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La christité
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  • Ce blog contient les conférences et sessions animées par Jean-Marie Martin. Prêtre, théologien et philosophe, il connaît en profondeur les œuvres de saint Jean, de saint Paul et des gnostiques chrétiens du IIe siècle qu’il a passé sa vie à méditer.
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18 juin 2014

Prologue de Jean. Chapitre X : Lecture valentinienne de Jn 1, 1-5 et 14-16

Voici le dernier chapitre de la session sur le Prologue de l'évangile de Jean. Après une présentation du Plérôme des dénominations puis des aventures de Sophia et de sa fille (la deuxième Sophie), ce chapitre contient une nouvelle lecture des versets 1-5 et 14-16 ainsi qu'une réflexion concernant les conséquence de cette lecture sur notre propre lecture. Les premières des versets 1-5 se trouve dans le chapitre VII.

Chapitre X

Lecture valentinienne des versets 1-5

 

J'en viens à ma proposition, la lecture valentinienne, c'est-à-dire la constitution de la table des dénominations. On m'a demandé de la faire précéder d'une présentation de ces gnostiques.

 

I – Introduction

 

1) Présentation des gnostiques.

Je ne parlerai pas des gnostiques en général, c'est une question beaucoup trop débattue. Je vais parler de ceux que je fréquente comme gnostiques. Ce sont des chrétiens qui sont premièrement dans le sein de l'Église, qui y fonctionnent pendant quelques décennies. Mais leur pensée donne rapidement lieu à une certaine corruption, pour eux-mêmes et pour ceux qui les écoutent ; et c'est probablement la raison pour laquelle ils sont les premiers à être déclarés hérétiques, c'est-à-dire qu'ils sont jetés hors de la grande Église, l'Église dominante, et on comprend très bien pourquoi. Cependant il y a tout un temps où ils sont, de façon tout à fait pertinente, à l'intérieur de cette grande Église. Et il y a un moment de corruption de leur pensée qui justifie l'attitude de la grande Église, surtout d'un point de vue missionnaire.

Ce qui m'intéresse c'est le tout premier gnosticisme. Les traces en sont par exemple dans les Odes de Salomon, un magnifique texte que nous possédons en syriaque, que j'ai contribué un peu à éditer avec une de mes anciennes élèves qui a été professeur de syriaque pendant une douzaine d'années à l'École Biblique de Jérusalem. Personne n'est capable de dire si ces Odes de Salomon sont de l'Église authentique ou déjà un peu gnostique. C'est très intéressant.

D'autre part, ces textes sont très proches d'un évangile qui a été trouvé à Nag Hammadi, qui est l'Évangile de la Vérité, un texte magnifique. Il est probablement déjà dans le discours gnostique, et néanmoins il n'y a rien en lui qui ne soit orthodoxe. Donc je parle de ce premier gnosticisme en tant que un des témoins.

Et comme ces gnostiques ont à cœur d'écrire, de développer, ce sont les premiers commentaires que nous ayons de l'évangile de Jean. Il y a plusieurs commentaires de Jean ; bien sûr nous n'en avons que des fragments, tous gnostiques. À ce titre-là ils sont très intéressants.

Bien sûr ils ne constituent pour moi en aucune façon une autorité, ce n'est pas au titre d'un ouvrage qui aurait une autorité semblable aux ouvrages canoniques que je les fréquente, c'est au titre de l'indication d'une première écoute qui reste proche des structures d'écriture du Nouveau Testament. Ensuite ce qu'ils disent est à vérifier par la lecture même du Nouveau Testament.

On nomme parmi ces gnostiques : Valentin, Théodote, Ptolémée, Héracléon. Par exemple Valentin enseigne dans les années 130[1]. Il y a un commentaire explicite du Prologue par Valentin que nous possédons. Il y a un commentaire de l'évangile de Jean par Héracléon que nous ne possédons pas, mais le grand commentaire d'Origène sur l'évangile de Jean, au début du IIIe siècle, est un débat, parfois réfutation parfois acquiescement, avec le commentaire d'Héracléon dont il cite des fragments.

 

2) Table d'écoute.

Ce qui nous intéresse ici, c'est de relever comment les dénominations christiques sont répertoriées, classées, d'une certaine manière, ce qui fait une sorte de table topographique – au sens littéraire du mot topos. En effet les Valentiniens mettent en œuvre du récit et aussi ce que nous appelons des dénominations, des noms.

Vous savez, toute lecture se fait à partir d'une table préétablie qui dit nos capacités d'écoute. Cette table préétablie est largement inconsciente en général, en ce sens qu'entendre c'est rapporter à un espace d'écoute qui est en nous.

Votre table d'écoute, c'est-à-dire votre capacité d'accueil, je vous le dis tout de suite, ce sont les catégories d'Aristote. Vous n'en savez rien mais c'est ainsi. C'est ce que vous avez appris dans la grammaire, ce sont les procédures d'écoute qui se font selon des répartitions qui sont implicites, qu'on n'examine pas puisqu'elles fonctionnent.

On peut considérer la lecture que je vais faire maintenant comme une table d'écoute consciente. Cela me fait penser à ce que représente à certains égards la table d'écoute appelée "table des Séphirot", c'est-à-dire table des mesures divines, pour un certain judaïsme talmudique déjà, mais clairement dans la kabbale. Ce sont des tables d'écoute tout à fait conscientes. Je pense qu'une table d'écoute, il vaut mieux qu'elle soit consciente plutôt qu'inconsciente.

En disant "table d'écoute", je fais une certaine approche de la question. Mais nous verrons que ce que je présente comme une table est aussi le lieu d'un récit. Ce n'est pas simplement une répartition géographique, il s'y passe quelque chose.

Une table d'écoute se conforme généralement à des schémas fondamentaux qui sont une répartition : conformément au corps humain, ou par exemple à l'arbre pour les Séphirot. Et c'est peut-être analogiquement quelque chose comme ce qu'ailleurs on appelle mandala. Qu'il y ait des correspondances entre l'arboréité et les parties du corps, donc une symbolique du corps humain, c'est ce qui permet dans une lecture de rapporter les textes à leur lieu propre et de les méditer ; c'est se posturer et se configurer soi-même. Il y a là probablement quelque chose qui nous est assez étranger.

Il ne faut pas oublier par exemple que le tableau explicite des catégories d'Aristote a été mis en topographie par Porphyre qui est un néoplatonicien assez tardif. Cette topographie, on l'appelle l'arbre de Porphyre.

► Que l'arbre soit une image du corps humain, tout à fait.

J-M M : Oui, mais répartir : c'est d'abord un lieu d'accueil pour le mot qui vient.

► Il y a des apprentissages de la lecture qui se font de cette manière. On approche chaque lettre à partir du corps. Avec les enfants je crois qu'on utilise beaucoup ce que tu dis là.

J-M M : On pourrait d'ailleurs prendre pour exemple le fait que le dessin de la maison chez l'enfant est toujours une figuration du corps propre : les fenêtres sont les yeux, la porte est la bouche, l'allée qui est devant a souvent des boutons, etc. C'est la première prise de compréhension du haut, du bas, etc.

 

3) Généalogies.

Les autres évangiles commencent par la scène du Baptême, et par des généalogies chez Luc et Matthieu. Nous avons vu que l'évangile de Jean lui aussi commence par l'ouverture des cieux à la terre, par la théophanie du Baptême. Nous allons voir que dans l'évangile de Jean, les cieux s'ouvrent aussi par la généalogie, non pas la généalogie à la mode de Luc et de Matthieu, mais la généalogie des dénominations de l'Arkhê. Nous en avons déjà repéré certaines : Monogénês, Logos, Vie, Grâce, Vérité. Et en même temps ces mots s'engendrent mutuellement, ils disent le même en s'engendrant conformément à la façon dont les anciens considèrent le rapport du père et du fils où le fils est considéré comme la manifestation du père, le fils étant ce que le père est en caché. Nous allons voir que là ce sont des dénominations qui s'engendrent. Chez Matthieu et Luc, ce sont des bonshommes apparemment, mais je vous assure que leurs généalogies de Jésus sont aussi des généalogies de dénominations, parce que les noms qu'ils citent ne sont pas simplement les noms des ancêtres, mais ce sont des qualités spirituelles qui s'héritent dans une lignée. La différence est beaucoup moins grande que vous ne le pensez entre Matthieu (ou Luc) et Jean, parce que Abraham, Isaac et Jacob, pour un lecteur juif, ne sont pas des bonshommes, mais ce sont des modalités de Dieu d'abord.

 

II – Le Plérôme des dénominations et les aventures de Sophia

 

1) Le Plérôme des dénominations.

Les dénominations que nous allons regarder sont en majorité puisées au Prologue. La question maintenant est de les recenser et de voir leurs places respectives. Ce qui va contenir les dénominations[2] est ce qui est appelé le Plérôme, c'est-à-dire la plénitude : « de ce Plérôme, nous avons tout reçu » (Jn 1, 16). [Jean-Marie dessine un cercle]. Ce cercle, du reste, n'est pas tracé d'entrée, il va se tracer en cours de route.

a) Abîme et Silence[3] (ou Grâce).

Au-dessus du Plérôme il y a Théos, le Père, que les Valentiniens appellent l'Abîme (Buthos) et sa compagne s'appelle Sigê (Silence). Nous avons ici esquissé une syzygie, c'est-à-dire une conjugalité qui va se rejouer à tous les autres niveaux. Sa compagne s'appelle Silence mais elle s'appelle aussi Grâce (Charis) : « plein de grâce »

Il y a une expression valentinienne extraordinaire : le Père est le Père de l'infranchissable et de la douceur (glukotêtos). Glukos est le mot que les médecins ont pris pour dire le sucre. C'est-à-dire que l'Abîme est quelque chose qui ne se franchit pas, mais comme nous avons ici une sorte d'hendiadys (infranchissable et douceur sont la même chose), c'est un infranchissable non pas par refus ou dureté, mais au contraire par l'absence de limite, ce en quoi on s'enfonce au risque de se perdre. C'est ce qui va arriver à Sophia (la sagesse). Cette expression n'est pas chez Jean mais elle est abondamment chez Paul, et nous avons vu qu'elle a une grande importance dans le développement de la logologie (du discours sur le Logos).

Nous allons entrer dans un récit. Au fond, il s'agit d'une description statique de l'arbre, du bas et du haut et des différentes dénominations, mais en même temps il s'agit d'un dévoilement progressif qui se fait dans un récit : les noms vont venir dans un récit.

Irénée qui ne comprend rien aux gnostiques, mais qui est précieux parce qu'il raconte quand même ce qu'ils disent[4], se moque : « Ils disent : "Dans les hauteurs il y a l'abîme" ». Justement dans les hauteurs il y a l'abîme en ce sens que la répartition du haut et du bas n'est pas encore advenue, comme n'est pas advenue encore la répartition du dedans et du dehors. Quel est le moment d'émergence du dedans / dehors, du haut / bas, etc.  ?

Donc nous avons une genèse, une gonie des choses essentielles.

b) L'aspect masculin / féminin et l'aspect générationnel.

Tous les noms du Plérôme sont couplés c'est-à-dire qu'à un mâle correspond une femelle.  Nous avions trouvé dans le Prologue de Jean des mots mâles et des mots femelles. Ainsi Logos est masculin et Vie est féminin. Un couple constitue une certaine unité, mais une unité qui a sa distinction masculin / féminin. C'est une façon d'indiquer que c'est le même, parce que ceci accomplit la parole : « De deux qu'ils étaient, ils sont un » (Gn 2, 24). J'ai traduit longtemps : « De deux qu'ils étaient, qu'ils soient un » mais pas du tout, « ils demeurent deux et ils sont un », parce que le "un" en question (l'unité des deux) n'est pas ce qui efface l'altérité, mais au contraire ce qui promeut la bonne altérité. C'est pourquoi par exemple le Logos peut dire « Je suis la Vie ». Et ceci ramasse un certain nombre de choses qui traînent dans les épîtres de Paul : le rapport homme / femme, le rapport Christos / Pneuma

Ceci est une répartition qui est de toute première importance dans la symbolique fondamentale. Nous ne le pensons pas, mais je vous assure que le rapport père / fils ou le rapport époux / épouse n'est pas moins intelligent que les rapports qui sont censés être proprement conceptuels comme cause et effet, comme moyen et fin, qui sont les quatre causes d'Aristote.  Ces concepts qui fonctionnent dans la philosophie, ne sont pas plus intelligents que la répartition homme et femme, ou père et fils. Mais ces répartitions-là sont des structures fondamentales pleinement suggestives, et les poètes le savent.

 « Voie lactée ô sœur lumineuse
Des blancs ruisseaux de Chanaan
Et des corps blancs des amoureuses
Nageurs morts suivrons-nous d'ahan
Ton cours vers d'autres nébuleuses »

– « Voie lactée ô sœur lumineuse » c'est une façon de dire : la Voie lactée est en haut quelque chose de semblable, d'analogue, donc qui a une proximité avec « les blancs ruisseaux » qui sont des voies aussi.

– « les blancs ruisseaux de Chanaan », c'est la terre où coulent le lait et le miel, d'où "Voie lactée". Cela se répond, c'est du cousinage.

– « Sœur lumineuse » : voilà un emploi de la fratrie – ce n'est pas ici le couple – qui est aussi intelligent et infiniment plus parlant que les mots que nous servent pour dire "comme" ou "de même que".

Dans le poème la syntaxe en prend un coup, elle oblige à être elliptique : « nageurs morts suivrons-nous… ton cours » ne veut rien dire ; mais ça veut dire : « comme des nageurs, quand nous serons morts, suivrons-nous ton cours ? »

                    (C'est le début du poème de Guillaume Apollinaire : La Chanson du Mal-aimé).

Il s'agissait là simplement d'illustrer afin qu'on ne prenne pas comme une chose sotte le fait d'avoir des dénominations mâles et des dénominations femelles.

Nous venons de voir l'aspect masculin / féminin, étant entendu d'ailleurs que ce n'est pas seulement époux et épouse, mais aussi bien frère et sœur. Il y a aussi l'aspect que j'appelle générationnel ou descendant, mais c'est plutôt une émanation qu'un engendrement, le Fils désignant la manifestation du Père. La distinction de la génération est l'archétype du temps ; et le couple est l'origine de l'espace, c'est-à-dire de l'unité simultanée, de la simplicité unie – c'est une belle expression (en traduction malheureusement), de Heidegger, simplicité unie, parce que c'est presque un oxymoron. Nous ne pensons pas en général simplicité unie, nous pensons la simplicité élémentaire ; par exemple les quatre éléments sont simples, mais entre eux, ils ne sont pas unis. La simplicité élémentaire n'est pas la simplicité unie, par exemple elle n'est pas l'unité du deux ou du pluriel, qui se maintiennent comme deux et comme pluriel. Ce n'est pas une composition, ni un mélange, ni une fusion ou une confusion. La plus haute unité est une unité d'union, donc la simplicité unie par opposition à la simplicité élémentaire, comme celle des quatre éléments par exemple.

c) Les trois premiers couples à l'intérieur du Plérôme.

Le Plérôme est donc cette plénitude des dénominations qui sont prises dans le texte de Jean et qui sont articulées sous deux aspects : l'aspect généalogique et l'aspect masculin / féminin.

– Du couple Abîme/Grâce émane le Monogénês. Celui-ci est donc la tête du Plérôme et il s'appelle aussi Arkhê. Et l'aspect féminin de Monogénês-Arkhê est Vérité.

– Du couple Monogenês / Vérité émane le Logos dont l'aspect féminin est la Vie : « En l'Arkhê était le Logos […]  et ce qui advint en lui était Vie ».

– Du couple Logos / Vie émane l'Homme (l'homme à l'image) dont l'aspect féminin est l'Ekklêsia. Le mot Ekklêsia n'est pas explicitement dans le Prologue mais on a : « La vie était la lumière des hommes », or dans "des hommes" il y a le mot "homme" au pluriel, c'est-à-dire l'Ekklêsia, l'humanité convoquée. Le mot Ekklêsia est chez Paul, pas chez Jean, chez Jean c'est "la koïnônia".

Nous venons de voir que le mot Ekklêsia est dans le pluriel "les hommes". En effet les éléments féminins sont toujours des éléments à la fois emplissant et diffusifs.

Plérôme, description topographique

Adversus Haereses I, 1, 1. « Il existait, disent-ils, dans les hauteurs invisibles et innommables, un Éon parfait antérieur à tout. Cet Éon ils l’appellent Pro-Principe, Pro-Père et Abîme (Buthos). Incompréhensible, invisible, éternel, inengendré il [cet éon] fut en profond repos et tranquillité durant une infinité de siècles. Avec lui coexistait la Pensée qu’ils appellent encore Grâce (Charis) et Silence (Sigê). Or un jourcet Abîme eut la pensée d’émettre, à partir de lui-même un principe (arkhê) de toutes choses. Cette émission dont il avait eu la pensée, il la déposa, à la manière d’une semence, au sein de sa compagne Sigê (Silence). Au reçu de cette semence, celle-ci devint enceinte et enfanta Intellect  – c’est un autre nom du Monogène – semblable et égalà celui qui l’avait émis, seul capable aussi de comprendre la grandeur du Père. Cet Intellect, ils l’appellent encore MonogènePrincipe (Arkhê) … Avec lui (l'Intellect) fut émise Vérité… Or ce Monogène, ayant pris conscience de ce en vue de quoi il avait été émis, émit à son tour Logos et Vie, Père de tous ceux qui viendraient après lui, Principe et Formation de tout le Plérôme. De Logos et Vie furent émis à leur tour, selon la syzygie, Homme et Église. Et voilà la fondamentale Ogdoade… »

d) Les trente éons.

Ces trois couples engendrent dix dénominations (ou éons) – elles sont sans importance – et Homme et Ekklêsia en engendrent douze. Au total cela fait 30 : c'est-à-dire 10 et 12 plus les 8 que nous avons commémorés. Il y a beaucoup de noms qui n'ont pas d'importance.

 

2) Les aventures de Sophia et ses retombées.

a) La méprise de Sophia.

Le 12ème éon issu de Homme et Ekklêsia s'appelle Sophia, la Sagesse. C'est donc le 30ème éon. Or Sophie a un époux aussi, mais ce n'est pas la peine de le nommer parce que précisément elle entreprend de faire quelque chose sans lui. Étant le petit dernier des éons, Sophia (la sagesse) entreprend de vouloir connaître le Père, le pénétrer par ses propres ressources, sans l'aide même de son conjoint, et ça rate ! Nous trouvons ici la notion de base, tout à fait chrétienne, de la volonté de prise comme méprise nécessaire.

Ceci jette le trouble dans l'ensemble des dénominations : une dénomination manquée porte le trouble sur l'intelligibilité, l'intelligence des autres notions. Mais cette Sophia ne s'appelle pas par hasard Sophia, elle correspond à la sagesse des nations, à la philosophia, car celle-ci, pourtant issue de Dieu, est néanmoins une Sophia qui a manqué sa recherche du fait de sa volonté de prise, de sa volonté de pénétrer le Père.

b) Le couple Christos / Pneuma.

S'impose à ce moment-là une rectification de ce malheur grâce à un autre couple qui est issu de Monogenês et Vérité : c'est le couple Christos / Pneuma. Pneuma est l'aspect féminin[5], c'est-à-dire diffusé du Christos qui est oint en plénitude du Pneuma : dans l'évangile de Jean, Christos et Pneuma sont des mots qui s'entre-appartiennent, comme Logos et Vie.

Quelle est la fonction du couple Christos / Pneuma ? Elle est triple :

il enseigne les dénominations (les éons) ;

– et sa fonction consiste à les égaliser, c'est-à-dire à montrer que si chacune d'entre elles est entendue jusqu'au profond d'elle-même et non pas dans sa différence, elles sont toutes égales et semblables (isos kai homoios). Pour cela il leur apprend qu'elles sont dans la méprise quand, dans leurs différences, elles se prennent séparément, elles se séparent. Ceci correspond à la lecture des dénominations qu'on trouve dans l'évangile de Jean : " Je suis la parole", "Je suis la vie", "Je suis la lumière". Elles ne sont vraiment comprises que lorsqu'elles disent la même chose et non pas des choses différentes, quand elles disent l'indicible, quand elles disent la résurrection.

– et ensuite il leur apprend à eucharistier. Le manque fondamental avait été la volonté de prise : les éons sont rectifiés en apprenant à rendre grâce, c'est-à-dire à avoir le sens du don, le sens de Kharis (de la grâce).

Nous avons là les motivations essentielles de l'Évangile le plus pur.

Il faut bien savoir que c'est au terme de cela que se constitue le Plérôme c'est-à-dire que se constitue un dedans. S'il y a un dedans, il y a un dehors. Nous allons trouver l'autre dehors, le dehors du bas dans lequel une partie de Sophia est jetée.

En effet Sophia est pour une part rectifiée avec les autres éons, mais une partie d'elle-même est jetée dehors. Il s'agit d'une manifestation d'elle-même, sa fille qui s'appelle Achamot. Celle-ci a un nom hébreu parce que la Sophia, c'est la Sophie des nations, et Achamot c'est la Hochma, la Sophie juive. Tout ce développement a l'air intemporel, en fait c'est une lecture de l'histoire de l'avènement de la pensée dans l'humanité[6].

c) L'expulsion de la deuxième Sophie hors du Plérôme.

Je passe sur un certain nombre d'épisodes parce que c'est une table répartitrice dans laquelle le récit n'est pas exclu. Ceci est très important parce que dans la philosophie, il n'y a que des concepts, la philosophie ne se récite pas. Le récit pour nous c'est ou l'histoire, ou le mythe, ou le roman, que sais-je. Or ici il n'y a pas de distinction entre la nomination de ce qu'on peut prendre pour un concept, et la venue de ce concept : le venir, je le disais, est un nom de Dieu aussi important que être, et de même rang. D'ailleurs le mot « il vient, il est venu » structure la deuxième partie de notre Prologue.

Cette deuxième Sophie (Achamot) est donc tombée dans des lieux qui naturellement sont caractérisés, dans la plus pure tradition paulinienne, comme des lieux de l'ombre, du vide et de la folie. En effet les trois caractéristiques de cette deuxième  Sagesse correspondent aux trois façons de dire la déficience que nous avons lues en Rm 1, 21-22 : elle tombe dans les espaces du vide (par opposition à la plénitude), de la ténèbre (par opposition à la lumière) et de la folie (par opposition à la sophie, la sagesse), car elle s'appelle Sophie mais elle devient une sorte de prétendue sagesse. De la Sophie déchue il est dit par exemple : « elle bouillonna dans les lieux de l'ombre et du vide ; c’était inévitable puisqu’elle était exclue de la lumière et de la plénitude ». (Irénée, Adversus Haereses 4,1).

Donc ce n'est pas un mythe qui est inventé de l'extérieur, c'est une lecture pertinente de Paul et de Jean. Ce qui est en question dans ce mythe, c'est l'avènement du manque dans l'unité. Les pères de l'Église vont se gausser du fait que c'est la Sagesse qui n'est pas sage. Mais justement, la Sagesse est le lieu de la possible non-sagesse, et c'est précisément pour cela qu'elle s'appelle Sagesse, parce qu'elle a rapport avec l'insensé.

d) L'émission de Jésus ou Lumière.

Lorsqu'elles ont été rectifiées par Christos / Pneuma, les dénominations font une assemblée, tous les noms se rassemblent. Et la concordance absolue fait que dans cette assemblée ils eucharistient, et le produit de cette eucharistie c'est Jésus ou la Lumière. Le mot Lumière intervient ici comme un nom du Monogénês comme totalité accomplie. Voyez la grande primauté qui est donnée au nom de lumière.

Donc cette intériorité (ce Plérôme) est fortifiée désormais, et "consiste", ce qui l'opposera et la distinguera du vide inconsistant. Elle est tout entière la lumière par opposition au lieu de l'ombre et de la ténèbre.

e) Le sort de la deuxième Sophie.

Achamot est donc dans les lieux de l'ignorance. C'est de cette ignorance (agnoia) que sont suscitées les "passions" (au sens de pathos) : de l'ignorance sort la peur. Sophia (la 1ère) est constituée de pneuma (d'Esprit), mais la Sophie jetée dehors est constituée par la peur, par la tristesse et par la crispation (ekplêxis) – en effet les anciens distinguent la peur qui fait fuir et la peur qui gèle, qui inhibe – et enfin cette Sophie est constituée par la conversion, c'est-à-dire par le désir de remonter vers la plénitude (vers le Plérôme).

Nous avons ici la genèse de la connaissance, parce que la gnôsis (la connaissance) précède l'homme, ce que nous appelons l'homme, l'être homme. Sa connaissance réservée est tenue en Dieu, c'est vers elle que l'homme chemine. L'homme est pro-jeté inaccompli[7], et son cheminement le fait venir vers sa propre plénitude. C'est un trait qui se trouve constamment dans la structure de pensée du Nouveau Testament.

 

3) Précisions.

a) Les Valentiniens lisent saint Jean et aussi saint Paul.

Ce qui précède est la lecture par Valentin, ou son disciple Ptolémée, du Prologue de Jean. Mais l'auteur utilise également Paul puisque nous avons vu la Sophie dont il est question dans le texte, et c'est pour cela que je vous avais lu le texte de Paul racontant la genèse du péché avec l'introduction de la région de l'ombre, du vide et de la folie, avec la non-eucharistie comme principe de cette "éjection hors de".

L'accomplissement de l'homme, il est là et il est en réserve, parce que l'homme n'entend pas d'emblée toutes ces dénominations dont la connaissance est son essence secrète ; il chemine vers, il va à rejoindre ce qui est son essence, car l'essence de l'être-homme c'est connaître.

b) L'homme n'est pas le lieu premier du désordre.

Nous pouvons remarquer que le déploiement des dénominations donne lieu aussi à un certain démembrement antérieur à l'humanité, dans la mesure où il y a une sorte de falsification des noms qui précède l'homme.

► Le déploiement du Nom s'accompagne d'une falsification, tu peux expliquer ?

J-M M : Dès avant qu'un homme singulier, un homme particulier, accède au Nom, il hérite d'une situation dans laquelle les noms ne sont pas pensés à partir de leur essence. C'est Sophia qui introduit dans le Plérôme un désordre. Autrement dit l'homme n'est pas le lieu premier du désordre.

c) Le symbolisme des chiffres du Plérôme.

► Quelles sont les dénominations qui correspondent à la somme 10 + 12 + 8 ?

J-M M : Leur énumération n'est pas du tout intéressante. Il faut voir quels sont les motifs de cela, il faut voir la genèse des chiffres 10 et 12 (qui sont très importants en eux-mêmes) par rapport à l'Ogdoade c'est-à-dire au 8. L'Ogdoade correspond à l'octave qui est le "jour un", jour qui correspond au dimanche, donc le 8 est le chiffre par excellence. Il faut que cela fasse le mois, c'est-à-dire qu'il faut arriver au chiffre 30.

Le motif des chiffres est une lecture qui est rapportée après coup sur cette généalogie. Mais peu importe le rembourrage des 10 éons ou les noms des 12 éons suivants, c'est une autre perspective qui s'introduit en supplément dans la constitution du Plérôme. Donc les noms des 10 ou des 12 n'importent pas, d'ailleurs ils ne jouent aucun rôle à part Sophia. C'est du remplissage pour un autre souci qui est de faire venir des chiffres fondamentaux : le 8, le 10, le 12, et le 30 qui correspond au mois.

Si on ajoute les deux que sont Christos et Pneuma et qui ne sont pas comptés dans les 30, cela fait même 32. Or 32 a un sens très particulier dans le judaïsme, il désigne les 32 sentiers de la sagesse c'est-à-dire les 22 lettres, plus les 10 séphirot de la table. Il faut prendre les choses dans leur lieu de signification, dans leur visée de signification.

Je parlais l'autre jour du 801 de la colombe, mais il faut voir ça dans la visée de ceux qui le font. Je ne vous invite pas à compter la valeur d'un mot à partir des chiffres qui correspondent aux lettres, ce n'est pas pertinent pour nous de ce point de vue, et pour eux non plus.

 

III – Nouvelle lecture des versets 1-5 et 14-16

 

Voici[8] une deuxième entrée dans le Plérôme des dénominations à partir d'une lecture suivie.

a) Versets 1-3a : Arkhê, Dieu-Père, Logos, totalité.

« 1 Dans l'Arkhê était le LogosArkhê ne dit pas simplement le début, mais c'est un des noms de Jésus, de même que Logos.

« Et le Logos était vers (auprès de) Dieu » La même phrase est reprise au début de la première lettre de Jean, et c'est le mot de Père qui est employé : « Ce qui était dès l'Arkhê, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux. […] la Vie éoniquequi était auprès du Père et qui s'est manifestée à nous… » Alors, Dieu ou le Père ? Le mot Dieu se dit sans doute d'une façon prioritaire du Père, mais peut-être pas exclusivement. Donc il faut lire « le Logos était vers le Père ». Le premier rapport est le rapport fondamental Père/Fils.

« Et le Logos était Dieu. » Seul Dieu est près de Dieu, c'est-à-dire qu'il faut être Dieu pour être près de Dieu ; ou bien être près de Dieu, c'est être Dieu. L'unité est la proximité. Voilà un point que je ne fais qu'énoncer.

« 2Il était dans l'Arkhê auprès de Dieu– "être dans" c'est "être" chez Jean, donc « il est arkhê ».

« 3 Tout fut par lui (panta di autou égénéto) ». Ceci répond à arkhê : il est le principe et aussi le prince de la totalité de l'humanité. Dans le mot panta, en effet, il ne faut pas lire ici la création et il ne faut surtout pas traduire "Tout fut par lui" par "tout fut fait par lui". Je ne dis pas qu'il n'y a pas de création, je dis qu'il n'en est pas question ici.

Ce qui est désigné ici, c'est l'advenance de la totalité séminale, ou la totalité de christité qu'il y a dans l'humanité, ça peut même être le nom de l'Esprit Saint lui-même qui est l'aspect répandu en chrismata, en chrismation dans la totalité de l'humanité. Je fais allusion à la fin du chapitre 2 de la première lettre de Jean.

b) L'identité du Fils Un (Monogênes) et de l'Arkhê.

Le nom de Fils qui nomme le rapport au Père (à Dieu) est donc celui qui doit être posé, pas forcément au début, mais au premier rang. À ce point de vue, il a pour équivalent le mot de Arkhê. En effet le premier nom auquel fasse écho le mot de Monogenês (au verset 14), comme disant la même chose, c'est Arkhê.

Disant cela je me réfère à la caractéristique essentielle du Christ, caractéristique qui se retrouve à toutes les pages de l'évangile de Jean, à savoir qu'il est constitué par une double relation : relation au Père, relation à la totalité de l'humanité.

Par exemple au début du chapitre 17 : « Père, glorifie ton Fils, ce qui est que ton Fils te glorifie, selon que tu lui as donné d'être l'accomplissement de la totalité de l'humanité. », et au début du chapitre 13 : « Sachant que l'heure est venue qu'il aille de ce monde vers son Père, ayant aimé les siens qui sont dans le monde, il les aima jusqu'au bout ». Il n'est jamais question du Christ comme d'un individu singulier.

D'ailleurs, j'emploie ici le mot de Christ qui n'est pas un mot majeur dans la lecture que nous faisons, même s'il s'y trouve. Nous savons que tout cela désigne le même, mais il n'est pas du tout inintéressant – il est même tout à fait nécessaire – d'entendre ce que les différents noms qui le désignent signifient à chaque fois, ici ou là, car c'est cela qui déploie l'intelligibilité de celui qui est ainsi désigné.

c) Le rapport Arkhê / Plérôme.

Le mot Arkhê dit précisément le rapport à la totalité, le rapport à tout. Et, par totalité, il faut entendre la totalité de la semence, c'est-à-dire des hommes en tant que semences du Père : ta panta, la totalité.

Il est donc Arkhê par rapport à tout ce qui émane de lui et qui sera appelé la plénitude (le Plérôme). Le mot plénitude se trouve d'abord sous la forme adjectivale : « 14plein de grâce et vérité ». Et grâce et vérité viennent par Jésus Christos parce que « 16de son Plérôme (de sa plénitude) nous avons tous reçu, grâce sur grâce ».

d) Versets 3b-4 : le rien et la Vie.

« Tout fut par lui ; hors de lui fut rien ; et ce qui fut 4en lui était vie », c'est comme cela, à mon avis, qu'il faut ponctuer. Les manuscrits ne ponctuent pas, donc il y a de grandes indécisions puisqu'il y a plusieurs façons de ponctuer cette phrase. Mais nous avons trois termes : être par lui, être hors de lui, être en lui. "Tout est par lui" : ici, le monde même peut être entendu d'une certaine manière, car tout fut par lui c'est-à-dire le dedans et le dehors,  c'est-à-dire la totalité en un sens strict. Et le rien : "hors de lui fut rien" ; ce rien est ce qui va être appelé ensuite la ténèbre, c'est-à-dire le principe d'extériorité, en entendant l'extériorité comme principe d'exclusion et de meurtre, car la ténèbre, chez Jean, signifie le meurtre.

« Ce qui fut en lui… hors de lui… » : apparaissent ici le dedans et le dehors. Il n'y a pas de dedans et de dehors, comme il n'y a pas de haut et de bas, avant l'apparition du Logos. Il n'y a pas de distinction de ténèbre et de lumière. De toute façon ténèbre et lumière, dedans et dehors, c'est la même chose ici : c'est la notion des “ténèbres extérieures”. « Et en Dieu tout est lumière, il n'y a pas de ténèbre en lui » (1 Jn 1, 5), la ténèbre est dehors. Ici il s'agit de la mauvaise ténèbre qui s'appelle espace de vacuité, espace de vide. En effet c'est le contraire du Plérôme, de la plénitude de l'accomplissement : il y a du vide qui s'introduit dans le Plérôme même.

« Ce qui fut en lui (le Logos) était vie. »Lavie, c'est Hawwâh (Eve), et ici nous ne sommes plus dans la relation de paternité, mais nous sommes dans la relation de couple qui est le deuxième deux. Logos et Vie est le deuxième couple du Plérôme.

 « Ce qui fut en lui était vie, et la vie était la lumière des hommes ». Voilà un hendiadys. La vie qui s'oppose au meurtre, la lumière qui s'oppose chez nous à l'ignorance, ne parlent pas l'une sans l'autre : vie et lumière.

 e) La dénomination Homme.

« Et la vie était la lumière des hommes ». Ici sont nommés à la fois l'homme et donc implicitement la manifestation de l'Homme, c'est-à-dire le Fils de l'Homme qui est un autre titre de Jésus ; et le pluriel "les hommes". Fils de l'Homme c'est la manifestation de l'homme essentiel. Dans les dénominations que nous voyons ici : Jésus n'est pas un homme, il est l'Homme ; comme il n'est pas une vie, il est la Vie, et comme il n'est pas une parole parmi d'autres, il est la Parole, etc.

 « 5La lumière luit dans la ténèbre et la ténèbre ne l'a pas détenue. » Nous savons que la ténèbre est la puissance de mort, d'extériorité, d'exclusion. Jésus viendra s'affronter à la ténèbre qui règne sur ce monde. Mais la ténèbre ne le détiendra pas, c'est la Résurrection qui est indiquée ici dans le langage des premiers versets de la Genèse. Voyez ce genre d'interprétation : Lumière sera un des noms qui dira l'accomplissement total de la plénitude, du Plérôme, donc c'est un nom qui aura un statut particulier.

 « 14Le Logos fut chair » : ce n'est pas l'incarnation au sens additionnel d'une nature humaine et d'une nature divine qui est envisagée ici, c'est la manifestation de ce qui, à nos yeux, est faiblesse mais qui, étant faiblesse acquiescée, change le sens de la faiblesse. Le mot sarx (chair) est toujours commenté chez Paul par asthénéïa, la faiblesse, c'est-à-dire le fait d'être mortel et meurtrier, dans un état d'assujettissement à la mort et au meurtre ; mais dans ce verset "chair" n'a pas ce sens paulinien. Ce qui fait la différence c'est que le Christ vient bien au meurtre et à la mort, mais il n'est assujetti ni à être meurtrier ni à être mortel : il y vient librement – “entrant librement …” – ce qui renverse le sens du mot de chair dans l'usage qui peut en être fait à propos du Christ ; autrement dit ce qui est pour nous servitude (la servitude d'avoir à mourir et d'être assujetti à être meurtrier de quelque manière), cela n'est pas, pour le Christ, son mode d'être à la chair ; il est à la chair librement et c'est un point capital.

La plupart des points que je souligne ici, pourront donner lieu à des déviances au cours du second siècle, mais auparavant ils sont dans une vérité plus profonde que celle que nous professons. Donc il faut à la fois les entendre là et éviter les déviances.

« Et il a habité en nous, et nous avons contemplé sa gloire – c'est-à-dire sa dimension de Résurrection – gloire où il se manifeste comme Monogénês (Fils un et unifiant) d'auprès du Père, plein de grâce et vérité ».

Le mot vérité ici est d'une richesse de sens incroyable. Vérité est la parèdre de l'Arkhê qui est aussi le Monogénês (Fils un), comme la Grâce est la parèdre de l'Abîme (du Père). Grâce et Vérité sont les correspondants féminins des deux premiers noms Père et Fils. “Grâce et Vérité”, il faut entendre ceci comme un hendiadys (c'en est un). Grâce correspond au Père, Vérité au Fils, mais en même temps Jésus dit “Je” au sujet de tout.

 « 16Et de ce Plêrôma (de cette plénitude), nous avons tous reçu ». Ici, "nous avons tous reçu", c'est lorsque nous ne sommes plus dans le champ des deux deux ; nous sommes désormais dans le champ du rapport de l'un et des multiples, des dispersés, donc des multiples semences.

 

IV – la lecture valentinienne et notre propre lecture

 

a) Lire les gnostiques.

Je vous signale que vous pouvez essayer de lire les gnostiques[9], jamais vous ne trouverez ce que je dis. Personne ne sait lire les gnostiques. C'est très difficile d'accès, j'y ai passé ma vie, ce qui me permet de dire des choses. Il y a des gens plus savants que moi d'un point de vue érudit sur ce sujet, mais les érudits ne se soucient pas d'entrer dans l'intelligibilité, ils racontent ce qu'ils lisent comme des choses curieuses, un point c'est tout. Mais moi je vis de cela.

Or, si nous voulons pénétrer dans l'écriture gnostique, nous avons à faire un travail considérable car tout ce qui est dit dans le gnosticisme n'a pas son lieu d'accueil en nous tels que nous sommes préfigurés par notre culture. Il y a là une véritable expérience qui est nécessaire, car il ne s'agit plus de se documenter sur les gnostiques ou d'argumenter historico-critiquement sur eux ; il s'agit d'expérimenter dans quelle mesure une pensée aussi étrange et étrangère est susceptible de nous atteindre, pour autant que nous soyons capables de faire l'épokhê (marquer un temps d'arrêt), de mettre entre parenthèses les choses qui parlent apparemment en nous, et sont souvent pour nous les plus évidentes pour la pensée. Je me fais comprendre ? Parce que ce point-là est capital.

► Vous dites que c'est une approche très différente, est-ce que vous pourriez en dire plus ?

J-M M : Si vous voulez. Voici un exemple à propos d’autre chose. Je lisais un petit bouquin intitulé Les trois Upanisads. Je ne suis pas du tout spécialiste de cela. Il s’agit, pour moi, d’une information historique Mais je me suis aperçu que les commentateurs, qui sont pourtant des gens apparemment pertinents, expliquent qu'il faut entendre ceci de façon subjective et non pas objective. C'est absolument invraisemblable qu'on puisse dire cela. La distinction subjectif / objectif, telle que nous la connaissons et telle qu'elle fonctionne, date du XIVe - XVe siècle. Autrement dit, voilà une structure d'accueil tout à fait inappropriée pour accueillir une pensée totalement étrangère à notre moment de culture.

Pour vous donner un exemple de cette structure de pensée, voici un extrait de la grande Notice valentinienne de Ptolémée rapportée dans les Extraits de Théodote de Clément d'Alexandrie.

« Lorsque Sagesse… – il s'agit de la deuxième sagesse qui a été jetée hors du Plérôme. Elle est ici plus ou moins assimilée au pneuma fluctuant sur les eaux de la Genèse, et représente donc encore un état d'incertitude du pneuma avant l'apparition de la lumière. – lorsque Sagesse l'aperçut, semblable à la lumière (phôs) qui l'avait abandonnée, elle le reconnut, courut vers lui, fut remplie d'allégresse et l'adora. […] Aussitôt le Sauveur lui conféra la formation (morphôsis) selon la gnôsis (la connaissance) morphôsis est un terme qui vaut en soi à la fois dans le langage cosmologique et dans le langage anthropologique, se former et être formé – et la guérison de ses passions (ses pathôn, ses errements), lui montrant à partir du Père inengendré les êtres qui constituent la plénitude (le Plérôme). » (C, 44, 1, Sources chrétiennes 23, p.155). On trouve dans ce texte la parution de la lumière qui explicitement guérit sagesse, la guérit de ses passions, de son désordre, de ses errances, de ses erreurs, et la constitue achevée et parfaite.

C'est l'expérience spirituelle qui est décrite ici, l'expérience du gnostique, et elle est décrite précisément dans le contexte d'un commentaire des premiers versets de la Genèse comme décrivant l'expérience mystique.

b) L'égalisation des éons ; conséquence pour notre propre lecture.

Toutes les dénominations sont d'abord considérées fragmentairement : elles sont considérées sans leur conjoint, ce qui veut dire en même temps sans le rapport à la totalité. Au fond ces dénominations sont des fragments du nom de Dieu. Or ces dénominations fragmentaires restent fragmentaires sauf lorsqu'elles sont instruites par le Christos et le Pneuma. Lorsque chaque dénomination, c'est-à-dire chaque éon, est avec sa compagne, il arrive à la plénitude de sa signification, et quand chacun est à la plénitude de sa signification, ils s'égalisent : c'est l'égalisation des éons (des dénominations).

Cela veut dire que les dénominations chez Jean peuvent être prises au départ de façon fragmentaire. Quand Jésus dit : «Je suis la lumière» c'est dans un contexte d'aveuglement ; quand il dit «Je suis le pain» c'est dans un épisode de nutrition… Ces multiples dénominations sont fragmentaires, elles sont des entrées partielles. Mais si j'allais à l'intelligence pleine de l'une des entrées, j'aurais tout et non pas simplement le partiel, c'est-à-dire que chacune de ces entrées est le chemin plein vers l'indicible, vers la totalité.

Ce sont les Valentiniens qui m'ont donné la chose que j'enseigne le plus couramment aux catéchètes, parce qu'ils ont indiqués pour moi quelque chose qui était à lire dans l'Évangile.

J'ai participé jadis à l'élaboration d'un parcours de catéchèse de 6ème-- 5ème à partir de l'évangile de Jean. Il s'appelait : «Avec saint Jean, dans sa route», et il avait fallu choisir des épisodes. La question était : est-ce qu'on a bien tout ou est-ce qu'on ne manque pas quelque chose, est-ce qu'on a une totalité suffisante ? Mais oui la totalité de l'Évangile est dans chacun des épisodes s'il est mené au plus profond de lui-même ; ça c'est l'égalisation des dénominations.

Jean est construit ainsi : il y a des aspects christiques (des dénominations du Christ) et à chaque dénomination correspond un verbe d'accueil. À la dénomination «Je suis le pain» correspond le verbe "manger" : «Si quelqu'un mange de ce pain il vivra éternellement» ; à la dénomination de la lumière correspond le verbe "voir" et le verbe "marcher dans la lumière" ; à la dénomination de vie correspond "se relever", "vivre" et le mot de vie (zoê) chez Jean signifie toujours résurrection. Donc nous avons une dénomination à quoi correspond un verbe de recueil, et le verbe de recueil est mis en épisodes dans la multiplication des pains, dans la guérison de l'aveugle-né, dans la résurrection de Lazare. Et c'est dans la résurrection de Lazare que vous avez : «Je suis la vie et la résurrection» ; c'est dans le récit qui suit la multiplication des pains que vous avez : «Je suis le pain de la vie» et c'est dans l'aveugle-né au chapitre 9 que vous avez : «Je suis la lumière du monde». Autrement dit la bonne façon d'aborder un épisode évangélique c'est de vouloir entendre le tout de l'Évangile dans cet épisode, donc c'est de lire l'épisode dans sa grande dimension, dans sa grandeur, dans sa plénitude : la totalité se dit là. Alors le souci : «Est-ce qu'on a bien tout dit ?», n'a pas lieu d'être.

Voilà un petit exemple des conséquences pratiques qui résultent de l'observation d'un rapport entre le « Je suis », le verbe correspondant, et la mise en œuvre du verbe dans un épisode. C'est une certaine lecture des Valentiniens qui m'a tourné le regard vers cela.

c) Conséquence pour l'anthropologie et la christologie.

► Ça ressemble à la discussion que nous avons eue dans notre groupe sur «Comment décrire la réalité ?» car on n'en voit qu'un aspect…

J-M M : Il y a de cela, et puis surtout, pour nous, la réalité nous la posons préférentiellement dans le sujet consistant à qui il arrive des choses. C'est notre lieu, le sujet. Ici ce sont les dénominations comme lieu de vérité. C'est d'ailleurs ce qui fait notre difficulté quand Jésus dit : «Je suis la porte», «Je suis le berger» – encore que le berger, ça va, mais la porte ?

Et « Je suis le pain » justement, c'est très intéressant parce que le pain n'est justement pas du pain, de même que s'il y a un seul commandement, le commandement n'est pas formellement un commandement, n'est pas à prendre sur le mode d'un commandement parmi les commandements. C'est très important et c'est plus concret et plus vrai que ce que nous réputons habituellement être concret et réel.

La table des dénominations est donc une tentative de nous approprier les dénominations que nous rencontrons en leur reconnaissant leur lieu de signification qui est, "en petit", cette table. Justement dans le petit il faut lire le grand, et c'est à faire pour chaque épisode de Jean.

Dans le Baptême de Jésus se trouve la totalité de l'Évangile comme résurrection et comme déclaration («Tu es mon Fils») et ça c'est le grand. Donc voir le grand dans le petit.

Quel est le lieu du récit du Prologue ? C'est le Baptême. Et le Baptême est une anecdote qui n'est plus une anecdote en tant que la totalité est dans ce lieu.

Encore une fois, cette table des dénominations est la tentative de rendre conscientes et d'articuler les capacités d'accueil de ce qui vient, au lieu de laisser venir une parole de façon sauvage dans nos capacités d'accueil. Toute lecture présuppose une table d'accueil. Il y a les lectures qui le savent et les lectures qui ne le savent pas.

La constitution des sephirot dans la lecture kabbalistique se réfère à quelque chose de semblable. Elle est différente, elle est dans une articulation autre. Elle a des ressources qui lui sont propres, mais c'est aussi la tentative de proposer une topographie de la réception, de se constituer en topographie d'écoute. J'aurais aimé parler des sephirot mais nous n'avons pas le temps car tout est à recommencer.

d) Le Logos est « plein de Grâce et Vérité ».

► Vous avez dit que Grâce et Vérité étaient deux dénominations, est-ce que ça peut éclairer la phrase du Prologue où le Logos est dit « plein de grâce et vérité » ?

J-M M : Grâce et Vérité peuvent être prises ici comme le résumé d'un certain nombre de dénominations que nous avons rencontrées et qui sont dites de ce Logos. Il s'ensuit que le Logos serait plein de ces dénominations. En effet nous avons vu que les éléments féminins sont toujours des éléments emplissant et diffusifs. C'est pour cela que Jean choisit des éléments féminins pour désigner ce dont est plein le Monogène, et il choisit les deux premiers, ceux qui sont en tête selon les Valentiniens, à savoir grâce et vérité ; mais c'est le résumé de la totalité des dénominations en tant qu'elles sont partageables, en tant qu'elles sont diffusives.

Sur le terme de plénitude (« plein de ») il faudrait dire beaucoup de choses car la plénitude et le Baptême sont très liés. Mais je n'en dis pas plus.

Donc le Christ est plein de ces dénominations et par ailleurs, au fond, plein de tous les dons, puisque les dénominations du Christ sont ce par quoi nous accédons à lui, ce par quoi il se donne à atteindre.

Or apparemment il y a une petite difficulté, intéressante parce que c'est en fait une richesse. Il est plein des dénominations et il est Fils un (Monogénês). Donc on pourrait dire qu'il est « un et plein » et penser à la grande thématique de l'unité et des multiples qui est reprise par saint Paul, qui a aussi des conséquences de type stoïcien : l'unité et la multiplicité (ou la totalité), totalité qui est le Plérôme, la plénitude.

Ici il semble y avoir une difficulté puisque nous avions dit qu'il était "un" non pas par rapport aux dénominations mais par rapport aux multiples enfants dispersés que nous sommes. Et vous pourriez me dire qu'il faut choisir entre les deux. Je crois que tout l'intérêt est de ne pas choisir, et d'apprendre progressivement que les dénominations ne sont pas tellement autres choses que les hommes mêmes qui accèdent à proférer ces dénominations. Nous aurons fait un grand pas le jour où nous aurons aperçu que c'est la même réponse, c'est-à-dire qu'il n'y a pas de dénomination qui ne soit dans une bouche (donc dite par un homme), et que par suite l'histoire des dénominations c'est déjà l'histoire de l'humanité, c'est-à-dire que c'est déjà l'être-à-Dieu qui est en question.

e) Les Valentiniens, des hérétiques ?

► Cette lecture que font les gnostiques est-elle hérétique ?

J-M M : Ce que j'ai décrit n'est pas hérétique mais il y a plusieurs aspects de ce qu'ils disent qui sont devenus hérétiques par la suite. Je vais vous donner un exemple.

 De très bonne heure ces gens distinguent ce qui est d'essence pneumatique, ce qui est d'essence hylique c'est-à-dire matériel, et ce qui est d'essence psychique qui est intermédiaire entre le matériel et le pneumatique, et ils considèrent qu'il n'y a pas de passage du matériel au pneumatique. Or c'est aussi la lecture de Jean : vous ne lisez pas Jean si vous ne lisez pas que ce qui est pneumatique est de toujours pneumatique et restera pneumatique, et que ce qui est matériel est de toujours matériel et le restera. C'est la structure d'écriture. Seulement les Valentiniens, de très bonne heure, en lisant mal « ceux qui… et ceux qui… » se mettent à dire qu'il y a trois catégories d'hommes : il y a des hommes qui sont à jamais sauvés quoi qu'ils fassent parce qu'ils sont pneumatiques, des hommes à jamais perdus quoi qu'ils fassent puisqu'ils sont d'origine hylique (matérielle), et puis d'autres qui sont psychiques qui peuvent à la rigueur se tourner du côté du pneumatique etc.. Cette répartition est quelque chose que l'Église ne peut pas reconnaître.

Nous avons dit que c'était la structure d'écriture de Jean, seulement, nous avons dit aussi qu'il faut lire Jean attentivement. Parce que pour Jean ou par exemple pour l'Évangile de la vérité, il n'y a que deux catégories. La mention de la troisième (le psychique) est comme une sorte de concession qui a été tentée par nos gnostiques pour se réconcilier avec l'Église, très probablement. Il y a deux catégories irréductiblement (on ne passe pas de l'une à l'autre), mais « ceux qui…» et « ceux qui… » nous l'avons dit, ne répartit pas des individus ; il faut entendre  « cela de pneumatique à quoi tout individu participe, c'est-à-dire la christité qui est en tout individu », et « cela de meurtrier et de mortel qui est aussi en tout individu ». Le discernement ultime, le jugement dernier, ne se fait pas entre toi et moi, mais entre moi et moi.

Il faut continuer à lire Jean à partir de cela, car il a un discours dans lequel on ne passe pas de l'hylique au pneumatique, ce que les gnostiques reconnaissent et c'est leur mérite, mais ils l'entendent mal parce qu'ils commencent à avoir la conception occidentale de l'individu comme clos, comme atomos, et du même coup ils ont une oreille occidentale : ils continuent à dire la formule qui a sens dans la perspective johannique, mais ils commencent à la tordre, à la comprendre de façon tordue. Donc leur éjection était inévitable.

C'est un exemple pour répondre à la question que vous posiez de pourquoi ils sont hérétiques, et il y aurait d'autres choses. Mais leur mode de lecture est le plus proche de celui qui s'impose à l'approche de l'évangile de Jean. C'est à ce titre-là que je les considère comme très profitables.

Ce que disent les Valentiniens est un ensemble dont les articulations dernières, mythiques, ont été plus ou moins récusées au cours du IIe siècle. Seulement les hérésies ont un double défaut et éventuellement une qualité. Elles ont un double défaut, parce que, bien sûr, elles sont des erreurs, mais surtout parce que la condamnation faite par la dogmatique ne reconduit pas à la vérité de ce qui était en question. Autrement dit, le plus grave danger d'une erreur est de boucher quelque chose qui demandait à vivre, qui était susceptible de développement. Et d'autre part la qualité des hérésies est d'indiquer un point qui est à méditer. Chaque hérésie est l'indice de quelque chose qui a été manqué, à la fois par l'hérétique, et par la dogmatique qui corrige l'hérésie. Non pas au même titre mais à la fois.

f) Lien avec les contes.

► J'ai pris un conte d'Andersen hier soir et il raconte la même chose que votre Sophie jetée dans les ténèbres qui a un désir de conversion vers le Plérôme. Il s'agit d'une jeune fille qui utilise du pain pour marcher dessus afin de ne pas se salir en marchant dans un marécage. Elle s'enfonce, elle est tirée en bas…

J-M M : Vous savez que les contes sont généralement un travail pour une part savante, et aussi pour une part populaire, à partir de grands motifs symboliques fondamentaux. Les contes n'ont pas la valeur des grands mythes parce qu'on y met plus de liberté et plus d'inventions, de trouvailles, mais ils dérivent des grands mythes fondamentaux bien sûr.

 

En guise de conclusion.

J'ai voulu ici indiquer un espace. Cette lecture peut nous apparaître pour une part mythique, mais à vrai dire le muthos (mythe) est justement cela : le silence qui rend possible la parole. Muthos a la même racine que muet. Ceci est une indication du mode sur lequel nous pouvons nous mettre à la lecture de Jean. À ce titre, seule la lecture des gnostiques me l'a appris.

Je termine là l'indication vers cet espace fréquenté par les premiers gnostiques.

arbre généalogique de la gnose chrétienne

Légende  (les mots avant, après, etc.  ne sont pas à entendre au sens de notre chronologie):

1°) A gauche les noms masculins, à droite les noms féminins (Silence est un nom féminin). Dans chaque couple (syzygie) ils sont “un”, par exemple le Logos peut dire "je suis la Vie".

2°) De chaque couple émane le couple suivant. L'émanation de Christos / Pneuma survient après, c'est pourquoi il est mis en dessous.

3°) Abîme devient (en quelque sorte) le Père quand paraît le Monogène (le Fils). Abîme est appelé Pro-Père ou Pro-Principe ; saint Jean l'appelle Dieu (Théos), il correspond à l'insu.

4°) Le grand cercle correspond au Plérôme qui est la plénitude des dénominations :

5°) Dans l'Ancien Testament Dieu (Théos) a de nombreux noms : Hashem (le Nom), Hamaqom (Topos, le Lieu)… Et ici le Fils a de nombreux noms : Archê, Monogène, le Nom, le Logos, l'Anthropos (l'Homme), l'Intellect (Noùs), l'Angélos (l'Ange), Topos (le Lieu)... Il correspond au Monde qui vient (Olam Hazeh ou l'Aïôn qui vient) contre-distingué de ce monde-ci (Olam habah ou cet Aïôn dans lequel nous sommes). Le mot de Père convient aussi au Fils puisqu'il contient la totalité des Éons.

6°) Les éléments du Plérôme sont appelés : dénominations, noms (fragments du Nom), Éons (Aïônes, fragments de l'Aïôn qui vient), logoï (fragments du Logos) ; angeloï (fragments de l'Angelos) ; topoï (fragments du Topos)

7°) Le Plérôme contient 30 Éons, Sophia (la Sagesse, Hochma en hébreu) étant le dernier. Elle aura une fille, Sophie II, qui sera appelée Achamoth.

8°) Ce schéma n'est pas toujours constant, il y a des variantes possibles.

N B Cet arbre généalogique vise à servir de repère mais ne prétend pas à l'exactitude ! Ici c'est une version de juin 2014 faite par Christiane Marmèche et Colette Netzer.

 



[1] Il faut voir qu'on date l'évangile de Jean des années 100.

[2] Ces dénominations sont appelées des Éons. Pour faciliter la compréhension, J-M Martin garde le terme de dénomination. Cf l'arbre généalogique tout à la fin : le cercle dont parle ensuite J-M Martin est le début du tracé.

[3] « La compagne de l'Abîme, c'est le Silence et ceci précède l'apparition du Logos, mais le vrai Logos garde le silence en lui, car la parole n'exclut pas le silence : le silence et la parole ne sont pas des contraires, la parole authentique est gorgée de son silence propre. »

[4] On trouve beaucoup de choses concernant la table des dénominations dans Adversus Haereses (Contre les hérésies) d'Irénée (120-202),

[5] Pneuma est un mot neutre en grec, mais il traduit le mot rouah qui est féminin en hébreu, et donc il est considéré comme féminin.

[7] Dans le récit valentinien l'homme est issu de la semence de la Sophie jetée dehors, mais cette Sophie est en exil à l'extérieur du Plérôme, car elle est issue du Plérôme.

[8] Cette lecture a été faite à Saint-Bernard de Montparnasse en 2010.

[9] Par exemple on trouve sur internet Adversus Haereses d'Irénée où Irénée cite à sa façon ce que racontent les gnostiques : http://www.clerus.org/bibliaclerusonline/fr/index.htm.

 

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