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La christité
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  • Ce blog contient les conférences et sessions animées par Jean-Marie Martin. Prêtre, théologien et philosophe, il connaît en profondeur les œuvres de saint Jean, de saint Paul et des gnostiques chrétiens du IIe siècle qu’il a passé sa vie à méditer.
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19 décembre 2013

Manque-t-il quelque chose à la passion du Christ (Col 1, 24) ? Les deux "je" du Christ.

Lors de la session sur Pésence et/ou absence, une question a été posée à la suite d'une réflexion en petits groupes : comment entendre le verset 24 du premier chapitre de l'épître aux Colossiens. Voici la question posée, puis la réponse assez développée de Jean-Marie Martin.

 

Manque-t-il quelque chose à la passion du Christ (Col 1, 24) ?

Les deux "je" du Christ

 

Question : Dans notre échange en groupe[1] sur le chapitre 14, on a d'abord discuté sur l'expression « les œuvres plus grandes » : « Celui qui croit en moi fera lui aussi les œuvres que je fais et il en fera même de plus grandes. » (Jn 14, 12). En fait, la réponse qui a été donnée était que ces œuvres n'étaient pas de l'ordre du qualitatif, mais qu'elles étaient résumées dans l'œuvre unique qui est l'accomplissement de la résurrection.

Et quelqu'un a de nouveau achoppé sur la phrase de Paul : « J'achève, dans ma chair, ce qui manque aux souffrances du Christ pour son corps qui est l'Église. » (Col 1, 24).

Peine, Berna LopezJ-M M : Un élément de réponse réputé chrétien à la souffrance est celui du mérite : la souffrance mériterait. La souffrance du Christ mériterait et par suite nos souffrances ; c'est la citation qui a été donnée : « J'achève ce qui manque aux souffrances du Christ… » etc. Mais la souffrance ne mérite rien. Elle n'est pas du tout l'explication du salut de l'homme, ce n'est pas par mérite qu'on gagne son salut, ce n'est pas le processus, même si la théologie à certaines époques a largement développé cet aspect-là. Ce n'est pas le sens biblique.

Par ailleurs, à propos de la petite phrase de Paul que vous avez citée, je ne suis pas sûr qu'il faille traduire comme cela parce que je ne pense pas que Paul puisse indiquer qu'il “manque” quelque chose à la passion du Christ. C'est, les déficiences (ta husterêma) : il s'agit de ce grand manque qui est la passion du Christ. Ce n'est pas « ce qui manquerait aux souffrances du Christ » mais « les déficiences (le manque) que sont les souffrances du Christ »[2], alors j'y participe. En ce sens-là il y a une signification, une assimilation en son lieu et à son degré, on pourrait dire une imitation du Christ, mais même à ce niveau-là la notion d'imitation n'est pas la notion première. Ça peut être vrai en un sens, non pas au sens qu'il manquerait quelque chose à la passion du Christ, mais au sens que je prendrais part à ce manque (à ce mal) qu'est la passion du Christ, c'est possible.

 

Les deux "je" du Christ.

Jésus dit "je" à différentes dimensions :

– Il dit "je" dans son "je" de passion : « Ma psyché est troublée », c'est-à-dire : "je suis troublé", il assume cela dans un "je" passible.

– Mais il peut dire aussi : « Je suis la vérité » ou « Je suis la résurrection et la vie », et là c'est le grand "Je", le Je christique de son accomplissement.

Quand il se retire à dire son "je" de passion, le "vous" (qui est en "il" dans la phrase que vous avez citée) représente toute l'humanité qui est incluse dans le grand Je, mais qui devient un "vous" quand Jésus parle à partir de son "je" passible : « Vous en ferez de plus grandes ». Et il aurait pu aussi bien dire : « J'en ferai de plus grandes dans mon "Je" de Résurrection dans lequel vous êtes inclus. »

En effet, la Résurrection, c'est toujours : « Je vais vers le Père », c'est aller vers plus grand ; mais en tant qu'il y va, ce n'est pas encore accompli. C'est pour cette raison qu'il dit à Marie-Madeleine : « Va dire aux frères que je vais vers mon Père qui est désormais votre Père, vers mon Dieu qui est votre Dieu. » (Jn 20, 17). Donc il n'est pas encore monté vers le Père pour autant qu'il dit cela, ce qui veut dire que la Résurrection n'est pas encore pleinement accomplie. Autrement dit, ce qui manque (si on peut dire) c'est précisément que nous soyons intégrés à cette Résurrection.

Lorsque Jésus dit « le Père est plus grand que moi » il établit donc lui-même cette différence, il parle donc à partir du je "mineur" et dans cette perspective, l'accomplissement de la résurrection est mis au compte de "vous" par rapport à lui, car c'est en nous et avec nous que s'accomplit pleinement la Résurrection.

Le fait de comprendre qu'il en va ainsi pour la résurrection pourrait peut-être vous aider à comprendre que c'est la même chose dans le champ du pâtir. Il ne s'agit pas d'ajouter quelque chose, parce que notre idée du manque, c'est : si ça manque, il faut ajouter quelque chose. Non. Il faut que s'accomplisse en nous, et d'une certaine façon avec nous, ce qui est déjà accompli pleinement, mais en semence. « Plus grand » c'est l'accomplissement total, c'est la Résurrection accomplie.

C'est une phrase difficile. Il y a des pages de Luther où il se pose indéfiniment des questions sur cette phrase, et finalement il reconnaît qu'il est incapable de comprendre !



[1] Ceci est un extrait de la session Présence et/ou absence de Dieu (Jn 14-16) à Saint-Jean de Sixt en 2007 mais la lecture de Col 1, 24 qui constitue la première partie de la réponse vient de la retraite Signe de croix / signe de la foi à Nevers 2010.

[2] « Antanaplêrô ta  husterêmata tôn thlipseôn tou  Christou » littéralement : « J'achève les déficiences des  souffrances du Christ (que sont les souffrances du Christ) » en prenant le "de" comme dans l'expression "la ville de Paris" qui signifie "la ville qu'est Paris".

 

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