dans son Fils. 12 Celui qui a le Fils a la vie – nous savions déjà que celui qui a le Fils a le Père. Ici celui qui a le Fils a la vie – Celui qui n'a pas le Fils de Dieu n'a pas la vie. »

Donc nous nous familiarisons progressivement avec un nombre minimum de mots qui sont les mots fondamentaux mais qui ne doivent pas être pris indépendamment les uns des autres car ils ne font sens et sens authentique que dans leur proximité mutuelle, dans leur cohérence mutuelle. C'est cela approcher de la cohérence secrète de celui qui me parle, ce serait cela écouter. Or nous écoutons souvent en rangeant dans ce que nous savons déjà, dans notre propre cohérence, la parole que nous entendons. Entendre véritablement, c'est entendre la parole de l'autre dans la cohérence de la parole de l'autre, a fortiori s'il s'agit de Dieu.

 

3°) Versets 13-15. Un ensemble cohérent sur la prière.

« 13Je vous ai écrit ces choses, pour que vous sachiez que vous avez la vie éternelle,  croyant au nom du Fils de Dieu. 14 Et c’est là l’aisance que nous avons auprès de lui, que, si nous demandons quelque chose selon sa volonté, il nous écoute. 15 Et si nous savons qu’il écoute ce que nous lui demandons, nous savons que nous avons les choses que nous avons demandées. » Vous avez ici à nouveau un ensemble cohérent, une articulation qu'il convient de percevoir. La phrase pourrait être dérisoire entendue d'une certaine oreille.

Ce qui est en question ici premièrement, c'est le retour de l'aspect de prière qui est un des quatre aspects que nous avons énumérés. Ce n'est pas celui qui est le plus développé des quatre, c'est celui qui est le moins développé dans cette lettre-là. Il est récurrent parce qu'il appartient – c'est une autre façon de dire la même chose – il appartient à ce nœud, à ce foyer de sens qu'est la simple annonce évangélique.  Aitômetha : nous le prions. L'aisance ou la confiance que nous avons auprès de lui réside en ce que, si nous lui demandons quelque chose, il nous entend.

« Si nous demandons quelque chose selon sa volonté, il nous écoute… et nous avons les choses que nous avons demandées » : cette phrase pourrait être dérisoire. Si on lui demande ce qu'il veut, c'est évident. Or nous savons désormais que sa volonté ne dit pas purement et simplement ce qu'il veut, parce que nous savons ce qu'il veut : il nous veut, nous sommes le voulu de Dieu[5]. Nous ne sommes pas des enfants non voulus d'auprès de Dieu. Donc vouloir le voulu de Dieu, c'est en cela vouloir notre accomplissement, désirer notre accomplissement. C'est le « Que ta volonté soit faite » réentendu. C'est la troisième fois, je crois, que nous évoquons ce point.

Là encore, c'est un thème qui peut-être n'est pas exploité jusqu'où il pourrait l'être quand il est énoncé comme cela, mais nous avons l’indice d'un lieu de réflexion important. Il intervient à propos de ce thème de la prière qui apparaît ici, et de la prière infaillible. La prière authentique demande la volonté de Dieu, elle est infaillible ; ce qui n'est pas du tout accablant si j'ai entendu la volonté de Dieu comme la volonté de mon accomplissement propre : il veut mon accomplissement propre.

Le thème de la prière est spécialement développé dans le chapitre 16 de l'évangile de Jean. Ce chapitre 16, du verset 16 jusqu'à la fin, est vraiment la pointe extrême de la méditation johannique sur le mystère christique. Le thème essentiel de ce chapitre est l'intelligence de l'absence de Jésus comme présence plus grande dont son absence est comme la condition : « il vous est bon que je m'en aille car si je ne m'en vais, je ne viens pas dans ma dimension de résurrection, dans ma plus haute présence » – je glose ici un texte du début du chapitre 16 de l'évangile[6]. C'est énoncé d'abord en forme d'énigme, élucidé ensuite à l'aide d'une parabole qui fait le chemin entre l'énigme et la parole claire (donc la parrhêsia). Tel est le processus. Le mot parrhêsia prend ici le sens de parole qu'il a étymologiquement puisque rhêma, c'est la parole : parole aisée, parole familière, qu'on peut traduire aussi par parole claire, parole simple, parole nette ; par opposition à la parole cryptée, à l'énigme qui a ouvert le chemin de la réflexion vers la parole nette. Et nous savons que ce processus, qui passe par le trouble, la recherche (zêtêsis) et la question, s'achève en prière. C'est pour cela que le thème de la prière est développé à la fin de cette péricope du chapitre 16 comme nous le retrouvons également ici à la fin de notre épître, bien que nous ayons déjà entendu sonner ce mot légèrement au cours de l'épître. Ce n'est pas le point sur lequel l'épître porte son attention préférentielle.[7]

 

5°) Versets 16-18. Le péché qui mène à la mort.

« 16Si quelqu'un voit son frère pécher d'un péché qui ne va pas à la mort, qu'il prie et lui sera donnée la vie - à ceux qui pèchent non pas pour la mort - Il est un péché pour la mort, je ne dis pas qu'on prie pour celui-là. 17Tout désajustement (adikia) est péché [mais dans les désajustements] il y a un péché (hamartia) qui ne va pas jusqu'à la mort. »

Diable, ParisCe texte est très difficile à expliquer. Il ne s'agit pas de la différence bien connue dans les catéchismes et issue de la théologie médiévale, de la distinction entre le péché mortel et le péché véniel. Que veut dire ce péché qui va à la mort ? C'est le péché unique, peut-être le diabolos lui-même, probablement. Et nos péchés sont sans doute des péchés qui ne vont pas systématiquement à la mort, c'est-à-dire qui sont rémissibles. C'est la question de l'irrémissible. On trouve un écho de cela dans les Synoptiques à propos du péché contre le pneuma qui serait irrémissible. C'est également très difficile à interpréter, je ne sais pas exactement ce que cela veut dire.

Dans le contexte qui est le nôtre ici, en tout cas, il ne faut pas entendre cela de façon simplifiée : il y a des péchés qui sont pour la mort et des péchés qui ne le sont pas… Il y a une signification derrière cela, et en outre, ça ne dirait pas nécessairement l'irrémissible parce qu'il peut y avoir des péchés rémissibles par Jésus lui-même et tels que, pour autant, nous n'ayons pas la capacité d'avoir part, nous, à cette rémission. Ce n'est pas exactement l'irrémissibilité qui est en question ici.

Donc, premièrement ce n'est pas ce que nous appelons les péchés mortels, et ensuite, il ne s'agit pas d'irrémissibilité, il s'agit de l'incapacité de prier pour, c'est-à-dire que la rémissibilité éventuelle n'est pas de dimension telle que nous puissions y participer, ce qui serait déjà un point de distinction.

Mais ensuite, en quoi consiste le péché mortel ? Je serais tenté de croire qu'il s'agit du diabolos lui-même, qui n'est en aucune façon rémissible.

► Ce n'est pas le déni ?

J-M M : Tant que le déni est là, il est irrémissible, cependant je peux prier pour que le déni s'en aille, que le déni soit défait. Donc sous ce rapport-là, même dans le cas du déni, ce n'est pas ce pour quoi je ne peux pas prier. Le déni effectivement, de par sa nature même, interdit toute rémission : c'est que je n'en veux pas, je ne peux pas reconnaître que j'en ai besoin, donc je suis plein, je ne peux pas être empli d'autre chose, je ne peux pas recevoir[8].

Je ne peux pas recevoir le pardon tant que je dénie, c'est une chose vraie déjà, mais ce n'est pas suffisant, je pense, pour expliquer la phrase ici qui reste complexe. Vous savez, cela fait 40 ans que je suis dans le texte, je ne l'ai pas élucidé de façon claire. Essayez.

► Ça éclaire quand même.

J-M M : Oui, ça essaie de prendre des positions partielles, de ne pas mésentendre trop, mais je ne dis pas que je suis d'une lucidité extrême par rapport à ce texte, ce qui va de soi.

« 18 Nous savons que tout ce qui est né de Dieu ne pèche pas. – c'est la redite du chapitre 3 – Ce qui est né de Dieu, Dieu le garde et le mauvais ne le touche pas. »  – C'est là que la mention du mauvais est importante ; le diabolos ne l'atteint pas, ne le touche pas en tant que précisément il est né de Dieu. C'est ce qu'on appelait techniquement au Moyen Âge un langage formel : le langage de Jean est un langage formel, c'est-à-dire que le christique, en tant que christique, ne pèche pas. Nous avons expliqué cela à propos du chapitre 3, mais ça ne dit pas qu'il n'y a pas de christique chez un individu. J'ai dit aussi qu'il faudrait réétudier à ce propos l'homme intérieur et l'homme extérieur de Paul. Parce que Paul et Jean disent exactement la même chose, c'est ça qui est merveilleux. Ils ont des vocabulaires très différents – mis à part le vocabulaire foncier et originel qui est constitutif de la toute première annonce, le Credo initial – mais le déploiement se fait dans des styles et dans des vocabulaires très différents et ils sont parfaitement consonants chacun dans son propre discours. Ils disent le même. On pourrait le montrer, même pour la thèse essentielle de Paul, la thèse du salut par la foi et non pas par les œuvres, que l'on trouve dans un autre langage chez Jean.

► Pourquoi le Mauvais a-t-il une majuscule dans nos Bibles ?

J-M M : Toute la question est de savoir de quel type d'être il s'agit : est-ce que le diabolos doit être pensé sur le type d'un sujet, d'une personne, d'une idée ou d'une chose ? Vous avez des mots pour lesquels vous ne vous posez même pas la question. Énergie, qu'est-ce que c'est comme type d'être, l'énergie ? C'est quoi, au sens moderne du terme ? En effet, le mot énergéïa à un autre sens dans l'évangile. Nous sommes dans une beaucoup trop grande insouciance lorsque nous restons purement descriptifs, approximatifs et que nous employons des mots qui sont suffisants pour agir, qui sont donc utiles, mais nous ne nous posons pas la question : être, c'est quoi ? Nous revenons à la question qui est ce combat de géant, comme le disait Aristote, qui anime la philosophie et qui est la question essentielle.

Le Mauvais s'écrit avec une majuscule parce qu'on a dit que c'était une personne et les noms de personnes prennent une majuscule. Or il n'est pas une personne sur le mode sur lequel nous pensons la personne, évidemment, c'est ça le problème. En un certain sens, vous aimez mieux le mal diffus plutôt qu'un monsieur méchant. C'est votre affaire. Seulement, ce qui est en question, ce n'est ni l'un ni l'autre : ni un monsieur méchant, ni un mal diffus[9].

 

5°) Versets 19-21. Curieuse fin de l'épître.

« 19 Nous savons que nous sommes de Dieu et que le monde tout entier est posé (gît) dans le mauvais. 20 Nous savons que le Fils de Dieu est présent et qu'il nous a donné la dianoia – dianoiaest un mot rare chez Jean pour dire la connaissance. C'est un substantif, un mot dont la racine est proche de la gnose. J'ai dit qu'il n'y avait pas de substantif pour le verbe connaître, mais en voici un qui est affecté ici d'un mot courant, le préverbe dia. – et nous connaissons le vrai et nous sommes dans le vrai, dans son Fils Jésus Christ ; il est le vrai, il est la vérité, deux expressions, l'une sous la forme de l'adjectif, qui se trouve ici, l'autre sous la forme du substantif que nous avons rencontré souvent dans l'évangile de Jean. Cela nous reconduit aux multiples “Je suis” dont nous parlions au début – il est le vrai Dieu et la vie éternelle ».

 «21Petits enfants, gardez-vous des idoles...  » C'est une fin curieuse, brutale, il n'y a pas de conclusion. Il faut savoir que le grand verbe “garder” n'est pas celui-là (phulax), c'est têrein, c'est le shâmar hébraïque. Il n'y a rien qui corresponde exactement à cela chez nous. Phulax, par exemple, c'est la garde du troupeau. Le verbe têrein signifie ce qui est dans le rapport de ce qui se donne et de ce qui se garde en même temps. C'est un mot qui n'a pas son correspondant et qui est souvent traduit, par exemple à propos de la parole, par “mettre en pratique”. C'est l'horreur : mettre en pratique le précepte ! Garder la parole : laisser que la parole s'entende et qu'elle s'accomplisse, y compris dans nos membres, dans nos pieds pour marcher, – marcher c'est la façon de dire se comporter – dans nos mains pour agir, etc. Il n'y a pas cette distinction du théorique et du pratique : “mettre en pratique”, c'est l'horreur, ça n'existe pas dans le Nouveau Testament, c'est notre distinction du théorique et de la morale.

 

Derniers échos de la session

 

► Le terme de "petits-enfants", c'est différent de "bien-aimés" ?

J-M M : Les tekna (enfants), ce sont les enfants quand il s'agit des enfants de Dieu que nous sommes tous ici. Et teknia (petits-enfants), c'est une parole de tendresse que Jean emploie à l'égard des communautés johanniques.

 

► « Nous ne savons pas où nous en sommes de l'amour » me conforte dans ce que j'essaie de vivre : je loupe ma cible, eh bien, je loupe ma cible.

J-M M : Quelquefois nous avons dit cela par rapport au péché : il faut éviter le déni. Il faut donc le reconnaître, mais il faut éviter aussi le dépit, c'est-à-dire qu'il ne faut pas le reconnaître de façon dépitée mais de façon hilare, joyeuse.

 

► Lumière et ténèbre se côtoient ou se succèdent. Le voile n'est jamais totalement enlevé. La souffrance reste pour moi un très grand mystère, et cependant elle peut être le lieu de cet accueil.

J-M M : Elle peut aussi subir la véraison[10], elle peut aussi tourner : c'est-à-dire que la souffrance peut changer de sens quand elle est relue. On l'aperçoit après coup, on peut ne pas du tout le voir dans l'instant.

 

► Peux-tu expliquer ce que tu entends par “L'Évangile se tient tout entier dans la résurrection” ?

 J-M M : Cela veut dire que la résurrection a une position axiale à partir d'où se relisent les autres choses, c'est-à-dire qu'elle éclaire tout le reste. Par exemple on a plutôt l'habitude de poser la résurrection dans une création déjà préétablie. Penser à nouveaux frais ce que dit la création à partir de l'expérience de résurrection, c'est cela que je propose. Enfin je dis cela pour le cas où la question résonnerait chez vous également.

De la même manière le “Aimez-vous les uns les autres” du Lévitique est ressaisi à la lumière de la résurrection : aimer les autres s’entend du fait que tous les hommes sont semence de christité et que tous les hommes sont frères. L’amour de Dieu n’est pleinement accompli que dans l’amour mutuel.



[1] "Disposition" traduit le mot entolê (commandement) comme cela a été expliqué auparavant. Voir La Bible contient-elle des commandements ? Et sinon comment entendre les mots correspondants ?.

[2] Cf. les allusions faites au chapitre IV 2° b) Garder la parole, et au chapitre VII dans le commentaire du verset 22 à la fin. Ce sujet est traité de façon plus précise dans Jn 14, 15-16: les 4 formes de la Présence du Ressuscité. Écriture musicale de Jn 14-17 .

[3] Ces versets ont été médités lors d'autres sessions. Voir par exemple Lecture de 1 Jn 5, 1-12 ; Eau, sang et pneuma (esprit, souffle...) dans les versets 6-8..

[5] Cf. ce qui est dit sur la volonté comme semence au chapitre VI -1° c) avec le complément qui se trouve au 2° b) deuxième paragraphe avant la fin : 1JEAN. Ch VI. Lecture commentée de 1Jn 2, 12-29. Sur « Que ta volonté soit faite » voir  Le Notre Père en Mt 6, 9-13, lecture à la lumière de saint Jean et saint Paul 

[10] Voir chapitre VI, 2°) c), le 1 : "Avoir ou ne pas avoir la foi" à la fin du premier paragraphe : 1JEAN. Ch VI. Lecture commentée de 1Jn 2, 12-29.

 

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