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La christité
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  • Ce blog contient les conférences et sessions animées par Jean-Marie Martin. Prêtre, théologien et philosophe, il connaît en profondeur les œuvres de saint Jean, de saint Paul et des gnostiques chrétiens du IIe siècle qu’il a passé sa vie à méditer.
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1 mars 2015

Fait et événement. La fonction du témoignage chez saint Jean

Quand nous lisons la Bible, nous nous demandons souvent si ça s'est passé comme ça : est-ce un fait ? Si ce n'est pas un fait comment qualifier ce qui se passe ? Jean-Marie Martin après avoir étudié attentivement divers événements de la vie sociale (mariages, guerres...) a élaboré une définition de l'événement en la distinguant du fait : l'événement est l'intrication de protagonistes et de témoins. Mais pour bien comprendre cette définition appliquée à l'événement christique, il faut connaître la fonction du témoignage chez saint Jean, c'est pourquoi la deuxième partie est consacrée à cela. J-M Martin utilise souvent cette notion d'événement sans toujours prendre le temps de la présente comme ici. En particulier il donne pour la première fois des précisions sur le rôle des protagonistes dans "l'intrication".

 

Fait et événement

La fonction du témoignage chez saint Jean

 

I – Fait et événement

 

À propos du Prologue de l'évangile de Jean que nous sommes en train de lire[1],, je parle d'événement. En effet le verbe qui domine dans les versets 9-12 c'est « Il est venu ». Or ce venir, d'une part est recueilli (au verset 14 il est dit « nous avons contemplé sa gloire ») et d'autre part fait l'objet d'un témoignage (Jean le Baptiste apparaît aux versets 6-8 et 15 et il est désigné explicitement comme témoin). C'est pourquoi, quand je dis que la venue du Christ est un "événement", je dis tout le contraire de : c'est un fait.

Un événement.

Qu'est-ce qu'un événement ? J'ai une petite définition à mon usage[2], je vous la livre comme elle est : un événement ou un avènement c'est l'intrication de protagonistes et de témoins.

  • protagonistes : ça vient et ça reçoit ;
  • témoins.

et parfois les protagonistes sont ou deviennent témoins.

Cette définition vaut par exemple pour un événement dans le champ familial. Ainsi un mariage est l'intrication de deux protagonistes et de témoins. Il y a aussi des événements au plan historique, par exemple la construction ou la destruction d'une cité, une bataille, et souvent d'ailleurs, dans l'histoire, ces "événements" ont des noms propres.

L'Évangile n'est pas un événement historique mais nous allons essayer de l'entendre en nous servant analogiquement de la définition que j'ai donnée de l'événement. Cela nous poussera à l'entendre comme événement eschatologique, c'est aussi un mot qu'il faudrait préciser.

Baptême, Transfiguration, Résurrection de Lazare, icône de l’école de Constantinople, XIIIe

Intrication ?

J'ai dit intrication, pourquoi ce mot étrange ? On peut le rattacher à thrix, trikhos, le cheveu, et il désigne une espèce d'emmêlement, comme aussi un écheveau de laine qui serait emmêlé. Pourquoi est-ce que je l'emploie ? Je l'emploie pour éviter d'avoir à caractériser de façon positive le rapport des protagonistes et des témoins. Je veux simplement dire que c'est un réseau complexe et assez indécidable de relations entre ces protagonistes et ces témoins. C'est donc simplement pour éviter de démêler que je parle d'emmêlement !

J'ai bien pris soin de montrer que l'événement était quelque chose qui a à voir avec le verbe venir, bien sûr, mais précisément l'événement est plein de trous, je veux dire plein d'altérités. D'abord pour qu'il y ait événement il faut bien sûr deux protagonistes, mais les témoins ne sont pas simplement en dehors de l'événement, ils sont partie prenante de l'événement : l'intrication est telle que les témoins ne sont pas quelque chose qui s'ajoute éventuellement – par exemple, il se trouve que j'étais là et que j'ai vu, et je témoigne –, ils sont de la définition même de l'événement, à tel point qu'il n'y a pas d'événement sans témoin.

L'événement comme producteur de protagonistes.

Je précise encore le mot intrication. Je vous ai parlé du sens, mais la forme abstraite du mot intrication veut dire que l'événement n'est pas d'abord les protagonistes, qu'il n'est pas d'abord les témoins mais qu'il est précisément le nœud de tout cela… et même on peut dire que cette intrication est production de protagonistes. Il ne faut pas d'abord penser qu'il y a des gens qui se rencontrent.

C'est tellement vrai dans le cas du baptême que, pour ne parler que du côté de l'homme, lorsque cet événement se produit, l'homme naît, donc il n'est pas présupposé. Le baptême c'est un événement tel qu'il me produit, qu'il me pousse devant. Et de quelque manière c'est vrai aussi de l'autre protagoniste mais ce serait peut-être plus difficile à expliquer, et ce n'est peut-être pas nécessaire pour l'instant. Ce point est très important : il n'y a pas d'abord des sujets. L'événement est justement ce qui suscite quelque chose comme les protagonistes et les témoins.

J'ai rappelé cela à cause de ce que nous disions la dernière fois en lisant le Prologue : il y a du venir qui vient et il y a ce qui le recueille (« nous avons contemplé sa gloire »). Cette venue est une théophanie qui est témoignée par Moïse au début et à la fin, par le Baptiste, juste avant et juste après le moment central[3]. Donc nous avons quelque chose comme une théophanie, et cette structure se présente de façon constante.

►  Est-ce qu'on peut dire qu'il y a trois temps : il y a l'événement, il y a le récit qu'on fait de l'événement oralement ou par écrit, et puis plus tard il y a l'écoute ou la lecture du récit de l'événement ?

J-M M : Oui, mais l'écriture et la lecture font partie de ce que tu désignes comme événement proprement dit. Par exemple la lecture aujourd'hui de l'événement christique fait partie de l'événement christique. Cela veut dire que je ne peux pas causer sur l'événement christique de façon pertinente sans être dans l'événement christique, car je suis partie prenante de l'événement christique. Ce n'est pas le fait brut que je pourrais conjecturer qui est la base de ma foi, ma foi est dans l'événement, la venue témoignée. Cela implique une autre façon de lire l'Évangile.

Un événement n'est pas un fait.

Bien sûr, si je lis l'Évangile en historien, rien ne m'empêche de conjecturer ce que je veux. Cependant ce n'est pas là-dessus qu'est fondée la foi. La foi, ce n'est pas : assurons-nous bien du fait avant d'en rechercher la cause. Voilà pourtant un principe qui caractérise toute la pratique et la recherche de notre monde d'aujourd'hui, et qui paraît très sain

C'est l'histoire de la dent d'or de Fontenelle. Un bébé était né avec une dent en or et on essayait de conjecturer pourquoi. En fait, en regardant de plus près, on s'apercevait que le bébé n'était pas né avec une dent en or. Conclusion : « Assurons-nous bien du fait avant d'en rechercher la cause ». Voilà ce qui régit notre monde.

Dans l'Écriture la parole est prise dans un autre ensemble. Ce n'est pas le fait conjecturé derrière la parole mais la parole elle-même qui est à entendre. Cela nous vient par le témoignage dans la parole. C'est fondé sur une expérience spirituelle de témoins et non pas sur la factualité.

 

II – La fonction du témoignage chez saint Jean

 

1) La structure du Prologue comme événement témoigné.

Je vous rappelle ce que nous avons vu à propos du Prologue. Jean-Baptiste apparaît aux versets 6-8 et 15 et il est qualifié de témoin. Or il est le dernier des prophètes, et il est assimilé au premier des prophètes Élie[4]. Moïse est présent dans les premiers versets puisque, nous l'avons vu, le Prologue est une lecture du début de la Genèse et que la Genèse est censée avoir été écrite par Moïse. De plus Moïse est nommé à la fin (« la loi fut donnée par Moïse » v. 17).

Donc notre texte est structuré comme ceci :

      A : Moïse : référence à Genèse, le livre de Moïse (v. 1-5) ;
         B : Élie : le Baptiste (v. 6-8) ;
             C : « Nous » : ceux qui ont reconnu la résurrection (v. 14) ;
         B' : Élie : le Baptiste (v. 15) ;
      A' : Moïse  (v. 16-18) ;

et le lieu central c'est bien le "nous".

Les témoins sont d'une certaine façon l'Écriture, c'est-à-dire Moïse et Élie (la Loi les prophètes) et "nous" (le nous de « nous avons contemplé »). Autrement dit c'est « selon les Écritures » et « selon l'expérience de résurrection », et ceci constitue l'événement christique. La Transfiguration est racontée dans les trois évangiles synoptiques, elle n'est pas racontée chez Jean, mais vous voyez ici que tout le matériau de la Transfiguration contribue au discours johannique.

2) Les témoins d'un événement.

Le mot témoignage revient plusieurs fois à propos de Jean-Baptiste : « 6 Il y eut un homme envoyé de Dieu, du nom de Jean. 7 Celui-ci vint pour le témoignage, pour témoigner de la lumière, afin que tous croient par lui. 8 Il n'était pas, lui, la lumière, mais il était pour témoigner de la lumière… 15 Jean témoigne de lui… »

En grec le témoignage se dit marturion[5]. Dans notre langage courant, la notion de témoin ou de témoignage est usitée en contexte juridique (témoigne de quelque chose), donc dans un champ très sectoriel, et il a cependant pris, surtout dans le monde catholique – mais peut-être un peu partout ailleurs car ça va ensemble généralement, ce sont des modes –, une signification assez particulière à propos de « Monsieur, moi je ne veux pas discuter, je veux témoigner », et on témoigne préférentiellement de son vécu.

Or justement l'emploi du mot témoin chez Jean ne se réfère pas à ce double emploi, d'abord en ce sens qu'il n'est pas sectoriellement de l'ordre du judiciaire, et en plus, nous verrons que ça ne correspond pas à cette idée de témoigner du vécu tel que nous employons le mot. Il nous faut donc nous interroger sur la signification de ce mot témoignage qui est tout à fait décisif dans le langage de Jean.

3) La fonction des témoignages dans l'AT et chez Jean.

Le mot témoignage existe dans les textes antérieurs à Jean, mais chez Jean il joue une fonction absolument fondamentale.

La problématique du témoignage est une problématique de la pluralité et il y a des variantes. Cela vient d'une expérience qui relève de l'appareil judiciaire en Israël, et c'est recensé en particulier dans le Deutéronome : « Toute vérité se tient dans le témoignage de deux ou trois. » (Dt 17, 6 ; 19, 15 ; 2 Cor 13, 1…). Il faut le témoignage de deux ou trois témoins, et bien évidemment il faut des témoignages concordants. C'est la concordance des témoignages qui donne du poids, qui atteste la vérité.

C'est cela qui est repris chez saint Jean comme disant quelque chose, non plus dans le champ particulier du judiciaire, mais dans le sens premier de la vérité : le témoignage est d'abord ce qui fonde la vérité puisque Jésus dit aux Judéens : «Dans votre loi il est écrit que le témoignage de deux hommes est vrai. » (Jn 8, 17).

Chez nous, on recourt au témoignage quand il n'y a pas quelque chose de plus sûr, quand il n'est pas possible d'expérimenter ou de démontrer de façon logique. L'idéal de la science qui est mathêsis – sinon proprement mathématique au sens moderne du terme – évacue le témoignage. On a recours au témoignage dans les sciences mineures comme l'histoire ou les sciences humaines, qui n'ont d'ailleurs accédé que tard au statut de sciences, et qui ne sont pas véritablement des sciences. Quand on recourt au témoignage, c'est "en dépit", ou alors il a une signification judiciaire, quand il n'y a pas d'autre moyen de prouver. Au contraire chez Jean, c'est ce qui fonde la vérité.

Tout témoigne, chez Jean : le Père témoigne du Fils ; le Fils témoigne du Père ; l'Esprit, c'est le témoin, il témoigne de l'un et de l'autre ; les disciples témoignent ; Jésus témoignera auprès du Père pour les disciples ; Jean le Baptiste est le témoin ; le "nous" de Jean dans la première lettre témoigne (« nous avons vu et nous témoignons ») ; « Moïse a écrit de moi », « Abraham a vu mon jour »…

En particulier tout le Nouveau Testament est "selon l'Écriture" c'est-à-dire selon l'Ancien Testament quand il n'est pas entendu comme une loi[6]. L'Écriture est donc le témoin. Or l'Écriture c'est « la loi et les prophètes ». C'est pourquoi, dans une théophanie quelle qu'elle soit, comme à la Transfiguration, il y a Moïse et Élie qui représentent la loi et les prophètes[7].

 Par exemple, à la Résurrection, il y a le témoin qu'est l'Écriture, et il y a les témoins auxquels Jésus se montre et « se donne à voir », ça c'est le mot de Paul : « 1Je vous rappelle, frères, l'Évangile… 3Jésus est mort pour nos péchés selon les Écritures, il est ressuscité le troisième jour selon les Écritures et il s'est donné à voir… – là, il y a une énumération – à Pierre, à tous les disciples, à plus de cinq cent frères,… à Jacques et à moi comme à l'avorton. » (1 Cor 15). Donc la Résurrection est entourée du témoignage de l'Écriture et des témoins auxquels Jésus se montre.

C'est intéressant parce que c'est vraiment un chemin d'écriture propre à Jean auquel nous avons à être attentifs. Par exemple le mot phônê (la voix) est prononcé deux fois lors du Baptême du Christ, une fois à propos du ciel, une fois à propos de la terre. Ciel et terre deviennent les témoins. Il faut deux témoins nous l'avons vu : c'est l'entrecroisement de la voix du ciel et de la terre qui constitue la vérité de l'avènement, du venir ou de l'événement qui est le Baptême du Christ. La voix du ciel dit « Tu es mon Fils », et la voix de la terre dit : « Voici l'agneau de Dieu qui lève le péché du monde ». Puisque le témoignage du ciel et le témoignage de la terre doivent être concordants, il faut qu'ils disent la même chose. Apparemment ce n'est pas le cas. Mais il se pourrait bien que si, et on peut le montrer[8].

4) La double altérité de l'événement.

Il y a dans la définition de l'événement que je donnais tout à l'heure, mais aussi dans la signification même du témoin, de l'altérité.

Du fait que les témoins sont partie prenante de l'événement, celui-ci ne consiste pas dans un moment ponctuel, mais il a une altérité dans le temps. En effet la relecture de l'événement fait partie de l'événement à la différence du fait brut. Celui-ci est une espèce de mythe qui correspond à un certain type de requête moderne mais il est très dérisoire. Quand l'historien parle de faits bruts, en réalité c'est lui qui s'affronte et qui se cogne la tête contre les faits qu'il suscite. Les faits ne sont pas têtus.

Il faut bien savoir que tous les textes d'Évangile sont une mémoire relue. Et en particulier dans certains cas très significatifs, les apôtres témoignent mais en racontant précisément ce qu'ils n'ont pas vu et qu'ils n'ont pas entendu, c'est-à-dire qu'ils racontent la dimension qu'ils ont manquée. Ils l'attestent eux-mêmes quand ils disent : « Ils ne comprirent pas alors » (d'après Jn 12, 7). Vous vous rendez compte qu'en disant cela je ne suis pas dans l'attitude de celui qui essaie de conjecturer psychologiquement ce qui s'est passé, ou bien celle de l'historien qui recherche la vraisemblance des faits. Ce qui est important n'est pas ce qui a bien pu se passer, mais ce que Jean dit qu'il s'est passé. Notre seul accès à l'événement christique est la parole de celui qui en témoigne.

Dans l'événement il n'y a donc pas l'opacité du fait, mais de l'altérité dans deux directions :

  • d'abord dans le rapport à autrui : il n'y a pas d'événement sans autrui impliqué ;
  • et il n'y a pas d'événement sans rapport à l'avenir. Autrement dit cet aspect-là réclame pour l'événement des "gardiens" à venir, c'est-à-dire des capacités de reprise, de remémoration, éventuellement de célébration de l'événement, qui sont de la nécessité même de l'événement.

Cette double altérité, à la fois dans la direction d'autrui et dans la direction de l'avenir, marque bien l'altérité par rapport à ce sur quoi j'ai maîtrise. En effet ce qui me menace, c'est autrui et c'est l'avenir. Cependant, ce qui me menace c'est aussi le lieu même de ce qui sauve[9]. Ce qui me menace (autrui et l'avenir) est le lieu de mon expérience du sauf.

Il y a donc quelque chose de très important dans la désignation de l'Évangile comme événement.

► Est-ce que, quand quelque chose nous arrive, on ne le vit pas surtout dans l'immédiateté ?

J-M M : Tout à fait. Ce qui se passe, je le vis dans l'immédiateté, mais il y a l'après. Par exemple quelque chose de grave m'arrive. Mais voilà un professionnel de la psychologie qui vient et qui m'aide à lire ce qui se passe ; ou voilà un ami qui vient et qui a encore plus peur que moi de ce qui se passe et qui, de ce fait, redouble ma peur; ou encore voilà quelqu'un qui se voudrait dans un rapport d'agapê et qui tout d'un coup ouvre une autre possibilité de lecture. Toute la vie est là, croisement multiple de ces multiples regards.

Et par ailleurs moi-même j'ai des délais dans l'événement, c'est-à-dire qu'il y a le moment où, si c'est un événement horrible, je suis dans ma peur spontanée ; et puis je suis témoin de mon événement huit jours après et je le relis d'une certaine manière… Tout cela appartient à l'intrication de l'événement.

Et de ce point de vue, on peut dire que l'écriture de l'Évangile c'est la gestion des multiples témoignages, acquis ou manqués, retardés ou immédiats, qui ultimement culminent dans la ressaisie du témoignage de la résurrection : c'est cette intrication-là.

Ceci est très important parce qu'il y va dans cette intrication de plusieurs moments de moi-même, mais il y va aussi de plusieurs personnes. Et nous sommes sans doute, par rapport à un événement, subtilement entre-appartenant, de telle façon que cela circule entre nous sur un mode que nous ne pensons même pas à dire. Ce mode-là est sans doute essentiel à la vie.

Le problème c'est la crispation sur "ego" qui nous fait tout penser à partir d'un sujet clos sur lui-même. La notion de fait c'est aussi une compréhension ponctuelle close sur elle-même, et c'est la même chose que la notion d'individu.

Donc en travaillant ici cette notion d'événement, je dégage quelque chose qui, sans doute, rend caduques un bon nombre de questions sur lesquelles nous nous crispons.

5) Le témoignage du Père au Fils et réciproquement.

Nous avons vu que dans notre usage, le témoignage est intéressant et authentique quand je témoigne de mon expérience, quand je témoigne de moi-même. Or, chez saint Jean, celui qui témoigne de lui-même est un menteur car le témoignage n'est valide que lorsque je témoigne d'un autre.

C'est toute la problématique des Judéens avec Jésus : « Tu témoignes de toi-même, ton témoignage n'est pas vrai » (Jn 8, 13). Mais pas du tout : « Un autre témoigne de moi» (d'après le v. 18). Qui est l'autre qui témoigne de Jésus ? C'est le Père. En effet il témoigne de lui en le ressuscitant – la Résurrection est le témoignage suprême que rend le Père (cf Ac 13, 30 et suivants) – ou en lui disant : « Tu es mon Fils ». Que ce soit ce qui est dit comme parole (« Tu es mon Fils ») ou récité comme geste (l'acte de le ressusciter), dans les deux cas c'est le même, c'est le témoignage du Père au Fils. Et le Fils témoigne du Père réciproquement chez saint Jean.

► Est-ce que cet événement ce n'est pas tout simplement que Dieu aime tous les hommes ?

J-M M : Oui, et saint Jean le dit dans sa première lettre au chapitre 4 : « 16À ceci nous connaissons l'agapê – on va connaître l'agapê – que lui a déposé son être pour nous – l'agapê est l'événement de la mort christique, l'agapê est un événement. L'agapê n'est pas d'abord pensée comme un sentiment, ni comme un commandement, ni comme une vertu, l'agapê est d'abord pensée comme l'acte christique de mourir, ou l'acte du Père de donner le Christ à la mort, à une mort qui est une mort pour la vie. Nous savons que nous mourrons de mort de servitude. Le Christ a cette capacité qui lui est donnée d'auprès du Père de mourir avec acquiescement, ce qui en fait une mort féconde, pour lui et pour tout le monde, c'est-à-dire pour tous les siens, les hommes qui sont dans le monde. «  En ceci est l'agapê : non pas en ce que nous aimions Dieu, mais en ce que lui nous a aimés(nous a aimés et ne cesse de nous aimer) » (v. 10).  : l'agapê est premièrement l'agapê de Dieupour l'homme, et l'agapê consiste dans le fait de se donner. Nous savons par ailleurs que ce don est un pardon, la perfection du don – et, nous-mêmes, il faut déposer notre être pour les frères. » – Le ophelein, il faut, n'est pas un “il faut” de commandement, c'est un “il faut” d'identité, mais c'est la même chose, car c'est la belle nécessité selon laquelle recevoir la vie est donner la vie. C'est une belle nécessité, une belle équation. C'est "l'agapê de Dieu pour nous" qui nous traverse de telle sorte que nous puissions aimer autrui.

 



[1] Jean-Marie Martin est en train de commenter le Prologue de l'évangile de Jean à Saint-Bernard de Montparnasse à raison d'une heure tous les quinze jours en 1997-98. Plusieurs ajouts ont été faits venant d'autres interventions de J-M Martin. Ce message parle du témoignage, mais toutes les facettes n'en ont pas été abordées car il est centré sur la notion d'événement. Un autre message paraîtra ultérieurement sur le témoignage.

[2] « J'ai pris bien soin autrefois de méditer longuement sur "événement", je l'ai même fait à partir d'événements familiaux qu'on appelle couramment des événements, et indépendamment de l'Écriture, ou si c'était selon l'Écriture c'était sans le savoir. J'ai fait une phénoménologie, le mot est peut-être prétentieux, mais une méditation sur ce qu'est l'événement. » (J-M Martin en 1999).

[3] Cf. le début de la deuxième partie .

[4] « Le rapport du Baptiste et Élie est un rapport débattu. À la question « Es-tu Élie ? » (Jn 1, 21). Il dit que non. Mais Jésus lui-même juste après la Transfiguration dit que Jean est venu dans la figure d'Élie : « Quant à moi, je vous le déclare : Élie est déjà venu, et les gens l'ont traité comme ils l'ont voulu, ainsi que les Écritures l'annoncent à son sujet. » (Mc 9, 13). En un sens il est Élie et en un autre sens il n'est pas Élie[4]. Il est celui qui résume toute la fonction prophétique. » (Extrait de Marc 9, 2-10 ; La Transfiguration)

[5] Le témoin n'est pas toujours un personnage. Par exemple l'eau, le sang et le pneuma (l'esprit) témoignant, cf Lecture de 1 Jn 5, 1-12 ; Eau, sang et pneuma (esprit, souffle...) dans les versets 6-8  .

[6] « Ça ne veut pas dire que je puis lire le Christ à partir de l'Ancien Testament, ça veut dire que la venue du Christ révèle un sens caché des paroles de l'Ancien Testament. C'est pourquoi il n'est pas nécessaire de commencer par lire l'Ancien Testament puisque le fruit révèle la semence et non l'inverse : le Christ est séminalement dans l'Ancien Testament, mais je ne détecte pas le fruit en considérant la semence, c'est l'inverse.» (J-M Martin, Marc 9, 2-10 ; La Transfiguration)

[7] Moïse et Elie sont là mais pas nécessairement directement comme à la Transfiguration (voir le début du II).

[9] Allusion à la phrase de Hölderlin : « Là où croît le péril croît aussi ce qui sauve ».

 

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