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La christité
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  • Ce blog contient les conférences et sessions animées par Jean-Marie Martin. Prêtre, théologien et philosophe, il connaît en profondeur les œuvres de saint Jean, de saint Paul et des gnostiques chrétiens du IIe siècle qu’il a passé sa vie à méditer.
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1 avril 2014

CREDO et joie. Chapitre 5 : L'Esprit Saint

Après avoit vu les mentions du Père et du Fils, voici celles qui concernent l'Esprit-Saint dans les deux Credo de référence. Dans le Symbole des apôtres tout ce qui suit la mention de l'Esprit Saint a été ajouté pour des raisons dogmatiques. Il faut bien comprendre que « l'Église catholique, la communion des saints, etc. », cela déploie « Je crois à l'Esprit Saint » : comment comprendre que c'est la même chose ?

 

Chapitre  5 : L'Esprit Saint

 

Nous en venons à l'Esprit Saint : « Je crois en l'Esprit Saint… »

Baptême du Christ, évangéliaire de l'abbesse Hitda von Meschede, vers 1050Il est noté en troisième partie du Credo mais il était déjà présent dans ce qui précédait. J'ai essayé de vous montrer que tout est présent dans tout.

L'Esprit était présent à propos de la naissance virginale[1] – le problème du rapport de la Vierge et de l'Esprit est très intéressant –, de même qu'il était déjà présent dans le titre de Christos puisque ce titre signifie oint, c'est-à-dire empli d'Esprit (de pneuma). Pour les anciens l'Esprit de Dieu était réparti dans l'Ancien Testament de façon fragmentaire, successive, variable, et il se rassemble au Baptême du Christ, descend en plénitude sur le Christ et, par la Résurrection, se répand sur la totalité de l'humanité à partir du Christ. Voilà une structure de pensée qui est infiniment parlante pour apercevoir quelque chose du rapport entre le Christ et le Pneuma.

L'insufflation de l'Esprit à lieu chez Jean par exemple à la croix où le Christ "remet le souffle", Jean ne dit pas qu'il expire. Chez Luc ce sera au cinquantième jour, au jour de la Pentecôte où il descend. Mais pour Jean tout est dans tout. Ainsi à la croix il y a l'eau, le sang, et le pneuma. Et dans sa première lettre Jean explique que ce sont trois mais qu'ils sont un : le pneuma est souffle évidemment, mais aussi eau et sang.

Le pneuma est essentiellement dans la symbolique du fluide, du liquide, de ce qui se répand : il est versé, il emplit. Qu'il soit versé et emplisse en fait le symbole éminent de ce qui se donne : il est symbole du don[2], de la diffusion. C'est un emplissement qui est en même temps accomplissant puisque le grec a le même mot pour emplir et accomplir, ce qui existe encore un peu chez nous quand nous disons : J'ai rempli ma tâche, ou bien j'ai accompli ma tâche.

L'Esprit Sacré, le Souffle Sacré, l'Esprit Saint.

Dans les Credo l'Esprit est appelé Esprit Sacré (Pneuma Hagios). On traduit le mot hagios par saint mais le mot sacré serait meilleur. Ceci se réfère à un mot de Paul dans l'incipit de l'épître aux Romains : « Jésus déterminé Fils de Dieu de par la résurrection d'entre les morts dans un pneuma de consécration. » Que veut dire sacré ? C'est une chose qui est très éloignée, absentée probablement de notre pensée d'aujourd'hui. Toutes les tentatives pour définir le sacré sont dérisoires, elles ne touchent pas à ce qui est visé dans ce mot de l'Évangile. Je pense même qu'on ne peut pas donner une définition suffisante du sacré en général. Pour nous il faut nous demander à partir d'où le mot sacré prend sens dans l'Évangile. Et c'est à partir de la Résurrection. Tout prend sens à partir de la Résurrection. Même les mots les plus usuels, ceux que nous croyons connaître, reprennent un sens neuf, c'est-à-dire que les mots eux-mêmes ressuscitent, ils meurent à leur sens usuel pour pouvoir dire la nouveauté christique. La résurrection du vocabulaire est quelque chose de précieux et de difficile.

L'Esprit Sacré et l'Ekklêsia.

Dans cette dernière partie du Credo, l'Esprit Sacré va être mis en rapport avec ce qui fait couple avec lui, à savoir l'Ekklêsia, c'est-à-dire la diffusion dans la totalité de l'humanité. En effet dans la Bible il y a la grande thématique d’Israël épouse de Dieu. Elle vient du judaïsme et elle est reprise par saint Paul notamment dans la thématique de l'Ekklêsia épouse du Christos. Le rapport Christos-Ekklêsia comme rapport époux-épouse est développé dans l’épître aux Éphésiens, au chapitre 5 (21-33), dans ce passage qu'on lisait naguère aux messes de mariage. Mais c'est plus subtil que nous ne l'entendons à une oreille immédiate[3].

 « Je crois en l'Esprit Saint »

L'Esprit Saint est caractérisé, je le dis d'un mot, dans le Symbole des apôtres, mais il n'est pas caractérisé en lui-même. Il est davantage caractérisé dans le symbole de Nicée-Constantinople. En fait ce n'est pas tant le concile de Nicée lui-même que le concile de Constantinople, c'est-à-dire le concile suivant, qui a précisé les choses sur l'Esprit Saint. En effet le concile de Nicée est un concile trinitaire, mais il concerne surtout le rapport du Père et du Fils. Or après le concile de Nicée ont surgi les pneumatomaques, c'est-à-dire des adversaires de la divinité de l'Esprit Saint dont il n'avait pas été question dans les grands débats antérieurs. Donc c'est là qu'il y a un nouveau débat et le concile de Constantinople se donne pour tâche de traiter de l'Esprit Saint. Nous en avons des échos ici.

 

I – Ce que dit le Symbole de Nicée-Constantinople

 

« Il est Seigneur » car il a le titre de Seigneur au même titre que le Père et que le Fils.

« Il donne la vie ». Cela lui est en un certain sens spécifique, mais c'est une expression qui se trouve en 1Cor 15 : « le pneuma est zôopoioun », il est vivifiant, donateur de vie. La psyché reçoit la vie, la psyché est vivifiée, mais le pneuma est ce qui donne la vie, qui donne de vivre. Ce serait à méditer. Mais donner la vie, c'est la fonction créatrice dans le grand sens du terme, la fonction vivificatrice. Si vous voulez étudier la création chez saint Jean, il faudrait lire le chapitre 6 du Pain de la vie où la création est essentiellement "tenir en vie". C'est le Christos qui est l'aliment de la véritable vie[4].

 « Il procède du Père et du Fils », l'expression est tirée du chapitre 14 de saint Jean : « Je vous enverrai d'auprès du Père l'Esprit de vérité qui procède du Père » (v.26).

On a ici « Il procède du Père et du Fils », le « et du Fils » (filioque) a été ajouté surtout par les Églises occidentales, il n'est pas dans le Symbole de Nicée-Constantinople à l'origine. Il y a eu un débat très important à propos du filioque aux VIIe et VIIIe siècles. On ne va pas du tout entrer dans cette question.

Simplement il est important de noter que, dans la circulation interne (la circumincession interne) du Père, du Fils et de l'Esprit, l'Esprit est à égalité avec le Père et le Fils. Il faut distinguer Père, Fils et Esprit, mais ne jamais oublier qu'ils ne sont jamais séparés. Quand le Père envoie le Fils, il vient avec : « Si quelqu'un m'aime il gardera ma parole, et mon Père l'aimera, et nous viendrons auprès de lui, et nous ferons notre demeure auprès de lui» (Jn 14, 23).

 « Avec le Père et le Fils il reçoit même adoration et même gloire ». Donc égalité d'attitude, tant par rapport à l'Esprit que par rapport au Père et au Fils.

Dans l'évangile de Jean on trouve une mention de cet ordre, mais à propos du Père et du Fils : « Tous honorent le Fils comme ils honorent le Père » (Jn 5, 23). C'est une façon de dire l'égalité beaucoup plus intéressante que celle du concile de Nicée puisque ce concile a utilisé le terme homoousios pour dire le rapport du Fils au Père, alors que ousia n'est pas un mot de l'Écriture.

« Il a parlé par les prophètes ». Ceci répond à une autre question. Dans les débats de l'époque, et depuis le IIe siècle, certains étaient très négatifs par rapport à l'Ancien Testament, et prétendaient que l'Esprit Saint, qui a parlé par les prophètes, n'était pas l'Esprit de Jésus-Christ mais l'esprit d'un dieu inférieur, d'un dieu démiurge. Nous n'avons pas dit que Dieu n'était pas démiurge (créateur), nous avons dit que cette intitulation était secondaire par rapport aux deux autres, ce qui n'est pas la même chose. Or l'Église a toujours tenu que le créateur et le sauveur étaient le même Dieu. Donc ici c'est une réponse à cette attitude négative qui suppose que le pneuma de l'Ancien Testament n'est pas le pneuma répandu par Jésus Christ.

Ce qui précède n'appartient pas à la première forme du Credo, celle que nous avons dans le Symbole des apôtres. C'est ajouté au même titre que « engendré non pas créé etc. » qui vient des conciles de Nicée et Constantinople, et qui est l'objet d'un débat théologique entre les Églises.

 

II – Ce que dit le Symbole des apôtres

 

« Je crois à l'Esprit Saint, à la sainte Église catholique, à la communion des saints, à la rémission des péchés, à la résurrection de la chair, à la vie éternelle » (SA).

Tout ce qui suit la mention de l'Esprit Saint a été ajouté pour des raisons dogmatiques. Il faut bien comprendre que « l'Église catholique, la communion des saints, etc. », cela déploie « Je crois à l'Esprit Saint », ce ne sont pas des choses surajoutées ou en plus de la Trinité. L'Esprit Saint est le déploiement de la Résurrection sur l'humanité, autrement dit la constitution de l'humanité en Ekklêsia (humanité convoquée).

Reprenons les cinq mentions.

1°) La sainte Église catholique.

L'Église est appelée ici sainte et catholique (c'est-à-dire universelle). Elle est sainte (ou sacrée) en tant qu'elle reçoit l'Esprit Saint, et ceci concerne l'Église universelle, c'est-à-dire la convocation de tous les hommes. Ce qui est effectivement sacré en plénitude c'est l'Ekklêsia, c'est-à-dire l'humanité entière convoquée en tant qu'elle répondra (ou qu'elle répond) d'une façon ou d'une autre à la convocation. L'Esprit Saint, c'est la Résurrection répandue sur l'humanité. L'humanité en tant qu'elle reçoit l'Esprit Saint, c'est l'Ekklêsia dans le grand sens du terme.

Il ne s'agit pas ici de croire à l'Esprit Saint et puis d'autre part à la "sainte Église". Il s'agit de l'humanité entière convoquée dont l'Église de Pierre est le sacrement comme Vatican II l'a bien dit : elle est le signe qui a pour tâche de faire voir ce que peut être l'humanité convoquée, et l'instrument qui a pour tâche aussi de faire venir (advenir) la convocation effective de la totalité de l'humanité[5].

 Le mot Ekklêsia est un mot de saint Paul, saint Jean utilise plutôt le mot koïnônia. Il faut entendre Ekklêsia à partir d'où il parle c'est-à-dire à partir de klêsis, l'appel, à partir de la vocation, de la convocation de l'humanité. Ce moment s'exprime symboliquement dans la délibération : « Faisons l'homme à notre image » (Gn 1, 26)[6]. Voilà la convocation, voilà l'invocation qui est toujours convocation. Il faut toujours bien préciser que Klêsis et Ekklêsia ne sont pas deux choses, autrement dit qu'il n'y a pas un acte par lequel Dieu appelle l'individu, puis un acte par lequel il l'invite ensuite à se rassembler.

2°) La communion des saints.

Le mot Ekklêsia se trouve en abondance chez saint Paul et le mot koïnônia est un mot johannique (« Ce que nous avons entendu, nous vous l'annonçons à vous aussi pour que vous ayez koïnônia avec nous » 1Jn 1, 3). Et les saints ne sont pas les saints du calendrier, ce sont tous les chrétiens, ce sont les christiques, tous ceux qui sont oints dans l'Esprit Saint, et donc par-là consacrés, et plus largement tous ceux qui ont vocation à l'être, qui ont étincelle (semence) intérieure à être cela. Les saints sont donc ici des croyants, potentiellement ceux qui croiront, et rétrospectivement ceux qui ont cru. Ça inclut donc ceux qui sont dans l'Église du ciel, l'Église de la terre et l'Église du purgatoire (le purgatoire appartient à une tentative de répartition qui n'appartient pas à la première prédication chrétienne, c'est une notion tardive qui apparaît au cours du Moyen Âge). Dans la notion de communion des saints se trouve sans doute indiquée une sorte de communication subtile de l'insu de tous les hommes en référence à la foi. Aucun homme n'est clos complètement en lui-même, c'est ce qui rend possible que le Christ achève l'œuvre au fond de l'humanité, pour l'humanité, c'est-à-dire en deçà de la conscience claire de l'humanité. Et cette circulation-là peut donner place justement au « prier pour », à une communication subtile que nous ne connaissons pas de tous ceux qui croient.

L'Église et la communion des saints : les deux ne sont pas exactement superposables[7],  leurs figures ne sont pas exactement la même, cependant ces ensembles communiants (ou communicatifs) de l'humanité sont à chaque fois l'attestation que l'humanité n'est pas simplement une addition ou un agrégat d'individus clos en eux-mêmes. Bien plus il y a une circulation subtile qui n'est pas simplement la communication habituelle par la parole entendue, par le geste de donation, par l'échange de la monnaie, par tout ce qui relève de la communication ; c'est une communication intérieure, une communication subtile, une pendance, une interdépendance radicale. On a dit souvent qu'on mettait au compte de l'Évangile d'avoir introduit dans la culture occidentale le sens du moi et de la personne humaine. Mais là il s'agit d'un processus occidental qui a des aspects fort dommageables : lorsqu'on gagne dans l'usage externe de la liberté individuelle, on perd de la solidarité qui donne place à chacun. La liberté est bonne, la solidarité est bonne aussi. Elles sont diversement accentuées dans les différentes cultures. Autrefois, dans les villages, tout le monde avait sa place, même l'idiot. Aujourd'hui personne n'a plus de place.

Il y aurait beaucoup de choses à dire à propos de la communion des saints. Mais quand l'Église se définit extérieurement comme société, elle ne définit pas le cœur de son identité. Elle n'est pas une societas sur le mode des societas qui sont régies par le droit romain (ou d'autres droits, mais c'est le droit romain qui a régi initialement nos sociétés) ; la societas est une unité culturelle pour être ensemble, mais l'Évangile n'est pas une unité culturelle ; l'Église est une unité annoncée à toutes les cultures et qui dénonce la suffisance de toutes les cultures.

Donc la véritable identité est circulatoire puisque je suis d'autant plus moi que je suis plus ouvert à. La véritable identité n'est pas adéquatement présentée par le concept de société. Les historiens se sont servis de ce concept au cours des siècles parce qu'il était utile à l'Église pour dialoguer avec une société régie par le concept de societas. Cela lui permettait dese faire une place au milieu des sociétés, dans l'histoire, mais cette opportunité ne définit pas fondamentalement l'unité ecclésiale.

Je voudrais insister sur ce point : l'Ekklêsia, la koïnônia, sont l'une et l'autre le déploiement par l'Esprit Saint de la dynamique de résurrection. Quand Paul dit : « Il est mort pour nos péchés », c'est cela. Le péché nous concerne nous et l'humanité tout entière. Sa mort n'est pas une mort singulière pour lui, c'est l'ouverture d'un espace de communication qui est l'Ekklêsia universelle, la communion (l'être ensemble) des saints (des consacrés), tout autre chose qu'une societas.

Il faut bien voir également que l'Église est une bande de pêcheurs… non, de pécheurs ! C'est une assemblée de saints au sens de consacrés mais ce n'est pas une assemblée de saints au sens moral du terme. Autrement dit les pécheurs peuvent faire partie de l'Église, Dieu merci, je pense même qu'il n'y en a pas qui ne soient pécheurs. C'est même un dogme. Vous apprenez ça dans le Traité de la grâce (je l'ai longtemps enseigné). À plusieurs reprises il y a eu des tentatives de constitution de l'Église en groupe de purs, et cela a toujours été récusé. Et même « Notre père, pardonne-nous nos offenses » doit être dit par tout chrétien, même par ceux qui seraient éminemment saints.

3°) La rémission des péchés.

« La rémission des péchés » est donc annoncée ; en effet ce qui empêche la communication interne de la koïnônia c'est la déchirure, déchirure de l'homme en lui-même et de l'homme d'avec l'homme : le péché, le désajustement (adikia) c'est essentiellement cela. La levée du péché c'est la même chose que la restitution d'une communication[8].

► Le mot péché est très gênant pour nous aujourd'hui.

J-M M : Pour traduire le mot grec hamartia,  je garde à dessein le mot de péché provisoirement parce qu'il dit tout autre chose que ce que dit le manque, la déficience, la transgression, la faute, l'erreur, toutes ces choses qu'on pourrait essayer de lui substituer. En effet le péché (hamartia) au sens biblique du terme ne se pense pas à partir de l'idée de transgression, et encore moins à partir du sentiment de culpabilité. Le péché est la condition de possibilité d'émergence du plus haut don qui est le pardon. Autrement dit, le péché dans l'Écriture est pensé comme condition du pardon, donc comme condition du plus haut, ce qui n'est pas contenu dans les termes de faute, erreur, transgression, qui sont plus anodins. Le péché est un mot qui n'a de sens que dans la lumière du pardon. Parler du péché pour convaincre quelqu'un d'être pécheur ou pour condamner le pécheur, parler du péché dans cette perspective, est un redoublement du péché. Le péché n'a son sens authentique que lorsqu'il est entendu dans sa relation au pardon, comme condition du pardon.

C'est la dimension du pardon qui révèle la dimension de ce que Jean appelle « le péché du monde » : « Voici l'agneau de Dieu qui lève le péché du monde » est une phrase majeure, avec la connotation sacrificielle qui pour nous, parle mal. En effet, ce que peut signifier un sacrifice dans les cultures ou les religions nous est tout à fait étranger, et en plus ce mot n'a pas le même sens dans l'Évangile et dans ce qu'on peut relever des différentes religions, alors que l'agneau de Dieu, finalement, c'est la révélation que le monde a été renversé. En effet, dans le monde normal, le berger se nourrit de la chair de ses brebis, alors que le bon Berger donne sa vie pour ses brebis. C'est lui, le bon Berger, qui est à la place de l'agneau.

Le mot de péché est un mot proprement christique, c'est pour cela que, si on ne peut pas continuer à le prononcer parce qu'il ne signifie rien pour nos contemporains, il faut garder sa place, on ne peut pas le remplacer par les autres mots.

► Que signifie que le péché est la condition du pardon ?

J-M M : Cela veut dire que je ne peux penser ce que veut dire péché que dans la lumière du pardon. Si je le pense autrement je deviens, soit un législateur, soit un moralisateur. Éventuellement le péché peut avoir partie liée chez nous avec des déficiences qui ne sont pas nécessairement peccamineuses au sens strict du terme, choses qui relèveraient d'une thérapie, ou sont liées au comportement humain pré-christique (en deçà de la relation christique). Mais la christité ouvre en l'homme un espace neuf, une dimension neuve, et c'est souvent les mots les plus durs à nos oreilles qui sont les plus précieux, cependant on ne comprend pas le plus précieux de l'Évangile. C'est pour ça qu'il ne faut pas les rayer tout de suite, il faut longuement les méditer pour pouvoir éventuellement trouver des locutions, des expressions qui font signe vers ce qui est désigné par-là, mais la place de ces mots-là est essentielle à garder pour notre méditation, pour notre travail.

4°) La résurrection de la chair.

« La résurrection de la chair » vient ici pour dire que la résurrection du Christ n'est pas une résurrection qui le concerne lui simplement, mais que c'est une résurrection pour la totalité de l'humanité. Et l'Esprit Saint étant le déploiement sur l'humanité de la résurrection christique, la résurrection de la chair qui nous concerne est commémorée ici sous le troisième terme du ternaire qui est l'Esprit Saint.

► Comment entendre le mot de "chair" dans l'expression "résurrection de la chair" ?

J-M M : Si le mot de chair est entendu au sens le plus courant qu'il a chez Paul, bien sûr qu'on ne peut pas entendre cette expression « résurrection de la chair » puisque explicitement, pour Paul, « La chair ne peut hériter le royaume de Dieu » (1 Cor 15, 50). Mais saint Jean a une façon double de traiter la chair (saint Paul aussi d'ailleurs mais c'est plus évident chez saint Jean) puisqu'au v.13 du Prologue de son évangile, il s'agit de récuser « ceux qui sont nés de la chair et du sang » au sens paulinien le plus courant alors qu'au v.14, nous avons « le Verbe fut chair » : évidemment il n'est pas chair en ce sens paulinien. Donc de toute façon ce n'est pas un retour à ce que nous appelons la chair, soit qu'on parle de chair au point de vue physiologique, soit qu'on en parle au point de vue psychologique ou phénoménologique. Nous avons dit que le mot de chair avait deux sens chez Jean ; ces deux sens ont en commun (comme chez saint Paul) de désigner la faiblesse : 1) dans un premier sens la chair désigne la faiblesse (asthénéia) comme impliquant la servitude de l'avoir à mourir et d'être meurtrier ; 2) dans son transfert de sens, lorsqu'il s'agit du Christ, la chair continue de désigner la mort, non pas comme servitude mais comme librement acquiescée (nous disons dans nos célébrations « Entrant librement dans sa passion »), ce qui change le sens de la chair, donc de la mort, et ce qui n'inclut pas le péché. Asthénéia (la faiblesse) est un nom du péché également. Or Jésus n'est pas à tous égards un homme comme nous c'est-à-dire qu'il ne meurt pas comme nous et qu'il ne pèche pas.

Ce que je viens de dire est facile à lire chez saint Jean ou chez saint Paul parce qu'il y a des contextes. Dans les Credo il n'y a pas de contexte qui l'explique. Cependant toutes les formules des Credo sont puisées à l'Écriture, donc nous sommes invités à les penser à partir de l'Écriture.

« J'attends la résurrection des morts », dans le Credo de Nicée-Constantinople, ça désigne la même chose. Le mot de mort a la même ambiguïté que le mot de chair puisque le mot de mort est un des noms propres du diabolos, il est la mort. Mais il y a aussi la bienheureuse mort de Notre Seigneur Jésus Christ. C'est dans le Christ qu'il y a inversion du sens du mot de mort car la mort du Christ est une mort féconde. « Si le grain tombé en terre ne meurt, il reste seul ; s'il meurt il porte beaucoup de fruits. » (Jn 12, 24).  En effet la mort du Christ et sa résurrection c'est la même chose.

► La chair au sens christique c'est la faiblesse ?

J-M M : Une faiblesse acquiescée c'est une grande force, je pense même que la force c'est acquiescer à la faiblesse. La faiblesse est faiblesse quand elle est subie, mais quand elle est librement acquiescée, elle n'est pas une faiblesse et alors jamais on ne l'appellera asthénéia. Néanmoins on l'appellera pathê ou pathêmata ce qu'on traduit par « les souffrances ». C'est d'ailleurs très intéressant de voir que c'est le mot même de passion (la passion du Christ). Dans le chapitre 8 de l'épître aux Romains on a cela au verset 18 : « J'estime que les pathêmata (les souffrances) de cette saison (du temps dans lequel nous sommes) ne sont pas dignes (comparables, proportionnées) à la doxa (la gloire). » Le rapport pathêmata / doxa c'est le rapport passion / résurrection. Justement c'est un pâtir acquiescé qui change le sens de la mort, la mort n'étant ultimement faiblesse que pour autant qu'elle est servitude.

La notion de servitude est abondante dans le chapitre 8 des Romains et elle est opposée à la liberté, qui elle-même est égale à la filiation dans les versets 14-15 : « Car ceux qui sont mus (poussés) par le pneuma de Dieu, ceux-là sont fils de Dieu. Vous n'avez pas reçu un pneuma de servitude qui vous reconduirait à la crainte, mais vous avez reçu un pneuma de filiation dans lequel nous crions "Abba, Père". » Cette opposition-là se trouve explicitement chez saint Jean au chapitre 8 également.

5°) La vie éternelle.

Et enfin on a la façon de dire la rémission des péchés de façon positive : c'est de professer « la vie éternelle (Zôê aïônios) » c'est-à-dire la vie de "l'âge qui vient". Nous pensons l'éternité comme absence du temps, alors qu'il y a une secrète dépendance du temps par rapport à la retenue de la totalité des temps qui est dans l'aïôn (l'âge) nouveau, l'âge qui vient. La vie en question ici, c'est cette vie qui n'est autre que la résurrection : « Je suis la résurrection et la vie » (Jn 11, 25) ; et puisque c'est un hendiadys, cela veut dire qu'il faut entendre le mot résurrection dans le mot vie (la vie au sens johannique qui n'est pas le bios). La vie dont parle l'Évangile n'est pas ce que nous appelons la vie. Ce que nous appelons la vie en grec se dit bios : bios donne lieu chez nous à la biologie qui traite de la vie et à la biographie qui décrit la vie au sens des événements successifs de la naissance à la mort. Ce n'est pas cela qui est annoncé, mais c'est la zôê. Zôê c'est la vie neuve qui est déjà inscrite en nous et qui demande à s'accomplir, la vie de résurrection, la vie nouvelle.

► Pour moi la vie éternelle c'est aujourd'hui et la mort aussi c'est aujourd'hui.

J-M M : C'est ça. Seulement (je ne dis pas que c'est ce que vous dites) on est passés de la représentation post-mortem – le mot "vie éternelle" et tout ce qu'il implique étant posé dans cet espace-là – à une laïcisation de l'expression (le mot n'est pas bon) en disant que « la vie éternelle c'est maintenant ». Mais le maintenant dont on parle alors reste un maintenant de notre temps tel que cela ne rend pas compte de l'expression originelle de « vie éternelle », c'est une réduction. L'autre aussi était peut-être également une réduction. On est rapidement passés dans les soixante dernières années de ceci à cela. Cette balance (passer de ceci à cela) ne suffit pas.

Nous parlons de temps et d'éternité mais il vaudrait mieux parler de "temporalité mortelle" et de "temporalité divine" parce que la temporalité n'est pas du temps, il ne faut pas confondre les deux. Or l'expression de temporalité aïônique (ce qui correspond à "vie éternelle") est caractérisée par cela qu'elle vient. C'est l'heure : « l'heure vient ». L'heure, là, n'est pas une heure du calendrier, c'est la saison.

 

III – Prolongements

 

1°) Retour sur deux points.

Résurrection et mise en cause du temps.

Je reviens ici à une question qui a été posée : « Qui règne ? Est-ce que nous sommes sous le règne de la mort qui donne lieu à une vie biographique, comprise entre une naissance et une mort, ou qui donne lieu à une biologie ? » La réponse est non, car dès maintenant il y a au cœur de nous une étincelle de vie plus grande qui se développe (dès maintenant plus ou moins), mais qui n'est pas close par la mort. C'est le sens du mot de résurrection.

►  La résurrection c'est après la mort ?

J-M M : Le mot de résurrection est une mise en cause de la temporalité, il n'a de sens dans l'Évangile qu'à la mesure où il est dit que, dès maintenant, la foi me ressuscite. Le fait d'entendre me fait me lever, et à chaque fois que j'entends je me lève. Cependant je me lève pour être dans un espace qui est encore inachevé et qui transcende les limites du mortel, donc ça inclut aussi le sens de ce que nous appelons "après la mort", disons "au-delà de la mort". Dire : la résurrection c'est maintenant et ça n'a rien à voir avec après, ce n'est pas satisfaisant. Dire : la résurrection concerne ce qui vient après, ça n'a rien à voir avec maintenant, ce n'est pas vrai non plus. Il faut qu'on soit bien au clair avec cela. La résurrection qu'apporte le Christ, il l'appelle aussi la vie éternelle. Nous sommes dans la vie éternelle dès l'instant que nous ressuscitons. L'éternité n'est pas pour après. L'éternité c'est d'une certaine façon maintenant, mais un maintenant qui n'est plus enclos ou fermé par la mort à venir.

Être pardonné c'est pouvoir dire "Père".

Nous n'avons plus le temps de regarder la fin du Symbole de Nicée-Constantinople :« Je crois en l’Église, une, sainte, catholique et apostolique. Je reconnais un seul baptême pour le pardon des péchés. J'attends la résurrection des morts, et la vie du monde à venir. »  Mais comme je l'ai dit, tout ceci est contenu dans « Je crois en l'Esprit Saint ». Nous avons vu la plupart des expressions dans le Symbole des apôtres, parfois avec une formulation un peu différente.

Nous trouvons en particulier ici l'expression « pardon des péchés ». Le péché, dans le Nouveau Testament, s'exprime dans le vocabulaire de la honte ou de la pudeur. Le terme qui revient constamment dans nos sources à ce sujet, c'est le grec aïskhunê : la honte ou la confusion. Or Paul dit : « Tout homme qui invoque le Seigneur ne sera pas confondu » (Rm 10, 13). Ce terme correspond à l'expression : « être condamné, réfuté ou contredit » et se réfère à la situation de mal-aise. Cette situation est celle qui est caractérisée comme décrivant le péché, cela dans un espace où il importe d'être en sécurité, d'être à l'aise.

Le grand nom de salut – si on ne le prend pas comme un vocabulaire terminologique d'une science particulière qui serait la théologie – résonne premièrement dans le champ d'un vocabulaire qui serait à première lecture celui de la psychologie, à savoir la sécurité, être sauf par rapport à une menace. Une des menaces dominantes, outre la mort, c'est l'autre, c'est l'accusateur, c'est celui qui vous réfute, c'est celui devant qui vous avez honte. C'est sur ce vocabulaire de la confusion qui fait se taire, qui fait rougir, qui donne envie de fuir, que se comprennent par opposition les termes du sauf, du salut, le terme de la familiarité, c'est-à-dire de pouvoir parler à l'aise, l'accès à, l'ouverture à… tout ce qui touche au vocabulaire de la proximité, proximité qui s'exprime dans la parole confiante, dans la possibilité de dire « Père, notre Père ».

Chez Jean la mort est pensée à partir du fratricide. Mais par fratricide il faut entendre tout ce qui sépare, ce qui exclut : c'est pourquoi le pardon a premièrement pour nom celui d'agapê, d'agapê fraternelle entendue en ce sens que, pour nous, être fils c'est toujours être pardonnés, être fils[9] c'est à nouveau pouvoir "parler à", parler au Père, pouvoir à nouveau dire "Père" ; c'est à nouveau être à l'aise devant le Père. Et cela nous reconduit au mot de Père, le premier mot du Credo concernant Dieu.

 

2°) Le don de l'Esprit Saint, paix et joie : Jn 20, 19-23.

Nous allons ouvrir l'évangile et aussi essayer de nous ouvrir à l'Évangile avec un texte très court qui comporte simplement cinq versets[10]. Nous allons retrouver la joie.

« 19Étant venu le soir, en ce jour premier de la semaine, et les portes du lieu où étaient les disciples étant fermées à cause de la crainte des Judéens, vint Jésus, et il se tint debout, au milieu, et leur dit : “Paix à vous”. 20Et disant cela, il leur montra ses mains et son côté. Les disciples se réjouirent, voyant le Seigneur.

21Jésus leur dit donc à nouveau : “Paix à vous, selon que le Père m'a envoyé, moi aussi je vous envoie”. 22Et, ce disant, il les insuffla et leur dit : “Recevez le Pneuma Sacré (l'Esprit Saint). 23À ceux à qui vous abandonnerez les péchés, ils seront abandonnés. À ceux à qui vous les confirmerez, ils seront confirmés”.»

Voilà l'épisode qui requiert notre attention, il est choisi à cause du mot central : « Ils se réjouirent voyant le Seigneur ». Seigneur ici a la signification de "Ressuscité", c'est-à-dire de Jésus dans sa dimension de résurrection. C'est un titre de Jésus ressuscité. Et chez saint Jean la joie est liée à la Résurrection. Le mot de Seigneur est un mot central, un mot qui emplit tout l'Évangile, tel que, s'il est entendu, la foi est pleine, ça suffit, et s'il n'est pas entendu, la foi est vide. C'est ce que dit saint Paul : « Si Jésus n'est pas ressuscité d'entre les morts, la foi est vide (kénê) » (1Co 15, 14).

Les grandes lignes du texte.

Cet épisode se divise en deux parties, c'est-à-dire qu'il y a un moment de césure avec un avant et un après. L'avant se caractérise par un espace de fermeture : « les portes étant fermées », et cette fermeture est aussi une fermeture du cœur car c'est une fermeture qui est causée par la peur (phobos), la peur des Judéens.

Cette situation de crainte qui est une qualité de l'espace dans lequel ils se trouvent, qu'ils partagent, va se transformer par la décision (le moment décisif de la situation) pour susciter un autre espace qui sera, lui, caractérisé d'abord par deux mots qui s'opposent à la crainte, le mot de paix et le mot de joie : Jésus salue en disant « La paix à vous » et « les disciples se réjouirent ».

L'aspect de fermeture sera corrigé par l'ouverture qui est comprise dans « Selon que le Père m'a envoyé, je vous envoie. » Donc c'est un espace d'autre qualité, un espace ouvert. Et il reste d'autres versets à commenter.

Cet espace ouvert a une autre caractéristique qui est d'être l'espace du Pneuma (v. 22) donc d'un Esprit nouveau, d'un souffle nouveau qui est caractérisé ici comme sacré (Pneuma Sacré).

Le mot Esprit est un mot vague chez nous. Quand il en est question dans l'Évangile, il s'agit toujours du « Pneuma de celui qui a ressuscité Jésus d'entre les morts. »  (Rm 8, 11). Si vous voulez vous référer à ce que dit l'Évangile quand il prononce le mot d'Esprit : c'est toujours l'Esprit de résurrection, le souffle de la vie nouvelle qui est résurrection.

Donc paix et joie ont rapport avec l'espace nouveau qui est l'espace du Pneuma de résurrection (de l'Esprit de résurrection). Cela fait penser à un texte de Paul : « Mais le fruit de l'Esprit est agapê, joie, paix, patience, bonté, bienveillance, foi,» (Gal 5, 22). D'autre part le rapport d'un espace fermé, qui est un espace de peur, à un espace nouveau et ouvert et dont la qualité caractéristique est la joie, c'est l'annonce même de l'Évangile.

J'ai parlé de "qualité d'espace" mais il faudrait que nous abandonnions le regard simplement psychologique qui considère que la joie est ce qui se produit dans un individu singulier, que c'est une sorte de faculté de l'homme. Non, le mot joie ici désigne quelque chose de plus vaste. Il faut progressivement opérer ce déplacement de regard.

Je voudrais mettre cela en rapport avec ce qui est l'essence même de l'Évangile, à savoir l'annonce qu'une qualité d'espace est en train de partir et qu'une nouvelle qualité d'espace est en train de venir. Ceci se situe dans le langage qui traduit le mot hébreu olam, un mot très difficile à traduire : on dit "le siècle" (pas au sens de 100 ans), "le monde", parfois "l'éternité". Olam peut dire beaucoup de choses, mais il prend sens dans la distinction que fait déjà le monde juif contemporain, distinction entre olam hazeh et olam habah, c'est-à-dire « ce monde-ci », qui est un monde régi par la peur, et un monde nouveau qui s'appelle « le monde qui vient ». Ces deux espaces sont des espaces régis. Il y a le prince de "ce monde" qui est prince de la mort et du meurtre, et puis il y a Dieu qui est roi de l'espace nouveau qui est le royaume de Dieu.

La question qui sous-tend tout l'Évangile est : « Qui règne ? », c'est-à-dire : « Nous sommes en dépendance de quoi ? » Nous sommes nativement en dépendance de l'avoir à mourir et donc d'une certaine manière de la peur ; et d'être complices de cela en étant implicitement meurtriers, c'est-à-dire excluants, car ce n'est pas meurtriers nécessairement au sens sanguinolent. Si bien que le nouvel espace se caractérise de la façon suivante : par opposition à la mort il se caractérise par la résurrection ; et par opposition à la peur ou au caractère meurtrier, il se caractérise par l'agapê, la paix et la joie. La venue d'une vie neuve et d'un rapport neuf entre nous qui s'appelle résurrection et agapê, c'est le cœur de l'annonce de l'Évangile.

Voici les grandes lignes de ce qui sous-tend l'Évangile, la question qui porte l'Évangile. Et la réponse est « Annonce heureuse » ou « Bonne nouvelle »[11] si vous voulez, en ce que nous ne sommes plus régis de façon définitive par la mort et le meurtre, mais par une nouvelle qualité d'espace de vie qui est dès maintenant vie éternelle et agapê.

Bien sûr cette annonce n'est pas de celles qu'il faudrait entendre simplement au plan de l'histoire comme si avant tout était peur et mort et meurtre, et ensuite tout était paix et agapê. L'Évangile est caractérisé par cela (comme le dit saint Jean en 1 Jn 2, 8) que la ténèbre (c'est-à-dire l'espace de mort et du meurtre) est en train de partir et que la lumière (c'est-à-dire l'espace de vie et d'agapê) déjà luit. Dans notre texte nous avons dans l'espace d'une maison – le lieu où se tiennent les disciples – l'équivalent de l'annonce totale de l'Évangile au monde.

►  Pourquoi le mot agapê ne se trouve-t-il pas dans le Credo ?

J-M M : Il ne s'y trouve pas mais la chose y est, car l'agapê n'est ni une vertu ni un commandement, l'agapê c'est un événement : l'agapê c'est que Dieu se donne. Pour saint Jean agapê ne se pense pas à partir d'où nous pensons l'agapê comme un sentiment d'amour. L'événement de l'agapê c'est la mort-résurrection du Christ donc c'est implicitement dans le Credo.

Jésus vient.

Après avoir montré les grandes lignes, je vais regarder d'un peu plus près le moment de la césure, c'est-à-dire le moment où l'espace où étaient les disciples va changer de qualité.

« Jésus vint ». « Je viens » est un mot majeur pour dire Jésus et la question qui va se poser c'est « D'où il vient et où il va » car la question classique c'est toujours « D'où je viens et où je vais. » Venir est un mot qui, pour dire Dieu, est aussi important que le verbe demeurer (demeurer aussi bien au sens d'habiter que de perdurer). Mais venir peut gêner notre esprit d'occidentaux car nous avons l'idée d'un Dieu immobile.

Dieu demeure, mais on ne sait pas où il demeure ! J'entendais l'autre jour un humoriste qui était interviewé et on lui demandait : « Vous croyez en Dieu ? » Il a répondu : « Je me méfie plutôt d'un architecte qui n'habite pas la maison qu'il a construite. » Ça suppose une idée de Dieu bien déterminée : premièrement comme "architecte", et ce mot pourrait être pris dans un très bon sens, mais là ce n'est pas vraiment le cas ; et deuxièmement qui ne demeure pas dans la maison,  qui révèle le sentiment d'une absence.

Effectivement, dans l'évangile, se pose la question de la joie ou du trouble, puisque le mot trouble est le premier employé dans les chapitres 14 à 16 : « Que votre cœur ne se trouble pas. » (Jn 14, 1). Tous ces chapitres traitent la question de la présence et de l'absence de Dieu.

Dieu est-il absent ? Dieu s'absente-t-il ? En un sens, oui. Mais ces chapitres vont montrer que cette absence est secrètement une présence, qu'elle peut être entendue comme une présence. Et il est vrai que Dieu paraît singulièrement absent de notre monde. Au lieu de se lamenter encore sur la déchristianisation, il serait intéressant de méditer la signification positive de cette absence.

L'Évangile ça vient, c'est quelque chose qui est toujours en train de venir, à chaque instant, même sous les aspects des absentements les plus dramatiques parce que les empêchements ont aussi leur signification dans cette affaire. Les retards ont aussi une signification positive parce que ça suscite l'attente, c'est saint Paul qui le dit en toutes lettres.

Le Christ vient et il vient précisément lorsqu'il part, c'est-à-dire qu'il vient dans sa résurrection. La résurrection n'est pas un enseignement sur le Christ mais une parole. Si elle est entendue elle me ressuscite, me fait naître, c'est une parole donnante. C'est une parole qui fait ce qu'elle dit. Entendre «Tu es mon fils » me constitue fils, enfant de Dieu. Cette parole fait que je suis reçu dans l'espace nouvellement ouvert, dans cette qualité d'espace nouvelle.Nous avons là un statut de la parole qui est autre chose que le discours sur quoi on discute, on dit son sentiment, son humeur. Il s'agit d'entendre et d'entendre attentivement, en attendant.

Première salutation, les marques de la passion.

« Et il se tint debout au milieu – cette stature a une signification éminente dans tout l'évangile de Jean – et il leur dit : « Paix à vous » – il arrive et leur dit bonjour. » En effet « Shālôm ʻalêḵem » (Paix à vous) c'est la façon de dire bonjour, donc ici c'est d'abord une salutation. Et saluer est très important, c'est l'ouverture d'une qualité d'espace, d'une qualité de relation. L'espace est une distance mais une distance de relation, cela au sens où j'emploie le mot espace.

Dire « Bonjour » c'est un souhait chez nous. Quand c'est le Christ, sans doute, c'est un souhait efficace, c'est-à-dire que ça ouvre effectivement.

Au tout début de notre session je vous ai salué en grec : « Khaïré » qui est la façon dont l'ange Gabriel salue la vierge Marie. J'avais choisi ce mot parce qu'il signifie : « Réjouis-toi ». En latin il y a « Salve » c'est-à-dire « Sois sauf » c'est l'indication : « Que ça aille bien pour toi ». Nous, nous disons « Bonjour » ce qui est beau car le jour, c'est vraiment un espace et c'est donc le souhait d'une qualité d'espace, du partage de cette qualité d'espace.

Donc Jésus salue et cela suscite un espace de relation qui est ici un espace de paix. Je vous signale que shālôm désigne la paix mais ce n'est pas le seul sens, c'est un mot très riche qui englobe d'autres qualités d'espace.

« 20Ayant dit cela il leur montra ses mains et son côté. » Ceci est très intéressant parce que Jean ne sépare jamais la passion et la mort du Christ d'une part, et sa résurrection d'autre part. C'est-à-dire que la résurrection n'est jamais autre chose que la résurrection de celui qui était mort ; et la mort du Christ n'est jamais autre chose qu'une mort qui contient en elle le germe de résurrection dans son mode de mourir. Ce ne sont pas deux épisodes qui se suivent de façon plus ou moins hasardeuse.

Une autre façon de dire cela, c'est que nous avons ici une petite Pentecôte puisqu'il y a l'insufflation de l'esprit aux disciples (v. 22). Chez Luc il y a d'abord l'Ascension qui se passe 40 jours après la Résurrection, et la descente de l'Esprit à la Pentecôte se passe 50 jours après la Résurrection puisque pentêkostê veut dire cinquantième (s. e. jour). Mais chez Jean c'est déjà à la croix que Jésus « remet l'Esprit », à savoir le pneuma et pas simplement la psyché, ce n'est pas « remettre l'âme ». Et à la croix, de son côté, coulent aussi eau et sang qui sont des noms du Saint Esprit. Autrement dit la puissance de vie qui se déverse sur l'humanité (comme l'Esprit à la Pentecôte) est déjà inscrite dans la mort du Christ.

Je vous donne ici beaucoup de considérations, elles ne vont peut-être pas toutes s'intégrer immédiatement. Ne vous inquiétez pas, restez sereins, peut-être essayez d'en avoir la joie, parce que nous avons vu le premier matin[12] que la joie peut être tout à fait présente au fond du trouble, de l'inquiétude et de la peur. C'est quelque chose d'essentiel.

Nouvelle salutation, paix, envoi, insufflation, pardon.

« 21Jésus leur dit à nouveau "Paix à vous". » Il est possible que ça se soit passé ainsi mais c'est plutôt une façon, pour Jean, de méditer deux fois la salutation du Christ, d'en déployer deux aspects, deux conséquences. Très souvent, on trouve ce redoublement dans les textes de Jean : « il leur dit de nouveau… » Ici il y a une première signification qui est celle de sa manifestation de mort-ressuscité, et la deuxième va aller vers l'insufflation.

« Selon que le Père m'a envoyé, moi aussi je vous envoie. » Nous avons dit qu'il y a l'aspect d'ouverture ici. Le thème de l'envoi est un thème très important. Que Jésus vienne ou que le Père envoie, c'est la même chose dite du point de vue du Père ou du point de vue du Fils. Il y a un rapport entre « être Père et être Fils » et « être envoyant et être envoyé ».

« 22Et, ayant dit cela, il les insuffla et leur dit : “Recevez le Pneuma Sacré". »Au fond vous avez ici une sorte de reprise de la création inachevée. En Gn 2, l'homme est modelé – c'est l'homme de notre état natif, courant – et il lui est insufflé une psyché, un souffle léger qui est le court souffle de notre vie. Le Pneuma, lui, n'est pas simplement un souffle respiratoire. Paul distingue Adam de Gn 2 qui apparaît en premier et qui est une psukhê zôsa (une âme vivante), et le Christ, qui est Adam de Gn 1, qui apparaît en second, et correspond au Pneuma qui est zôopoioun, donateur de vie. C'est une mention que nous avons trouvée dans le Credo : « Il donne la vie ». En effet « Faisons l'homme à notre image », c'est la pré-vision de la venue du Christ ressuscité. Et Jésus achève la création en donnant ce pneuma à l'homme modelé.

« 23À ceux à qui vous abandonnerez les péchés, ils seront abandonnés. À ceux à qui vous les confirmerez, ils seront confirmés”. » Pour ce qui est de l'abandon des péchés, ici, il ne s'agit pas du tout de l'instauration du sacrement de pénitence. C'est quelque chose de beaucoup plus fondamental. En effet ce qui constitue l'espace de peur, c'est le péché et ce qui constitue l'espace nouveau, c'est la levée ou l'abandon du péché, le pardon du péché.

Voilà, nous allons nous en tenir là.



[1] Voir chapitre 4, les références aux gestes évangéliques.

[2] « L'Esprit Saint est le don par excellence : « 11Quel père parmi vous, si son fils lui demande un poisson, lui donnera un serpent, 12ou, s'il demande un œuf, lui donnera un scorpion ? 13Si vous donc qui êtes méchants savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus le père du ciel donnera l'Esprit Saint à ceux qui lui demandent. »Ce passage est plus intéressant chez Luc que chez Matthieu (Mt 7, 7-11) : au verset 11 de Matthieu, il s'agit de demander "de bonnes choses" : au verset 13, chez Luc il s'agit de demander l'Esprit Saint, c'est magnifique. Le Saint Esprit, c'est l'essence du don, c'est le don. Autrement dit, ce qui est digne d'être demandé, c'est l'Esprit sacré, le Souffle sacré, l'Esprit Saint. »  (J-M Martin, session Présence et/ou absence de Dieu).

[4] Voir la session JEAN 6  (Le pain et la parole), dans le tag JEAN 6.

[6] Ceci fera l'objet d'un prochain message.

[7] Voir à la fin du chapitre 6 la différence entre les différentes figures (la chrétienté, christianisme, la christité).

[8] Voir au chapitre 2 § Mort pour nos péchés. Voir aussi au chapitre 4 : « Nous avons « pour nos péchés » dans le Monogenês puisqu'il est le Fils un, unifiant les hommes qui sont dispersés par le péché ; c'est le Fils unifiant de l'humanité pécheresse, de l'humanité déchirée. »

[9] Ce thème, « être pardonné et être fils c'est le même », est souvent traité par J-M Martin à partir d'un passage de la première lettre de Jean : 1Jn 2, 12-14, et à partir des deux voix qui s'entendent au Baptême de Jésus : « Tu es mon Fils bien-aimé » (voix du ciel) et « Voici l'agneau de Dieu qui lève le péché du monde » (voix du Baptiste, donc voix de la terre)..

[10] Le texte de Jean commenté ici se termine par une petite Pentecôte, c'était l'un des textes lus pendant les eucharisties de la session de Nevers 2007. Comme nous n'avons pas les enregistrements des homélies de cette session, nous mettons ici la lecture méditative qui a été faite lors d'une retraite à Saint-Jacut sur le thème de "La joie en saint Jean" en 2007. Elle fait donc aussi le lien avec le thème de la joie.

[11] "Annonce heureuse" et "Bonne nouvelle" sont des traductions du mot Évangile.

[12] Voir chapitre 1, § Jn 16, 20-22, jusqu'à la fin du chapitre.

 

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