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La christité
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  • Ce blog contient les conférences et sessions animées par Jean-Marie Martin. Prêtre, théologien et philosophe, il connaît en profondeur les œuvres de saint Jean, de saint Paul et des gnostiques chrétiens du IIe siècle qu’il a passé sa vie à méditer.
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28 janvier 2016

Comment entendre le mot "commandement" dans le NT ? Exemples chez saint Jean

Du fait que le vocabulaire du droit et du devoir est un vocabulaire récusé par le Nouveau Testament comme disant notre rapport constitutif à Dieu,il faut revoir le sens des mots désignant des "commandements". Ce message est la reprise d'un ancien message paru en juillet 2015 : le 1° du I a été modifié et le 3° du I a été ajouté.

À part ce qui est dit à propos du Décalogue au I 1), figurent ici des extraits de ce qu'a dit Jean-Marie Martin dans diverses sessions à propos des commandements. Il s'agit surtout du mot entolê que J-M M  préfère traduire par "disposition". C'est surtout aux I - 3 et  II - 7) b) que le choix du mot "disposition" est commenté.

PLAN

I – Repères de base.
   1) Le Décalogue : Dix commandements ? (d'après des auteurs autres que J-M Martin).
   2) Pourquoi entolê ne signifie pas "commandement" dans le Nouveau Testament ?
   3) Pourquoi traduire entolê par disposition ?
   4) Le cœur de l'Évangile
II – Quelques exemples chez saint Jean
   1) La parole de Jésus : parole d'ami et non de maître qui commande
   2) Parole donnante et non parole de commandement.
   3) À propos d'un "commandement" nouveau et ancien (1 Jn 2, 7-8)
   4) S'agit-il de mettre en pratique les commandements en Jn 14, 15 ?
   5) L'unique commandement qui n'est plus un commandement.
   6) Faut-il à tout prix aimer et pardonner ?
   7) La disposition (entolê) propre du Christ (Jn 10, 17-18)

 Pour lire, télécharger, imprimer, c'est ici en fichier pdf :

 

 

 

Comment entendre le mot "commandement" dans le NT ?

Exemples chez saint Jean

 

I – Repères de base

 

1) Le Décalogue : Dix commandements ? (d'après des auteurs autres que J-M Martin).

●  Passer de "commandement" à "parole".

Moïse recevant les tables de la Loi, ChagallLe Décalogue se trouve  dans une double tradition en Exode 20, 2-17 et Deutéronome 5, 6-21. Il a longtemps été appelé les “les Dix commandements”, mais aujourd’hui il est de plus en plus désigné de manière plus littérale par “les Dix paroles”.

L'expression qui les désigne est ‘assereṯ ha-diberoṯ [עֲשֶׂרֶת הַדִּבְּרוֹת], le mot hadiberot se rattachant à la racine dâbar [דָּבָר] qui, comme substantif, signifie parole et aussi événement. Le terme qu'on trouve en Ex 34, 28 et Dt 4, 13 pour les désigner est ‘assereṯ had-deḇarim  [הַדְּבָרִֽים עֲשֶׂ֖רֶת] qui signifie littéralement "les dix paroles". Dans la Septante cette expression a été traduite en grec ancien par les mots déka logoï, d'où vient le mot français Décalogue.

●  Passer de la parole impérative à la parole donnante.

Ne plus parler de "dix commandements" mais de "dix paroles" relève donc d’un ajustement de traduction, mais cela relève aussi d’une ré-interprétation des "paroles" elles-mêmes : souvent on les entend comme des impératifs, ce qu'ils ne sont pas.

« On les entend comme des impératifs mais ils sont toujours donnés au futur même dans les exceptions apparentes. Ce qu’on croit être une exception c’est aussi un futur… Je prends un exemple : « lo tirtsa’h (tu ne tueras pas) » (Ex 20, 13). Il n’y a pas al tirstsa’h (ne tues pas). Cela veut dire, lorsque la Torah s’adresse à la collectivité : si tu es Israël, Je te promets : voici ce que sera ton profil d’identité : « Tu ne tueras pas !» C’est une promesse. Voilà ce que tu seras, ce n’est pas un commandement d’être, c’est une promesse sur l’être. » (Manitou, extrait de Les verbes en hébreu et le problème de la traduction , la première partie 2) b). Et en fait le verbe n'est pas au futur mais à l'inaccompli hébreu, c'est donc quelque chose qui peut être déjà commencé mais qui n'est pas complètement accompli.

Et d'ailleurs, comme dit Jean-Marie Martin :

« Il faut se méfier des déterminations que les grammairiens donnent. Par exemple tout ce qu'ils appellent impératif n'est pas nécessairement impératif et impérieux. Impératif peut être tout à fait invocatif suivant la tonalité. Simplement les grammairiens l'ont appelé impératif. Il ne faut pas être dupe des langages qui se spécialisent, d'ailleurs légitimement. »

 

2) Entolê signifie-t-il "commandement" dans le Nouveau Testament ?

Il est clair que, chez Jean, entolê ne se laisse pas traduire par précepte, mandement ou mandat pas plus que par commandement[1]. Le mot "disposition" traduit littéralement entolê. Nous sommes conduits à cela du fait que le vocabulaire du droit et du devoir est un vocabulaire récusé par le Nouveau Testament comme disant notre rapport constitutif à Dieu. Parfois il est vrai que le mot entolê, quand il est dans la bouche des Judéens qui s'opposent à Jésus, peut être traduit par précepte car c'est ainsi qu'ils l'entendent. (J-M. Martin, Versailles février 1998).

 

3) Pourquoi traduire entolê par "disposition" ? (J-M Martin, Paris  juin 1999)

► J'ai du mal à entendre le mot "commandement", en particulier dans « Je vous donne un commandement nouveau : aimez-vous les uns les autres » (Jn 13, 34).

J-M M : Le problème c'est le mot "commandement" qui est pris pour traduire le mot entolê, car commandement est pris dans un contexte qui implique une sorte de chantage implicite : voici la loi, il y a la transgression possible, et à la transgression répond le châtiment.

Chez saint Jean le mot entolê a clairement un autre sens. Par exemple dans sa première lettre il dit : « Je vous écris un commandement nouveau qui est vrai, en lui et en vous, à savoir que la ténèbre est en train de passer et que la lumière véritable déjà luit. » (1 Jn 2, 8). Ici il ne s'agit pas d'un commandement mais d'une annonce.

Quand Jean utilise le mot entolê on n'est donc pas dans le cadre de la signification de la loi, soit la loi prise dans le complexe soupçonnable que je viens de dire, soit même "la loi sauvée" c'est-à-dire entendue de façon positive structurante et nécessaire dans le champ de la psychologie etc., Ce n'est pas de cela qu'il est question.

Ultimement l'entolê johannique est une parole qui fait ce qu'elle dit. Ce n'est pas une parole qui dit « tu dois », c'est une parole qui donne de faire, non seulement de pouvoir faire mais de faire. Je pense que le mot disposition est un bon mot pour traduire entolê.

    Comment entendre l'annonce que constitue l'entolê ?

Ce qui est intéressant c'est que chez saint Jean les deux mots disposition (entolê) et annonce (angélia) peuvent se prendre l'un pour l'autre.

Par exemple nous avons vu qu'en 1 Jn 2, 8 c'est le mot entolê qui est employé alors qu'il désigne une annonce, or en 1 Jn 3, 11 c'est l'inverse : « Car c'est ceci l'annonce que nous avons entendue dès l'arkhê, que nous nous aimions les uns les autres. ». Et cela se retrouve à d'autres endroits de la première lettre. Nous avons donc une sorte d'inversion de vocabulaire entre entolê et angelia (annonce qui est un avènement annoncé ou bien l'annonce de l'avènement).

 Cela indique que cette annonce qu'est l'entolê est simultanément ouverture d'un espace de vie et de voie de vie (espace et voie) c'est-à-dire de possibilité de se mouvoir librement, et des indications de chemin.

Le mot "disposition" est un mot qui traduirait mieux des mots de Paul, mais ces mots de Paul correspondent bien au mot entolê tel qu'utilisé par Jean.

Disons provisoirement quelque chose comme disposition mais "disposition énoncée", une disposition qui est dans l'ouverture d'un chemin.

.

4) Le cœur de l'Évangile.[2]

Le cœur de l'Évangile c'est de révéler le don, pas le droit : « Si tu savais le don » (Jn 4). Et saint Jean oppose constamment le don à la violence, à la prise de force, mais aussi au droit.

L'ultime ne réside pas dans le droit. C'est pourquoi l'Évangile n'a pas de législation. L'Évangile est même anti-nomique c'est-à-dire contre le principe même de la loi : l'essentiel n'est pas dans le "tu dois" mais dans l'acte de donner que je puisse faire et que je fasse effectivement. C'est la notion même de grâce, donation gratuite.

► Mais pourtant il y a beaucoup de droit dans l'Église !

J-M M : Le problème c'est que l'Évangile est toujours au risque de la culture à laquelle il s'adresse. Et en un certain sens l'Évangile s'est trop adapté contrairement à ce qu'on dit.

On peut se poser la question de savoir pourquoi une doctrine, qui est fondamentalement contre le principe du droit, s'est constitué un droit. Le droit qu'utilise l'Église, qu'on appelle droit canonique, n'est pas sacré, il n'est pas l'égal de l'Écriture sacrée, pas plus qu'un dogme n'est sacré. Il est l'attestation non-sacrée de quelque chose de sacré, c'est-à-dire qu'il ne révèle pas, qu'il ne dévoile pas, il ne fait qu'arbitrer entre des intelligences de ce qui est révélé.

Le Christ lui-même a institué un service de vigilance qu'il a confié à Pierre, le service de veiller sur le troupeau. Et c'est Pierre et ses successeurs qui ont choisi la forme du droit romain parce que c'était la seule qui était là. Il y a là un choix qui est révisable. L'Église pourrait choisir de ne pas s'exprimer dans le langage du droit, en principe, ce serait un travail énorme avec des risques énormes, mais ça se pourrait.

 

II – Quelques exemples chez Jean

 

1) La parole de Jésus : parole d'ami et non de maître qui commande.[3]

Lève-toi et marcheDans le chapitre 15 de saint Jean l'ami est mis en opposition à serviteur : « Je ne vous appelle plus serviteurs mais amis ». La raison en est simple : c'est que le maître ne montre pas au serviteur ce qu'il fait, ni le sens de ce qu'il dit, mais à ses amis il le montre.

En effet, la parole christique en tant qu'adressée à l'ami n'est plus une parole de commandement mais une parole de monstration. On commande à un serviteur, on montre à l'ami dans une parole qui dit ce qui est à faire et qui donne à faire en donnant de faire. Ce n'est pas la même chose.

La parole de Jésus “donne”, c'est un trait tout à fait essentiel chez Paul et chez Jean.

Question de tonalité.

D'autre part il faut prendre en compte la qualité de la parole et pas seulement ce qu'elle dit ; mais en réalité nous n'avons pas l'oreille pour le ton, pour la tonalité. Est-ce une parole de commandement ? Mais tout saint Paul est pour dire que la parole essentielle, la parole fondatrice, n'est pas une parole de loi, n'est pas une parole de commandement. C'est la chose la plus nouvelle, la plus précieuse, celle qui est aussi la plus oubliée. C'est donc la parole destinée à l'ami. Or ce qui est dit de l'ami est dit de tout disciple, c'est-à-dire de tout croyant authentique.

 

2) Parole donnante et non parole de commandement.[4]

« Si quelqu'un désire venir derrière moi, qu'il se renie lui-même et qu'il porte sa croix et qu'il me suive(akolouthein, littéralement marcher avec) » (Lc 9, 23 ; Mt 16, 24 ; Mc 8, 34).

Que veut dire « porter sa croix » ? Ce n'est pas chercher des croix, ce n'est pas souhaiter des croix, car nous sommes en croix nativement plus ou moins : nous sommes dans la servitude, nous sommes gisants, nous ne sommes pas porteurs.

Il y a une phrase de Bernadette là-dessus que je vais citer de mémoire. On lui demandait : « Sœur, est-ce que vous lisez quelquefois votre saint patron saint Bernard ? » « Oh oui, je le lis quelquefois, mais je ne l'imite guère car lui cherche la souffrance et moi je la fuis. » C'est merveilleux, c'est sain en même temps, et il y a même une pointe d'ironie j'imagine.

Il ne s'agit pas de chercher des croix, elles sont là, soyez tranquilles. Ce à quoi la Parole m'invite, c'est de ne pas les subir passivement mais de les assumer.

C'est pourquoi en Jn 5, 6 lors de la guérison du paralysé, Jésus lui demande : « Veux-tu être guéri ? » parce que c'est aussi une facilité de se laisser aller à souffrir ; c'est à la limite, mais vous savez, la psyché humaine est complexe.

Donc c'est une invitation, mais le mot n'est pas suffisant. La parole du Christ n'est pas une parole d'invitation, c'est une parole qui donne ce qu'elle dit.C'est pourquoi, lorsqu'il dit au paralysé : « Lève-toi, marche » ce n'est pas un commandement, ce n'est pas un ordre, c'est une parole donnante, c'est une parole qui fait qu'il se lève et qu'il porte son antique passivité et qu'il marche librement. C'est une parole qui donne ce qu'elle dit – quand elle le donne, à l'heure où elle le donne.

Entendre la parole, ce n'est pas être documenté sur la marche. Entendre la parole, c'est se mettre debout. La parole du Christ est une parole donnante, elle est effectivement donnante pour la totalité de l'humanité. Elle est effectivement donnante c'est-à-dire que mon écoute de l'Écriture est authentique à l'heure où cette écoute met en œuvre mon être profond, où cette écoute me change.

 

3) À propos d'un "commandement" nouveau et ancien (1 Jn 2, 7-8).[5]

J'ouvre la première lettre de Jean au chapitre 2, par deux versets étonnants.

Voici d'abord une traduction de la TOB :

« 7Mes bien-aimés, ce n’est pas un commandement nouveau que je vous écris, mais un commandement ancien, que vous avez depuis le commencement ; ce commandement ancien, c’est la parole que vous avez entendue. 8Néanmoins, c’est un commandement nouveau que je vous écris – cela est vrai en lui et en vous – puisque les ténèbres passent et que déjà luit la lumière véritable. »

Voici la traduction de J-M Martin :

« 7Bien-aimés, je ne vous écris pas une disposition nouvelle, mais c'est une disposition ancienne que vous avez dès l’arkhê. Cette disposition ancienne est la parole que vous avez entendue. 8En retour (palin), je vous écris une disposition nouvelle qui est vraie, en lui et en vous, à savoir que la ténèbre est en train de passer et que la lumière véritable déjà luit. »

Ces deux versets sont plein d'embûches, plein de difficultés, même pour la traduction.

Je me permets ici de traduire entolê par "disposition" bien que son sens soit couramment celui de "précepte" ou de "commandement", c'est ce que vous trouvez en général dans les traductions. Seulement après la lecture de Paul, nous savons désormais que la parole de Dieu n'est pas d'abord une parole de précepte ou une parole de loi. Là aussi ce mot entolê (qui est sans doute la traduction du terme hébreu mitsva qui désigne effectivement le commandement), doit se traduire désormais autrement parce que l'Évangile n'est pas constitué par une législation. Toute l'œuvre de Paul va à montrer qu'on n'est pas ajusté (ou justifié) par la pratique des œuvres de la loi, mais gratuitement par une parole donnante, par une parole gratuite. Donc ceci c'était à propos de la traduction du mot entolê.

Nous percevons bien ici qu'il y a un rapport entre l'ancien et le nouveau, et nous entendons aussi à première écoute que ce qui est enseigné par Jean c'est la disposition ancienne. Ceci nous obligera à penser quelle est chez lui la nature du rapport entre l'ancien et le nouveau.

a) Verset 7. La disposition ancienne.

Normalement l'ancien est supplanté par le nouveau, le nouveau remplace l'ancien, se substitue à l'ancien. Or ce n'est pas ce que dit le texte de Jean.

« Bien-aimés, je ne vous écris pas une disposition nouvelle mais c'est une disposition ancienne que vous avez [reçue] dès l'arkhê (ap'arkhês) – cela pourrait s'entendre à première lecture comme une parole qui a été parmi les premières qui vous ont été annoncées lorsque vous avez commencé à entendre la parole christique. Seulement nous sommes dans un contexte où l'expression ap'arkhês prend une tout autre dimension, étant entendu entre autres que le tout premier mot de l'évangile est « Dans l'arkhê… »[6], et nous savons en plus qu'Arkhê est un des noms du Christ puisque saint Paul dit : « il est arkhê » (Col 1, 18). C'est donc la parole que vous avez entendue comme parole principielle du Christos.

Cette disposition ancienne est la parole (logos) que vous avez entendue. » Ici tous les mots ont un poids qui n'est pas le poids usuel qu'ils ont dans l'usage courant. Le mot Logos est aussi un nom de l'Arkhê, de même que le mot de Vie (Zoê) est une désignation de l'Arkhê. Tous ces termes sont des dénominations du Christos. Et de même que le Christ dit de lui-même « Je suis la vie », il dit aussi « Je suis la lumière » : la Lumière est une désignation du Christ, et elle s'oppose à la ténèbre – j'anticipe un peu pour préparer à la lecture du texte qui suit.

b) Verset 8. La disposition nouvelle.

 « Palin (en retour) je vous écris une disposition nouvelle » Jean dit qu'il s'agit maintenant d'une disposition nouvelle. Et le rapport entre les deux, l'ancien et le nouveau, est le petit mot palin, un mot dont l'usage qu'en fait Jean lui est propre. Ce petit mot signifie que c'est la même chose qui est ancienne et qui est nouvelle. Palin veut dire "en retour", "sous un autre aspect". Ce petit mot nous l'avons rencontré en Jn 16, 16. Il est très important bien que souvent inaperçu. Il identifie des choses qui sont apparemment contraires comme l'ancien et le nouveau.

   ●  L'ancien et le nouveau chez Jean. Sentence d'Héraclite.

Nous verrons que chez saint Jean c'est le plus ancien qui est le plus nouveau. C'est donc un tout autre usage que celui que nous avons vu chez saint Paul. C'est un usage qui n'est pas très conforme à nos capacités actuelles de pensée, et cependant qui est attesté même dans l'origine de notre propre culture, mais oublié, dépassé. C'est Héraclite, donc un présocratique, dont nous n'avons qu'un peu plus de 130 petites phrases très courtes, des sentences qui sont des citations faites par différents auteurs de l'Antiquité, et qui ont été rassemblées pour faire un recueil, Héraclite le ténébreux parce que justement il est le plus lumineux. Héraclite dit : « C'est la même route qui monte et qui descend » (fragment 60)[7]. Voilà une sentence d'Héraclite. Et effectivement c'est la même route qui monte et qui descend, ça dépend de quel côté on la regarde ou de quel côté on la parcourt.

Nous sommes invités à penser les choses autrement que par nos oppositions simples.

   ●  La nouveauté de la disposition.

« Palin, donc, à rebours, en sens inverse, je vous écris une disposition nouvelle". En quoi est-elle nouvelle ? Probablement en ce que : "cela est vrai en lui et en vous". Elle est de toujours ancienne parce qu'elle est de toujours vraie en lui ; mais elle est nouvelle et renouvelante de ce que nous sommes, pour autant que nous l'entendons.

Le texte poursuit « à savoir que (oti) –– et on s'attend à ce qu'on nous dise en quoi consiste la disposition nouvelle et ancienne ; mais ce qui est énoncé paraît étrange – la ténèbre est en train de passer et la lumière véritable déjà luit ». Voilà l'entolê (la disposition) ! Ce n'est pas ce qu'on attendait. Heureusement que nous n'avons pas traduit le mot entolê par "commandement". En effet, que la ténèbre soit en train de passer et que la lumière luise déjà, ce n'est pas un commandement, c'est plutôt une annonce.

   ●  Disposition (entolê) ou annonce (angélia) ?

Cependant chez Jean disposition (entolê) et annonce peuvent se prendre l'une pour l'autre. En effet au chapitre 3, nous avons : « Car c'est ceci la nouvelle (angélia) que nous avons entendue dès l'arkhê – même structure de phrase que dans notre verset, et ici nous avons non pas entolê mais angélia (annonce nouvelle) – que nous nous aimions les uns les autres. » (v. 11). Voilà qui est étrange car on attendrait le terme de entolê (commandement) plutôt que le terme de angélia (nouvelle). Nous avons donc une sorte d'inversion de vocabulaire.

   ●  En quoi la disposition-annonce est-elle ancienne et nouvelle ?

J'ai traduit oti par "à savoir que", cependant il y a une incertitude parce que le style de Jean est sommaire, et qu'il dit les choses les plus hautes dans le style le plus humble, le plus banal qui soit.  En effet le oti peut signifier "à savoir que", dans ce cas Jean nous dit quelle est la chose la plus ancienne et la plus nouvelle qui est annoncée ; mais le oti peut aussi signifier "parce que", c'est d'ailleurs le sens qu'il a généralement en grec, et dans ce cas Jean nous dit à quel titre la disposition est ancienne et à quel titre elle est nouvelle : elle est ancienne mais sur mode caché en lui, et elle est nouvelle pour nous à la mesure où progressivement nous l'entendons[8].

 Autrement dit cette disposition (qui est une nouvelle) :

  • « est vraie, en lui »: elle est, en soi, la plus archaïque puisqu'il s'agit du plus ancien de la Genèse qui est « Lumière luise »,
  • et elle est vraie« en vous. » : elle est en train de devenir nouvelle, c'est-à-dire de s'accomplir en nous.

 

4) S'agit-il de mettre en pratique les commandements en Jn 14, 15 ?[9]

  • « Si vous m'aimez, vous vous appliquerez à observer mes commandements » (TOB)
  • « Si vous m’aimez, gardez mes ordres » (Chouraqui)

J-M M : Je traduis sans souci d'interpréter : « Si vous m'aimez, vous garderez mes préceptes »

Vous m'avez posé la question : même si le mot entolê que j'ai traduit par précepte (mais qu'on traduit habituellement par commandement) est prononcé, dois-je l'entendre au sens que le mot de précepte a dans notre usage ? En effet dans notre usage il entre dans un ensemble où il y a du précepte, de la transgression et de la sanction. Or la parole évangélique est essentiellement une parole qui ne juge pas, et cela dit quelque chose sur la qualité de l'espace de présence qui est en question dans les quatre dénominations que nous avons mis en évidence[10].

Alors pourquoi cet emploi du mot de précepte ? Ici il faudrait ouvrir une étude un peu rigoureuse sur l'emploi du mot chez Jean. En effet dans le chapitre 3 de sa première lettre, là où on attendrait le mot "annonce", c'est le mot "précepte" qui vient, et lorsqu'on attendrait le mot "précepte", c'est le mot "annonce" qui vient. Voilà un indice de ce que ces deux mots-là, qui sont interchangeables, ne se répartissent pas quant à leur sens à la façon dont ils se répartissent chez nous. On peut parier qu'il faudrait chercher précisément du côté d'une parole qui appelle, mais pas dans la tonalité du précepte. Cela, c'est la grande question de Paul : la parole de Dieu n'est pas une parole de loi ou de précepte, en son essence, elle est autre chose que cela.

  ●  L'agapê (l'amour) est-ce un précepte ?

Il y aurait déjà une façon très simple de traduire le mot "précepte" dans la phrase : « Si vous m'aimez, vous garderez mes préceptes ». Ce serait de dire : le précepte essentiel de Dieu c'est : « Aimez-vous les uns les autres », donc « si vous m'aimez, vous gardez ce précepte en vous aimant ». Seulement, c'est une solution beaucoup trop simple. En fait il y a une identité très grande entre entendre et garder : il y a un entendre qui est un garder et donc qui est, sous ce rapport-là, un laisser revenir, un laisser retentir.

Par ailleurs la parole ne dit pas en premier : « Aimez-vous les uns les autres »mais la parole dit d'abord à l'humanité :« Tu es mon Fils, je t'aime » (lors du Baptême de Jésus[11]), c'est-à-dire que l'agapê, ne consiste pas en ce que nous aimerions Dieu, mais en ce que Dieu, le premier, nous a aimés («  Nous aimons de ce que lui le premier nous a aimés. » 1 Jn 4, 19), et c'est d'être aimé qui s'accomplit en aimer : que nous aimions n'est que l'accomplissement de être aimé par Dieu, c'est ce que dit Jean dans sa première lettre.

Il y a donc ici une répartition que nous sommes tentés d'introduire, comme si l'amour des hommes relevait d'une espèce de bon sentiment et ça serait donc du côté du volitif, alors que l'écoute de la parole serait du côté de l'intellectif. Or cette répartition n'existe pas dans le Nouveau Testament. Entendre ou connaître (au sens fort de Jean) et aimer, c'est la même chose.

  ●   "Garder" ou "mettre en pratique" ?

« Vous garderez mes préceptes. » Nous sommes tentés de dissocier en mettant en premier une écoute qui serait d'ordre intellectif, et en mettant la garde du côté de la pratique. En effet la traduction habituelle du mot que j'ai traduit par garder c'est "mettre en pratique". Ceci fait intervenir une autre répartition, proprement occidentale, entre le spéculatif et le pratique, distinction totalement étrangère au Nouveau Testament.

Pour aborder une phrase apparemment aussi simple, il faut donc d'infinies précautions pour l'entendre dans sa tonalité.

 

5) L'unique commandement qui n'est plus un commandement.[12]

a) Un unique commandement qui est double.

Il n'y a qu'un seul commandement et il est double comme toujours, puisque que pour être parfaitement un, il faut être deux. Il y a un seul commandement et, dit Jésus, le second lui est égal : « aimer les frères »[13], donc c'est la même chose en deux formulations différentes. (…)

La Parole elle-même dit « Ayez agapê ». Et la Parole tout entière est suspendue à cela. La Parole sacrée c'est l'ensemble des livres écrits qui sont retenus comme tels, mais précisément quand on les lit comme il faut les lire, c'est-à-dire dans leur visée ultime qui est révélée dans la première lettre de Jean qui donne une place éminente à l'agapê et une place égale au verbe connaître (pas au verbe savoir, mais au verbe connaître)[14]. (…)

J'ai dit qu'il n'y a qu'un commandement et qu'il est double (que justement il est un parce qu'il est double). C'est parce qu'il n'est pas un commandement parmi d'autres, mais qu'il est "le" commandement, c'est-à-dire qu'il récapitule tous les autres, qu'il a tous les autres en lui. La liste des préceptes est périmée finalement comme insuffisante pour le salut : on n'est pas sauvé parce qu'on observe les préceptes. C'est le grand thème de Paul.   (…)

Si Jésus dit qu'il n'y a qu'un seul commandement, c'est que ce n'est pas un commandement sur le mode des commandements. Si Jésus dit : « Je suis le pain », c'est que justement il n'est pas du pain, il n'est pas un pain en plus des autres pains : il est « le pain vrai » : c'est cela qui est le vrai, alors que nous, nous dirions justement le contraire, à savoir que c'est un pain métaphorique.

C'est une structure importante à méditer, parce qu'il n'y a pas dans le monde sémitique de distinction entre une chose et l'essence d'une chose. C'est le langage propre de la philosophie occidentale qui fait la distinction. Mais il y a quelque chose d'équivalent dans des formules du type : Le Cantique des cantiques (Shir Hashirim). C'est une structure sémitique

 

6) Faut-il à tout prix aimer et pardonner ?

amour des ennemis, Kieffer► Saint Jean dit : « Si quelqu'un dit qu'il aime Dieu et qu'il n'aime pas son frère, il est un menteur…» J'ai de l'exaspération contre quelqu'un. Comment concilier cette attitude avec l'amour accompli ? Pour avoir vécu dans un milieu cloîtré pendant quelques années, c'est quelque chose que j'ai vécu, on n'a pas des affinités avec tout le monde.

J-M M : La question est : comment faire le passage entre ce que le texte dit, car il ne parle pas du tout de ça, et notre expérience psychologique ? Il ne s'agit pas d'essayer de se contraindre à ne pas sentir ce qu'on sent : ce serait faire semblant et c'est tout. C'est pour cela que l'agapê n'est pas un commandement.

Si « Aimez-vous les uns les autres » est un commandement et que je ne peux pas aimer ma voisine, que faire ? Il faut prendre conscience de la distance qui existe entre mon attitude et ce vers quoi je suis conduit par l'agapê, la reconnaître et savoir que la direction qui m'est indiquée est d'aller vers le pardon, mais quand le pardon sera possible psychologiquement. Il ne s'agit pas de faire semblant qu'il est possible là, qu'on doit pardonner. Non ! S'orienter vers le pardon, en sachant par ailleurs que nous ne pouvons pas pardonner, d'où il faut demander de pouvoir un jour pardonner. Et si je ne peux pas, parce qu'il est possible que même ça je ne le puisse pas, alors demander de pouvoir un jour authentiquement demander de pouvoir pardonner.

Les paroles de l'Évangile ne doivent pas être prises pour des injonctions sur le modèle de la loi, ce sont des orientations qui sont là pour mettre en route quelque chose et le temps psychologique demande à être respecté. Autrement, c'est de la singerie.

 

7) La disposition (entolê) propre du Christ (Jn 10, 17-18).

a) Lecture glosée du texte.[15]

« 17Le Père m'aime parce que je me dessaisis de ma vie pour la reprendre ensuite. 18Personne ne me l'enlève mais je m'en dessaisis de moi-même; j'ai le pouvoir de m'en dessaisir et j'ai le pouvoir de la reprendre: tel est le commandement (entolê) que j'ai reçu de mon Père. » (TOB)

Jésus n'est pas asservi à mourir : « Entrant librement dans sa passion » comme dit le texte de la liturgie. Il fait de la mort quelque chose qui n'est plus un asservissement mais un geste libre. Sa mort n'est plus une mort dans le meurtre ou pour la mort, sa mort est une mort pour la vie. Cela change le sens de la mort. C'est cet acquiescement profond à la mort qui permet la réception profonde de la vie dans un sens qui n'est pas entaché par cette notion de mort. C'est ce qui est dit dans deux versets de Jn 10 (mais tout n'est pas dit dans ces deux versets).

« 17Pour cela le Père m'aime de ce que je pose ma psukhê (psychê) en sorte que je la reçoive à nouveau– la crispation sur soi-même (sur sa psychê) empêche d'être ouvert pour la recevoir. C'est un thème qui est fréquent dans l'évangile de Jean à savoir que la satiété ou le déni de culpabilité ne laissent pas ouvert l'espace pour recevoir. Se donner est la seule chose qui permet de se recevoir. Si quelqu'un a pour essence d'être de l'ordre du don, plus il se donne et plus il se reçoit, puisqu'il accomplit son avoir-à-être qui est le don – 18Personne ne me la prend on la lui prend de force pourtant ? Non elle n'est pas prenable parce qu'elle est donnée d'avance, et que si quelque chose se donne, ça ne veut pas être pris par violence. Il y a tout une dialectique (un rapport) du don et de la prise, de la servitude et de la liberté, qui fait que la mort du Christ n'est pas le simple égal de notre mort – mais je la pose de moi-même – c'est comme une respiration : on ne peut inspirer qu'à la mesure où on a expiré. Si on est empli d'air on ne peut plus recevoir l'air. Le pneuma est un souffle de cet ordre-là parce qu'il est essentiellement donation, il est essentiellement respiration – J'ai l'exousia (l'accomplissement) de la poser de moi-même, et j'ai l'exousia de la recevoir de nouveau ; j'ai reçu cette disposition (entolê) d'auprès de mon Père ». C'est-à-dire que cette disposition me constitue (ici j'ai traduit entolê pas disposition et non pas par commandement). Je l'ai reçue en propre.

Ceci me rappelle une rencontre avec des américaines, un peu l'équivalent de l'Alliance Française à la Catho, et c'était l'époque où Jan Palach s'était immolé par le feu. On parlait de la mort du Christ qui s'est sacrifié pour les hommes. Elles mettaient les deux en rapport : ils s'immolent tous les deux pour les autres. Pourquoi est-ce que ce n'est pas comparable ? Ceci n'enlève rien la signification d'une immolation par le feu de quelqu'un, seulement celui-là n'a pas la disposition ontologique de le faire de telle sorte que cela rejaillisse sur la totalité de l'humanité. Quelqu'un qui s'interpose sous la fusillade pour éviter la mort de quelqu'un d'autre sauve une personne, ne sauve pas l'humanité.

Ce qui est à comprendre dans l'histoire du Christ, c'est cela : d'une part sa mort change de sens en ce qu'elle est librement donnée, ce qui ouvre pour lui la capacité de la recevoir ; et d'autre part il peut exercer cette faculté non pas simplement pour lui-même ou pour quelques-uns mais pour la totalité de ceux que le Père lui a remis entre les mains, la totalité de l'humanité. Voilà la disposition propre du Christ.

 

b) Première précision : le choix de traduire entolê par "disposition".[17]

 Quand Jésus dit « J’ai reçu cet entolê d’auprès du Père », est-ce un commandement au sens de législation avec sanction etc. ? Question idiote : le Christ aurait-il pu désobéir à ce commandement ? Mais non, il est bien trop libre pour désobéir. On croit que la liberté c’est la capacité de désobéir. Pas du tout ! La capacité de désobéir est un manque de liberté. Le Christ ne reçoit pas un ordre comminatoire qui comporte une éventuelle sanction de la part du Père ! Comment cela pourrait-il se passer à l’intérieur de la Trinité ?

 Il faut donc trouver ici un mot autre que le mot de « commandement » ou de « précepte » parce que l’essence de la Parole de Dieu n’est pas de cet ordre-là. Et c’est un trait constant, très, très important dans la méditation du Nouveau Testament dans son ensemble. Ceci est surtout manifesté à partir de Paul, mais on en trouve des traces dans les paroles du Christ même chez les synoptiques. Ce point décisif nous invite à trouver un autre mot.

 En général je traduis par "disposition" mais n’est peut-être pas le meilleur, d’autant plus que d’autres mots pourraient se traduire aussi par « disposition », à savoir tous les mots en « pré » (ou pro- en grec) :« pré-déterminé », « pré-destiné » … Seulement la prédestination nous frustre car nous pensons que tout est fait d’avance et que nous n’avons rien à faire.

 Mais qu’est-ce que ça veut dire que le Christ est « prédestiné » ? Ça veut dire qu’il est la fructification d’une semence.

 Semence-fruit, c’est la structure de base. Or, une semence de pommier ne donne pas des oranges et puis un bon arbre ne donne pas de mauvais fruits.

 Donc cela nous le « recevons », et ça nous heurte car nous avons l’impression que c'est au détriment de notre liberté, que tout est écrit d’avance mais que ce n’est pas cela le sens de l’Évangile, et on a raison de s’insurger contre cette idée. Mais ce n’est pas ça qui est en cause !

 Ce qui est en cause c’est la qualité de l’altérité qui existe entre Dieu et l’homme. Sous prétexte que Dieu est une personne (et même 3), nous pensons notre rapport à Dieu sur le mode sur lequel nous pensons nos rapports mutuels. Certes, ceux que je rencontre sont autres, certes Dieu est autre que moi, mais nous n’avons de l’altérité que l’expérience d’une altérité meurtrière. Nous sommes descendants de Caïn. Notre altérité c’est toujours « Ou toi ou moi », ou alors  « D’autant plus toi que c’est moins moi ». On essaye toujours de répartir la part qui revient à Dieu et celle qui revient à l’homme.

 C’est le grand débat de Saint Augustin : « Est-ce que, au moins, l’initiative première de la foi ou, au moins, la persévérance finale, ça nous revient ? » Justement pas ! Si j’ai la foi, c’est l’initiative de Dieu, si je persévère jusqu’à la fin, c’est l’initiative de Dieu et ça ne dépend pas de moi. Est-ce que ma liberté en est affectée ? Si je continue à penser ma liberté comme la capacité de manquer, oui ! Mais ce n’est pas cela la définition de la liberté. Et si mon rapport à Dieu n’était pas pensé sur le mode du rapport à une autre personne ? Ce mot de personne est d’une nocivité terrible. Nous n’avons d’expérience de relation de personne à personne que dans une relation compétitive. La jalousie, même chez Platon, est meurtrière. La jalousie, la rivalité, la compétition, dans le mauvais sens du terme…

 Ce qui serait à penser, c’est une altérité telle que « ce serait d’autant plus toi que c’est plus moi » au lieu d’être une altérité meurtrière. L’altérité est réelle : nous ne sommes pas Dieu. Surtout le singulier des humains fragmentés et déchirés les uns des autres, ce n’est pas Dieu. Mais il faudrait ne pas penser l’altérité sur le mode de notre déchirure native car il appartient à notre déchirure native d’être meurtriers et jaloux et rivaux.

 Le chemin ouvert est de penser la belle altérité qui serait que « ce serait d’autant plus toi que c’est plus moi ». Cela éviterait de penser Dieu comme un rival meurtrier, ce que l’Occident n’a pas cessé de faire.

 

c) Deuxième précision : l'entolê du Christ.[18]

 Le mot entolê que je traduis par disposition est traduit d'habitude par commandement, mais ce terme n'est pas pertinent ici. La disposition est ce qui est donné de faire alors que le commandement est ce qui est donné à faire.

 « J'ai reçu cette disposition d'auprès de mon Père» : « c'est le Père qui me donne comme vocation et fonction insigne de poser et déposer ma psychê pour autrui. » En cela le Christ n'est pas imitable au sens plein du terme, et ceci ne doit pas s'entendre psychologiquement.

 Nous avons la structure de base ici : le fait que la résurrection n'est pas quelque chose qui arrive à Jésus après coup : « Il a été bien docile, il a accepté la mort, alors en récompense, je vais le ressusciter ». Pas du tout, la résurrection est contenue dans son mode de mourir.

 L'acquiescement à la mort est déjà la liberté de la résurrection. Sa mort est donc une mort pour la vie et non pas une mort de servitude. Son mode de mourir n'est pas notre mode usuel de mourir. Nous pouvons tenter d'acquiescer, pour autant que cela nous est possible, à la mort ; c'est une chose très difficile, toujours un peu incertaine. La possibilité d'acquiescer à notre propre mort n'est pas entièrement dans notre main. Cependant on peut aller vers cela. Mais premièrement, sans doute, nous n'y parviendrons jamais et d'autre part, cela ferait de nous un homme éminemment vertueux, pas le sauveur du monde.

 Il est le sauveur du monde parce qu'il lui est donné d'être celui de l'humanité qui peut accomplir cette mort pour la vie. Les individus que nous sommes n'ont pas dans leur individualité la capacité d'accomplir pleinement cette mort pour la vie.

 


[1] Dans les dictionnaires grecs à entolê on trouve « commandement, parole, précepte, ordre, loi, ce qui est prescrit, ordonnances »

[2] Ceci est extrait de la session sur le Sacré qui sera transcrite un jour sur le blog. Déjà on peut lire à propos des dogmes : Du bon usage des dogmes. et aussi : Statut des paroles dans l'Église, légitimité des dogmes, légitimité du Magistère.

[4] Extrait de la retraite qui avait pour thème "Le signe de croix signe de la foi", cf La guérison du paralysé en Jn 5, 1-9. Quel sens donner à l'expression "porter sa croix" ?.

[5] Extrait du cycle sur la Nouveauté christique, début du Chapitre III : La nouveauté christique dans la 1ère lettre de saint Jean. La traduction de la TOB a été ajoutée.

[6] Le "en arkhêi" du début est traduit en général par "au commencement" : « Au commencement était la parole…»

[7] Cité par Hippolyte, Réfutation des toutes les hérésies, IX, 10, 4 : « ὁδὸς ἄνω κάτω μία καὶ ὡυτή (Un même chemin en haut, en bas). » On trouve cela aussi dans un texte de Nag Hammadi, Les Trois Stèles de Seth : « Le chemin pour monter est le chemin pour descendre »

[8] « Chez saint Jean ancien et nouveau ne sont pas des contraires mais des aspects, des traits divers du même. Ce qui s'indique ici, c'est que le chrétien touche l'arkhê, est contigu à l'arkhê (ce qu'on appelle l'origine) : j'ai entendu "dès l'arkhê". Et cette même chose mérite non plus le terme d'ancien mais le nom de nouveau (…). (J-M Martin, cours à l'Institut Catholique de Paris en 1979-80).

[9] Extrait d'une rencontre sur la Prière en saint Jean : début de 16ème rencontre : structure quadriforme de la christité, Je christique, Trinité, être sous le regard ;légèrement modifié pour que ce soit compréhensible.

[11] J-M Martin dit souvent que les premiers chrétiens ont entendu que cette parole des cieux était adressée à toute l'humanité en Jésus.

[12] Le a) est extrait de la session sur "le Sacré", et le b) est extrait de La Prière 4ème rencontre. Jn 14, 1- 14 : Le chemin qui va du trouble à la prière 4).

[13] « Un scribe…  interrogea Jésus : " Quel est le premier de tous les commandements ?" Jésus répondit : "Voici le premier : Écoute, Israël : le Seigneur notre Dieu est Seigneur unique et tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta pensée, et de toute ta force. Voici le second: Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Plus grand que ceux-là il n'y a pas de commandement". Le scribe lui dit : "Bien, Maître, avec vérité tu as dit qu'unique il est et qu'il n’en est pas d’autre que lui". » (Mc 12, 28-32).

[14] « Il faut savoir que agapê ne dit pas une vertu, agapê ne dit pas un sentiment non plus. Mais agapê dit un événement, le venir de Dieu (c'est le même mot) : L'agapê ne consiste pas en ce que nous aimerions Dieu mais en ce que Dieu, le premier, nous a effectivement aimés. Autrement dit, agapan, c'est se savoir aimé – peut-être la chose la plus difficile – et, du même coup, aimer qui nous aime, et du même coup aimer qui est aimé de qui nous aime, c'est-à-dire les frères. C'est ainsi que Jean déploie le mot agapan dans sa première lettre, ce qu'il en est de l'agapê sous ses différents aspects. « (J-M Martin, Session Jn 14-16 Présence et/ou absence).

[15] Extrait de la session Credo et joie, à la fin du Ch. 4. Christologie des titres (Jésus, Christ, Fils unique...) et des gestes (né de la Vierge, a souffert...)  à la fin du commentaire de « ». La précision de la fin a été ajoutée, elle vient d'une autre session.

[16] Extrait de la session à la Tourette 17-18 avril 2010.

[17] Extrait d'une série de rencontre sur le "Je christique".

 

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