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La christité
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  • Ce blog contient les conférences et sessions animées par Jean-Marie Martin. Prêtre, théologien et philosophe, il connaît en profondeur les œuvres de saint Jean, de saint Paul et des gnostiques chrétiens du IIe siècle qu’il a passé sa vie à méditer.
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20 juin 2014

« A été conçu du Saint Esprit, est né de la vierge Marie » : comment entendre ce qui concerne Marie ?

Ceci est un extrait du cycle sur Credo et joie [1]. En fin de message un complément concerne la naissance virginale comme lieu théologique, il est extrait d'un cours de J-M martin qui faisait suite à ce qui se trouve dans le message suivant du blog et qui est une méditation sur le récit de la naissance de Jésus en saint Luc : Luc 2, 6-14 La naissance de Jésus célébrée par les habitants du ciel et de la terre.

 

 La Vierge Marie

 

 

icône de la Vierge du signe« A été conçu du Saint Esprit, est né de la vierge Marie »  : cette mention du Credo (le Credo dit Symbole des Apôtres) concerne la naissance de Jésus, la conception par le Saint Esprit. Le Saint Esprit est en question dans la troisième partie du Credo, mais il est là déjà, c'est le même Esprit.

Il faut savoir qu'il n'est pas question, dans l'ensemble de l'Évangile, de la naissance de Jésus et de sa conception, sinon en Luc et en Matthieu. Paul, ça ne l'intéresse pas du tout, il n'en parle pas, pour lui ce qui est premier, ce qui éclaire la totalité, ce qu'il faut pointer comme étant le cœur, le foyer, c'est la mort-résurrection du Christ. Noël est d'ailleurs une fête tardive dans l'histoire des fêtes chrétiennes.

Donc intervient ici toute la question de la naissance virginale. Elle vous gêne ?

Je vais vous dire une chose. De savoir si Marie était vierge, ça se décrit comme une question de curiosité fort indiscrète. C'est par ailleurs une question invérifiable – Allez donc voir ! – et c'est par-dessus toute une question (posée en ce sens-là) inintéressante. Seulement ce n'est pas de cela qu'il s'agit ! Il s'agit de savoir à quel titre Jésus est Fils. Or il est Fils au titre de la Résurrection, et la célébration de la virginité de Marie est une première façon, dans certaines Églises, de célébrer la Résurrection même.

Mais attention, quand je dis qu'il est Fils de Dieu de par la Résurrection, ça ne veut pas dire qu'il ne l'était pas avant, surtout pas ! Jésus a de toujours en lui la dimension de résurrection. Seulement elle est tenue cachée (c'est saint Hilaire qui développe cet aspect-là, justement) et elle est manifestée lors de la résurrection. C'est cette dimension d'humanité nouvelle qui prend chair, mais qui est déjà en lui… qui prend chair de la vierge Marie, mais par là il continue à être né du Père par le Saint Esprit.

Autrement dit Jésus ici est celui qui est né lors du « Fiat lux (Lumière soit) » (Gn 1). Les premiers Pères de l'Église disent : « Dieu dit "Lumière soit", aussitôt le Christ paraît ». C'est-à-dire que le « Fiat lux » est la même chose que « Faisons l'homme à notre image ». Et "à notre image" signifie "comme notre fils". Si vous superposez « Dans l'arkhê Dieu fit ciel et terre » (Gn 1, 1) et « Faisons l'homme à notre image…. Mâle et femelle il les fit » (Gn 1, 26-27) vous avez toute la structure de base de la pensée de Paul.

Les deux Adam : l'homme à l'image et l'homme modelé.

Autrement dit, ce qui est présent en Jésus de toujours, c'est "l'homme à l'image" et non pas "l'homme modelé". L'Écriture ne connaît pas la notion de nature humaine.

Prenons l'exemple de Philon d'Alexandrie – juif contemporain de Jésus – qui a beaucoup commenté en grec l'Ancien Testament. Il commente aussi la Genèse et parle de « Faisons l'homme à notre image » du chapitre 1, mais quand il arrive au chapitre 2 où l'homme est modelé par Dieu, il dit : « Celui-ci c'est un autre ».

En 1 Cor 15 Paul dit lui aussi qu'il y a deux Adam, un Adam pneumatique et un Adam psychique[2]. Or "celui qui vient", c'est Adam pneumatique (de Gn 1), même s'il vient sur mode caché, sous le vêtement d'un homme parmi les hommes. Il est l'homme essentiel. Il révèle une posture d'homme qui n'est pas de la semence d'Adam de Gn 2 duquel nous sommes tous nés. Voilà ce que cela signifie.

L'apparition de l'homme nouveau.

Cette signification-là est de toute première importance puisque c'est l'apparition de l'homme nouveau. Il est homme nouveau de par la résurrection, mais la résurrection n'est pas quelque chose qui lui arrive tout d'un coup, la résurrection est inscrite dans son mode même de vivre et dans sa naissance. Telle est la signification profonde de la naissance virginale, et en ce sens-là la question qu'elle pose n'est pas du tout insignifiante, ce n'est pas une question de curiosité déplacée.

Tant qu'on reste dans la problématique anecdotique, ça ne m'intéresse pas, c'est insignifiant. Il s'agit de célébrer la dimension de résurrection, donc l'accomplissement de l'homme à l'image, car pour les Pères de l'Église « Faisons l'homme à notre image » signifie « Faisons le Christ ressuscité » : c'est lui, l'homme qui est véritablement l'image de Dieu[3]. Et quand Voltaire dit : « Dieu dit "Faisons l'homme à notre image", l'homme le lui a bien rendu », il se trompe parce que ce n'est pas un homme quelconque, l'homme de la rue qui est à l'image, c'est le Christ dans sa dimension de résurrection, et l'humanité nouvelle en lui. Et il se trompe tout en ayant raison quand il dit que « l'homme le lui a bien rendu » parce qu'effectivement l'homme ressuscité Jésus rend à Dieu parfaitement l'image qu'il a reçue de lui, il est vraiment à l'image du Père. Voyez, c'est un joli débat avec Voltaire dans l'esprit voltairien, c'est aussi ironique qu'il peut l'être.

Le thème des mères stériles dans l'Ancien Testament.

Enfin le thème de la naissance virginale entre dans une méditation sur la vie qui est  proprement judaïque dans son essence. Qu'est-ce qui se passe dans l'Ancien Testament ? Non pas la naissance virginale mais la naissance à partir des stériles. La plupart des grandes matriarches sont stériles, à chaque fois la même histoire se rejoue. Qu'est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire que la vie n'est pas comme l'ordinaire pourrait le laisser croire, quelque chose qui est à la disposition de notre libre gesticulation, mais que la vie essentielle est toujours quelque chose de donné. La naissance à partir de la stérilité manifeste la donation plus originelle pour ce qui concerne la vie essentielle. Et la naissance virginale entre encore plus fortement dans cette thématique.

Une figure d'homme inédite.

Si on me dit que ce qui apparaît en Jésus Christ est une figure d'homme inédite, inouïe, qui ressaisit la totalité de l'humanité dans quelque chose de neuf, pour moi la naissance virginale a une très grande importance.

Voilà comment on peut comprendre cette expression. Là nous sommes dans la reprise de la tradition de Luc, ce n'est pas un thème johannique. C'est un thème de méditation du mystère qui appartient à un certain nombre d'Églises. Personne n'est allé vérifier la virginité de Marie ! Seulement si je prends au sérieux cette signification-là qui est symbolique, c'est elle qui "atteste" que c'est vrai même corporellement. Je ne dis pas que c'est une simple image, je dis que ça "atteste". De même, que la résurrection ait un sens spirituel pour la totalité de l'humanité, c'est cela qui rend plausible qu'il y eût une résurrection de Jésus. Autrement, qu'est-ce que j'ai à faire d'une anecdote de résurrection d'un homme jadis ! Si c'est insignifiant, c'est une curiosité tout aussi déplacée, insignifiante, qui consiste à faire collection de monstres ou de choses bizarres. Il faut bien situer cela.

Et ce que je dis en prenant la grande dimension de ces choses-là ne diminue pas leur vérité d'événements, au contraire. C'est ce qui ouvre un champ de possibilités de sens à ce qui est récusé sous prétexte que c'est réputé impossible. Autrement dit je tiens autant à l'un qu'à l'autre. C'est la Résurrection qui est déjà célébrée ici, c'est le cœur du Credo qui est déjà en question dans « est né de la vierge Marie ».

Le dogme de la virginité de Marie

►  La virginité de Marie c'est un dogme ? D'où cela vient-il ?

J-M M : Comme je l'ai dit, dans l'Ancien Testament on trouve déjà la stérilité des matriarches. Elle se traduira encore dans la stérilité d'Élisabeth, la mère du Baptiste, et cela va jusque dans la virginité de la vierge Marie : Jésus n'est pas descendu de l'humanité adamique de Gn 3. L'humanité christique n'est pas issue de cette semence adamique puisque, au chapitre 3, on naît mortel et pécheur, c'est-à-dire assujetti à la mort et au meurtre. C'est pourquoi la doctrine du péché originel qui est vitupérée a une signification d'une profondeur que vous n'imaginez pas, c'est une des analyses les plus profondes que je connaisse de la condition humaine. C'est ce qui explique que la virginité soit tenue pour un dogme, et cela explique même la nécessité de l'Immaculée Conception de la vierge Marie elle-même[4]. Il y a une cohérence irréprochable dans tout cet ensemble.

La virginité de Marie, perçue dans la perspective que je viens d'indiquer, c'est une question essentielle. Autrement dit, je ne vais pas attendre le fait pour en dériver le sens. C'est au contraire le sens qui m'atteste du fait. Et notre Écriture est écrite ainsi. « Assurons-nous bien du fait, avant que de nous inquiéter de la cause » écrit Fontenelle en plein XVIIIe siècle et c'est tout à fait nous. Rien à voir avec l'écriture, la parole, la pensée de nos Écritures.




Complément [5] :

la naissance virginale comme lieu théologique.

En lisant le texte de saint Luc j'ai voulu montrer que Jésus venait aux bergers[6.qui sont les habitants de la terre, venue qui est célébrée par les habitants du ciel. J'aurais pu aussi dire qu'il venait à Marie, sa mère. La question qui surgit ici, et qui a son importance en son lieu, c'est la question de la naissance virginale, j'en dis un mot.

Cette affaire est assez souvent traitée aujourd'hui par des théologiens, peut-être surtout dans le monde protestant, de légende. N'attendez pas que, devant une telle opinion, je me batte pour la réalité obstétricale de la naissance virginale. Pour deux raisons : premièrement parce que cela est historiquement totalement invérifiable, et deuxièmement, ce qui est plus grave, parce que c'est totalement insignifiant, sauf à véhiculer des significations parasitaires qui peuvent prendre beaucoup d'importance comme tout ce qui touche à la sexualité et à la naissance, mais pour d'autres raisons. Autrement dit : dans le lieu de la question obstétricale prise en elle-même, je déclare la question insignifiante. Mais je pense que cette question a un autre lieu. Ce pourrait d'ailleurs être à propos d'une question de ce genre que pourrait apparaître l'importance de la question que nous posons, la question du lieu. C'est très difficile de déterminer la signification la plus originelle, la plus profonde de cette parole de l'Évangile.

Je voudrais noter simplement que dans le premier christianisme, la naissance virginale de Jésus est un lieu théologique important. Au cours du deuxième siècle en particulier, cela permettra de situer l'orthodoxie face à deux tentatives opposées de lecture du Christ. On trouve cela par exemple chez saint Justin et ensuite chez Irénée : les deux tentatives opposées de lecture du Christ sont l'ébionisme (Jésus, c'est le fils de Joseph) et le docétisme (Jésus ne doit rien à Marie, il a un corps d'essence spirituelle et d'essence psychique éventuellement mais il est passé à travers Marie, n'ayant rien pris de Marie). L'orthodoxie chrétienne fait son chemin entre ces deux positions : il est vraiment né de la Vierge Marie, de la Vierge Marie. C'est ainsi que se forme une figure du Christ qui, nous le verrons quand nous étudierons rapidement l'histoire de la pensée chrétienne archaïque et conciliaire, sera à nouveau sujet à oscillation entre une tendance qui accentuera l'unité de son être différent du nôtre.

Je voudrais reprendre l'expression que j'ai déjà donnée : « Nous ne voulons plus d'un Jésus qui flotte, mais nous voulons d'un Jésus qui marche sur les eaux. Nous ne voulons pas d'un Jésus qui soit dans les nuages, mais d'un Jésus qui soit effectivement sous la nuée de la Transfiguration : non pas d'un Jésus en l'air, mais d'un Jésus dans le souffle, dans l'Esprit, dans le pneuma ».

Et c'est pourquoi nous sommes très respectueusement attentifs à la recherche du lieu où la parole de l'Évangile a réellement sens, y compris dans cette question classique que nous évoquons maintenant.



[3] « Pour les premiers Pères de l'Église il y a deux naissances de Jésus : la naissance lors du Fiat Lux, et la Résurrection qui est l'accomplissement plénier du Fiat Lux. Alors que dans les catégories de notre théologie il y a aussi deux naissances : une naissance éternelle comme nature divine et une naissance en tant qu'homme au sein de la vierge Marie. Ces deux façons de parler sont plausibles, mais la plus fondamentale, celle qui est attestée par la parole de Dieu, c'est la première que j'ai énoncée tout à l'heure : l'accomplissement du Fiat Lux qui est l'accomplissement de la Résurrection, qui est l'accomplissement de la naissance du Fils. Cela dérange nos habitudes. Mais c'est difficile simplement parce que nous n'y sommes pas habitués. » (J-M Martin, retraite Le Signe de la croix). Cf Résurrection et Incarnation.

[4] L'Immaculée Conception (ou la Conception Immaculée de Marie) fêtée depuis le Moyen Âge, est un dogme défini le 8 décembre 1854 par le Pape Pie IX. Ce dogme dit que Marie fut conçue exempte du péché originel On confond souvent cela avec la virginité de Marie qui est un autre dogme promulgué pour la première fois au 2e concile de Constantinople en 553, mais présent déjà dans le credo de Nicée.

Sur les dogmes figurent des messages (J-M Martin était dogmaticien) : tag dogmes et Évangile. En particulier : Du bon usage des dogmes

 [5] Extrait du cours de Jean-Marie Martin à l'Institut catholique de Paris en 1978-79.

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