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La christité
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  • Ce blog contient les conférences et sessions animées par Jean-Marie Martin. Prêtre, théologien et philosophe, il connaît en profondeur les œuvres de saint Jean, de saint Paul et des gnostiques chrétiens du IIe siècle qu’il a passé sa vie à méditer.
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6 décembre 2016

Luc 2, 6-14 La naissance de Jésus célébrée par les habitants du ciel et de la terre

Noël est une fête tardive dans l'histoire des fêtes chrétiennes. Comment entendre cette naissance de Jésus, non pas selon les traditions populaires, mais selon l'Evangile lui-même où toute expérience se rapporte à la Résurrection ? C'est ce que J-M Martin a proposé lors d'une soirée sur le thème "ciel-terre".

 

Luc 2, 6-14

La naissance de Jésus

 

1 Nativité, Ethiopie

La référence ciel-terre se trouve aussi chez Luc. Je vais le commémorer parce que c'est un lieu à la fois éminent en lui-même et opportun en ces temps qui vont vers Noël. Occasion de rappeler que le commencement de l'Évangile est traditionnellement le Baptême du Christ. Nous verrons ça chez Marc et chez Jean. Mais nous savons que, chez Matthieu et chez Luc, on a fait précéder l'Évangile traditionnel de ce qu'on appelle les évangiles de l'enfance[2]. Noël est d'ailleurs une fête tardive dans l'histoire des fêtes chrétiennes. Nous sommes ici dans la naissance de Jésus.

« 6Il arriva que, tandis qu'ils étaient là, s'accomplirent les jours où elle devait enfanter. 7Elle enfanta son fils premier-né et l'enveloppa de langes et le posa dans une mangeoire parce qu'il n'y avait pas place pour eux (ce n'était pas une place pour eux)[3] dans l'hôtellerie. »

Voilà un récit d'une extrême simplicité, simple comme ce qui peut apparaître à n'importe quel regard étranger. Seulement les évangélistes ne se contentent pas de réciter ce qu'un regard étranger aurait pu percevoir.

Luc, après la Résurrection, sait que ce qui se passe ici n'est pas l'événement infime qui vient d'être raconté. Aussi entreprend-il de le célébrer dans sa grande dimension : c'est quelque chose qui touche le ciel et la terre. De la même manière saint Jean indique que c'est quelque chose qui est de grande dimension dans le temps : ça va de l'arkhê – avant la création du monde – jusqu'à l'eskhaton. Voici que ces dimensions spatiales ou temporelles sont convoquées pour exprimer la grandeur de ce qui se passe sous l'infime de l'apparence.

icône de la nativité

Alors Luc convoque les habitants de la terre et les habitants du ciel : «8Et il y avait dans la même région des bergers demeurant aux champs, et gardant (veillant sur) leur troupeau durant les veilles de la nuit.  9Et un ange du Seigneur se trouva devant eux, et la gloire du Seigneur les enveloppa de clarté ; et ils furent saisis d'une grande peur. 10Et l'ange leur dit : N'ayez pas peur, car voici, je vous annonce une bonne nouvelle (euangelizomai) qui sera pour tout le peuple ; 11car aujourd'hui, dans la ville de David, vous est né un sauveur qui est Christ Seigneur. 12Et ceci en est le signe pour vous : vous trouverez un nouveau-né enveloppé de linges et couché dans une mangeoire. 13Et soudain il y eut avec l'ange une multitude de l'armée céleste, louant Dieu, et disant : 14Gloire à Dieu dans hauteurs et paix sur la terre aux hommes eudokia !”»

  • Nous avons les anges qui sont les habitants du ciel. Et les anges sont habituellement les témoins de toute théophanie. La notion de témoin est très importante.
  • Nous avons les bergers qui sont les gardiens de la terre.

Où naît Jésus ? Il naît aux bergers. Cela n'est pas du tout hasardeux, car il naît naturellement à la garde. Le berger, c'est l'homme de la garde, c'est-à-dire du soin, c'est-à-dire de la veille, c'est-à-dire à la fois de l'attention et de l'attente. Et vous allez me dire : « mais ces gens gardent des moutons et non pas la parole de Dieu, ces gens attendent le jour et non pas la lumière qui illumine tout homme venant dans le monde ». Or il pourrait se faire que ce soit la même chose. Jésus vient à nous et c'est pourquoi se constitue l'espace de la présence, l'espace de la présence qui est lumière : la présence radieuse de Dieu les enveloppe de lumière (perielampsen autous), la parole qui est l'ange. Est-ce que les anges existent ? Ceux-là oui ! L'espace de la présence existe. Et ce qui se passe là, dans ce tout petit épisode, c'est la totalité, du haut en bas, c'est-à-dire : « gloire dans les hauteurs, paix sur la terre… ». Il ne suffit pas de dire que nous avons ici un genre apocalyptique, ce qui est en effet assez attesté par le fait que la lumière, l'ange, la parole, le terme du ciel et de la terre, la référence au baptême par le thème de l'eudokia (au Baptême la voix du ciel dit : « Tu es mon Fils bien-aimé, en toi eudokia » Lc 3, 22). Il n'est pas assez de dire que nous avons là une constante littéraire, ce qui est vrai, mais nous avons une constante littéraire parce que nous avons une même expérience.

Nulle part le texte ne parle d'un constat de naissance. À chaque fois, il s'agit d'une expérience. Non pas qu'on n'aurait pas pu constater la naissance d'un enfant là, sans doute ! Si je dis cela, ce n'est pas parce que je soupçonne un tant soit peu que cela n'a pas eu lieu au sens moderne du terme, mais parce que cela ne dit rien, et parce que nous n'avons pas, sur la base de ces données minimales, à construire pour notre propre compte le sens supplémentaire. Ce qui nous est donné, ce n'est pas le fait brut quitte à ce que nous lui donnions sens. Ce qui vient, c'est le sens, car cela a lieu dans la parole.

 

Gloria, détail de la nativité, cathédrale de Saint-Omer

Le chant du Gloria.

Et tout se résume naturellement dans le chant de glorification : «Gloire dans les hauteurs à Dieu et paix sur la terre aux hommes qu'il aime» qu'on divise habituellement en deux : dans les hauteurs (le ciel) et sur la terre puisque hupsistois (hauteurs) c'est une façon de dire les cieux.

Vous vous rappelez l'histoire récente de la traduction de cette acclamation ? C'est le Gloire à Dieu, le Gloria de la messe. C'est un texte qui a été largement repris et célébré, mais sous des formes diverses puisqu'on disait : «Gloire à Dieu au plus haut des cieux et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté.» Maintenant on dit «Gloire à Dieu au plus haut des cieux et paix sur la terre aux hommes qu'il aime.» Comment est-il possible d'avoir des traductions aussi différentes ? En fait dans le texte, nous avons «aux hommes eudokia.» L'eudokia c'est la bienveillance, l'agrément mutuel. Si j'attribue cette eudokia aux hommes, c'est : aux hommes bienveillants, aux hommes de bonne volonté. Si j'attribue l'eudokia à Dieu, c'est : aux hommes que Dieu aime. Et il pourrait se faire que nous ayons ici, en plus, une division ternaire plutôt que binaire :

  • gloire à Dieu au plus haut des cieux
  • paix sur la terre
  • aux hommes eudokia.

Le ciel, la terre et l'homme : l'homme est peut-être l'eudokia, c'est-à-dire l'agrément mutuel du ciel et de la terre. L'homme nouveau, l'homme qui apparaît en Jésus-Christ serait lui-même l'agrément du ciel et de la terre, ce qui serait assez intéressant parce que ça ne met plus l'homme simplement sur la terre mais dans un rapport, et un rapport positif, entre ciel et terre. Ce rapport est un intervalle médian, puisque, si je distingue deux choses, je les dif-fère, je les dif-férencie si vous voulez, je les écarte provisoirement et cela ouvre un espace médian. Qu'est-ce qui occupe cet espace médian ? Voilà une belle question. Dès qu'il y a deux, il y a deux différents et leur différence, l'acte de les différencier, donc de les tenir distants. Et je peux les tenir distants en les opposant s'ils sont excluants l'un de l'autre, ou en les approchant d'une proximité qui est leur être-bien, leur bon rapport.

Nous verrons que le rapport ciel-terre est un rapport qui a malgré tout une histoire. Même si on privilégie la symbolique spatiale, il désigne quelque chose qui se passe. « Le ciel et la terre ne se parlaient plus. » : c'est une expression qui se trouve dans un certain judaïsme contemporain de nos évangiles. Les Juifs disaient : « Le ciel et la terre ne se parlent plus. Depuis la mort du dernier prophète on n'a pas entendu la bat kol » : kol, c'est la voix et la bat kol, c'est la fille de la voix, c'est-à-dire la manifestation de la voix. On n'entend plus la manifestation de la voix, ça ne se parle plus.

Or l'Évangile commence par l'ouverture mutuelle du ciel et de la terre[4]. Les cieux s'ouvrent chez Mathieu. Chez Marc en plus les cieux se déchirent, ce qui introduit une autre symbolique qui est sans doute celle du voile du Temple qui se déchire du haut en bas, comme chez Mathieu à propos de la mort du Christ : c'est le moment de la manifestation, manifestation d'une unité rompue qui se re-nouvelle, qui se re-prend.

 

[1] Deux paragraphes viennent d'un cours de théologie de J-M Martin à l'Institut Catholique de Paris en 1978-79.

[2] Le message précédent sur le blog  justement traite de la virginité de Marie : « A été conçu du Saint Esprit, est né de la vierge Marie » : comment entendre ce qui concerne Marie ?.

[3] On interprète souvent ce texte en s'apitoyant sur le sort de cet enfant qui n'a pas été accueilli à l'auberge. Mais le texte en fait dit que là n'était pas sa place, tout simplement !

[4] J-M Martin montre aussi que tout le premier chapitre de l'évangile de Jean est dans la thématique du Baptême : voir la session sur le Prologue (tag JEAN-PROLOGUE), en particulier Ch. II : Théophanies et structure du Prologue et  Ch. V : Le Baptême de Jésus et la figure du Baptiste.

 

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