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La christité
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  • Ce blog contient les conférences et sessions animées par Jean-Marie Martin. Prêtre, théologien et philosophe, il connaît en profondeur les œuvres de saint Jean, de saint Paul et des gnostiques chrétiens du IIe siècle qu’il a passé sa vie à méditer.
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9 octobre 2015

"La quatrième hypothèse, Sur l'avenir du christianisme", livre de Maurice Bellet. Extraits

Ce blog s'appelle La Christité et le premier message mis sur ce thème il y a deux ans était une conférence de Jean-Marie Martin où il se référait au livre de Maurice Bellet[1] La quatrième hypothèse et à la parole du Christ : « Je m'en vais et je viens » (Jn 14) : Fin du christianisme ? « Je m'en vais et je viens. ». C'était le 2 janvier 2002 à Saint-Bernard-de-Montparnasse où comme à l'habitude ils devaient parler tous les deux, chacun pendant une heure, mais M. Bellet avait eu un empêchement et J-M Martin l'avait remplacé. Sont donnés ici des extraits du chapitre 1 du livre de M. Bellet.

Le message suivant est consacré lui aussi à M. Bellet : L'Agapê et la naissance d'humanité. Extrait d'une interview de Maurice Bellet, et de son livre Incipit.

 

Je choisis la quatrième hypothèse

 

La 4ème hypothèse

Poser la question.

Le Christ a-t-il un avenir ? (…)

Où est le lieu de la question ? N'est-il pas du côté de ce christianisme qui jusqu'à nous a, si j'ose dire, véhiculé Jésus-Christ ? (…)

Que désigne-t-on par christianisme ? L'Évangile[2] ? Les Églises ? Toute une diffusion sociale et culturelle ? (…)

Pourquoi poser la question ? Le motif, c'est la menace de disparition du christianisme (...)

 

Pour l'avenir du christianisme, quatre possibilités.

 

1. Le christianisme disparaît, et avec lui, le Christ de la foi. L'événement a été souvent annoncé, aux XVIIIe et XIXe siècles déjà. Eh bien, il s'accomplit. Ce n'est même plus l'effet d'un conflit, d'une lutte anti-chrétienne. Cela s'en va. Cela s'évacue. C'est indolore. On n'y songe même plus. Disparition… La foi chrétienne… n'est même plus à combattre.

 

2. Deuxième hypothèse : le christianisme se dissout. Il n'est pas, à proprement parler, détruit. Mais ce qu'il a pu apporter à l'humanité devient le bien commun et lui échappe. Ainsi ces « valeurs chrétiennes » de respect de la personne, soin des souffrants, dignité des pauvres, etc., si fortement méconnues dans les « âges chrétiens » et qui s'imposent davantage aujourd'hui. Même du côté du « spirituel », l'Évangile devient une composante de cet immense domaine dont l'homme d'Occident redécouvre l'importance par ses propres misères et par la rencontre des sagesses orientales. Jésus peut trouver place là-dedans, comme dans le panthéon hindou. Maître spirituel admirable, il ne serait plus que l’un des chaînons de la grande tradition, mais pas plus.

 

3. Troisième hypothèse : le christianisme continue. On conserve, on restaure, on rétablit. Et, d'autre part, on adapte, on s'accommode, on arrange. C’est Pie IX et Jean XXIII. Il y a, dit-on, opposition. Sans doute ; mais elle reste intérieure à un même ensemble, fondamentalement inchangé : un pas à droite, un pas à gauche, pour pouvoir durer dans les cahots de l'âge moderne.

À cet égard, il y a toute une « contestation » intérieure à ce système, qui en dépend beaucoup plus qu'elle ne croit. Test : les questions qu'elle pose sont essentiellement des affaires d'Église, d' « institution » comme on dit; alors que les questions décisives sont beaucoup plus radicales : elles concernent la possibilité même d'entendre l'Évangile comme une parole de vérité, là où il est question pour l'homme de son pouvoir-vivre.

 

4. La quatrième hypothèse, c'est qu'il y a bien quelque chose qui finit, inexorablement: et c'est précisément ce système religieux lié en fait à l'âge moderne de l'Occident, et beaucoup plus dépendant de lui qu'il ne l'imagine ; en un sens c'est bien une fin du christianisme, s'il s'agit d'un de ces -ismes qui caractérisent la modernité (idéalisme, marxisme, matérialisme...). Quelque chose meurt ; et nous ne savons pas jusqu'où cette mort descend en nous.

 

Aussi bien, cette crise chrétienne est indissociable d'une crise beaucoup plus générale, celle qui met en cause tant d'évidences et tant d'aspirations de l'homme d'Occident (au moment même où la "mondialisation" fait partout triompher ce type d'homme)

Alors ce qui est en cause est comme la fin d'un monde, au moment même où il peut paraître à son apogée. Quelque chose s'annonce, et nous ne savons pas ce que ce sera. Mais c'est comme si nous étions sur la ligne de départ, à l'orée d'un nouvel âge d'humanité. Pour le pire ? Pour le meilleur ? Nous ne savons pas ; mais c'est largement entre nos mains.

 

La question est : en ce moment inaugural, est-ce que l'Évangile peut paraître comme Évangile, c'est-à-dire précisément la parole inaugurale qui ouvre l'espace de vie? Le paradoxe est grand, puisque l'Évangile… c’est vieux ! Mais peut-être que le temps des choses capitales n'est pas régi par la chronologie ; peut-être que la répétition put être répétition de l’inouï, comme après tout, chaque naissance d'homme est une répétition banale – et à chaque fois, l'inouï[3].

Si l'Évangile est, ici et maintenant, cette parole-là, nous nous en arrangerons. Tous ces problèmes d'Église qui tourmentent les chrétiens, ce sont problèmes : on s'y attaquera, mais on peut vivre sans qu'ils soient résolus. Mais si l'Évangile devient silence au lieu même de l'Évangile, tout le reste est vain.

 

Je choisis la quatrième hypothèse.

C'est un choix (on ne peut être neutre en ces affaires-là). Il peut paraître impraticable ; comme si l'on voulait à la fois être dehors et dedans ; hors de ce qui constitue en fait la chose chrétienne, et pourtant dedans et au centre. Position intenable en effet… si c’est une position. Ce ne peut être qu’un mouvement ; et rien ne nous assure qu’il nous mènera à quelque repos. Nous voici avertis : si quelque chose demeure et surgit comme foi, ce sera sans la tranquillité de la croyance.(…)

 

Construire un nouveau type d’homme

 

Une telle situation contraint à inventer.

Inventer quoi ? Une théorie, une analyse, une étude approfondie du passé ou du présent ? Pourquoi pas ? Toutefois, si l’on regarde les crises passées du christianisme, on perçoit qu’à chaque fois ce qui a surgi, ouvrant un avenir, c’est un type d’homme neuf, original. Ainsi, vers la fin de Rome et le début du Moyen-Âge, le moine ; au XIIIe siècle, François le mendiant et Dominique le prêcheur ; au XVIe siècle, le jésuite et, plus largement, l’homme des exercices ignatiens (qui peut fort bien être un laïc). Vers le même temps, François de Sales propose « la vie dévote » aux gens du monde ; quant à Luther, il crée ce nouveau type de chrétien, en refus des traditions romaines, qu’il juge paganisantes et judaïsantes.

La question devient : pour l’Évangile maintenant, quel nouveau type d’homme ?

Mais les exemples précités invitent à préciser la portée de la question. François d’Assise ne prétend pas supprimer les Bénédictins, ni Ignace de Loyola supprimer les Franciscains. Le cas de Luther est différent, mais on peut penser que la rupture qui s’est ensuivie est un grand malheur. Car ce qui s’indique ici, c’est que la nouveauté n’est pas destruction mais création. Quelque chose, en quelqu’un, surgit. Si cela doit vivre, cela vivra – et peut-être pour prendre le relais de ce qui défaille. Mais le rapport n’est pas d’abord de conflit : il est de surgissement de l’inédit. Les conflits viendront sans doute - mais ensuite.

Création ; et qui ne prétend point régenter ou supprimer ; elle est comme une nouvelle espèce dans le champ, qui croîtra si cela lui est donné. Biologie plutôt que mécanique – ou dialectique.

C’est sur un tel chemin que nous allons risquer quelques pas.

 

(Maurice Bellet, La quatrième hypothèse, Sur l’avenir du christianisme. Paris, DDB, 2001, Extraits du chapitre 1.)



[1] Maurice Bellet est écrivain, prêtre,  psychanalyste, philosophe, théologien…

[2] Le mot "Évangile" ici n'est pas restreint à ce qu'on appelle les évangiles. Voir par exemple 1 Cor 15, 1-11: L'Évangile au singulier..

[3] Dans un autre chapitre M. Bellet dira : « L'Évangile est par nature l'inouï, le pas encore entendu.» Jean-Marie Martin  dit souvent la même chose mais utilise rarement le terme "inouï". Le mot qui chez lui serait une sorte d'équivalent c'est le mot "insu". Cf. Commentaires multiples sur l'insu : Dieu comme insu ; l'insu de nous-mêmes, de Judas, du texte... et Jésus dans tout ça.

 

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