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La christité
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  • Ce blog contient les conférences et sessions animées par Jean-Marie Martin. Prêtre, théologien et philosophe, il connaît en profondeur les œuvres de saint Jean, de saint Paul et des gnostiques chrétiens du IIe siècle qu’il a passé sa vie à méditer.
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22 septembre 2013

Tenant, teneur et tonalité d'un texte ; Jn 3, 5.

Dans le cadre d'une session Jean-Marie Martin a commencé par faire « un apprentissage de lecture en étant attentifs, non pas simplement à l'immédiat contenu de la lecture, mais à ce que cela implique comme acte de lecture pour nous ». Il a proposé pour cela un outil de lecture qu'il a mis en oeuvre sur le verset 5 du chapitre 3 de l'évangile de Jean, un verset qui a donné lieu à de nombreuses méprises.

 

Tenant, teneur et tonalité d'un texte

Jn 3, 5

 Extrait d'une session à Saint-Jean de Sixt, La symbolique des éléments, en 1999

 

Des outils de lecture pour approcher la Parole.

 

manger la galette soi-même

Pour commencer doucement notre travail, ce serait bien que je vous parle de Monsieur Bonnet. Quand j'avais moins de dix ans, Monsieur Bonnet qui avait dans les cinquante-six ans a été mon premier maître de sagesse. C'était un voisin, il était jovial. Il fumait la pipe, naturellement. Et moi, je le suivais partout et je le regardais. Il avait été mutilé inégalement au niveau des deux mains à la guerre de 14, mais il était d'une adresse remarquable. Il avait appris à faire avec. Il chantonnait et avait des adages qui me laissaient parfois perplexe d'abord, mais me donnaient ensuite à réfléchir.

Un des adages de Monsieur Bonnet était celui-ci : « La galette, c'est très bon, surtout si on la mange soi-même ! » Moi, je ne trouvais pas cela très équilibré car j'étais d'un rationalisme incroyable ! Et puis, je réfléchissais et, le lendemain, je comprenais. Ensuite, dans ma vie, je mettais en œuvre ce que j'avais compris de Monsieur Bonnet.

Je veux dire ici que faire avec, et savoir s'y prendre, c'est se constituer ses propres chemins, son propre outillage pour la lecture. De même, les très bons bouchers ne se servent pas d'un couteau tout fait, ils le font à leur main.

Moi aussi, j'ai essayé de faire à ma main mes principes de discernement, de coupure. Ce n'est pas forcément le meilleur qui puisse se faire. Mais, ça me sert.

Cela ne veut pas dire que l'Évangile est à garder pour soi-même. La page d'Écriture, il faut ensuite la partager, voir si quelqu'un ne peut pas vous aider. Moi, je regardais Monsieur Bonnet. On peut se regarder mutuellement.

Ceci pour vous dire que nous allons aujourd'hui faire, en premier, un exercice de lecture, un apprentissage de lecture en étant attentifs, non pas simplement à l'immédiat contenu de la lecture, mais à ce que cela implique comme acte de lecture pour nous.

Je me sers – je n'ai pas encore trouvé mieux – pour approcher la Parole, d'une distinction qui est d'essayer d'entendre le texte

– dans sa teneur (ce qu'il dit),

– mais aussi ses tenants (ses articulations),

– et enfin sa tonalité.

Il me semble qu'il faut considérer ces trois éléments qui appartiennent à la symbolique du tenir. Il existe des outils industriels pour la lecture. On les trouve chez les grammairiens, chez les structuralistes… libre à chacun, mais, moi, j'aime bien me faire mes outils. Je m'informe aussi, je regarde au moins de biais ce que font les autres, mais ça ne m'empêche pas d'essayer de produire afin de manger la galette moi-même.

 

Jn 3, 5.

 

Nous allons aborder maintenant un texte dont il importe qu'on essaye d'apercevoir la tonalité, la teneur (ce dont il parle) et le tenant (les modes d'articulations), comment les choses tiennent ensemble. Ces notions sont vagues et celle de tenant demanderait à être précisée, mais je ne le fais pas tout de suite.

La tonalité.

D'abord, la tonalité. Écoutons ce texte. Nous allons nous en tenir, au moins au début, au seul verset 5 du chapitre 3 de saint Jean : « Jésus répondit : “ Amen, amen, je te dis, si quelqu'un ne naît pas d'eau et Esprit, il ne peut entrer dans le Royaume de Dieu.” »

Dans quelle tonalité entendons-nous ce texte d'emblée ? Vous, je ne sais pas, mais moi – et je ne suis pas seul – j'entends ce texte en premier dans une tonalité de menace : Si tu ne pas... alors par conséquent ne pas… Pour illustrer cela et montrer que ce verset n'est pas seul en cause de ce point de vue, je vais vous donner un autre exemple qui se trouve au chapitre 14 de Jean (je croirais entendre ma grand-mère) : Si tu m'aimes, tu feras ce que je dis, et en récompense je demanderai à ton père qu'il te donne... De quel texte s'agit-il ? « Si vous m'aimez, vous observerez mes commandements, et alors, moi, je prierai le Père qu'il vous envoie l'Esprit Saint » (Jn 14, 15) : c'est la tonalité du chantage à l'affection.

La teneur.

Je passe maintenant à la teneur, au contenu. Que dit ce texte ? Il dit, à première écoute, que, si quelqu'un n'est pas baptisé, il n'ira pas au ciel. Je dis un peu gros, mais c'est ce qu'on entend à partir de la tonalité précédente. Et je dois même dire que cela a été entendu comme une menace effrayante, et sans doute a généré bien des douleurs. Il suffit de penser, dans une période de foi puissante, à l'accident d'un enfant mort-né : qu'est-ce que ce texte disait à la mère ? Ce fut même une douleur telle qu'on y a cherché des subterfuges qui nous paraissent dérisoires, mais qui attestent de la difficulté d'un texte pareil. On a inventé les limbes, par exemple, pour que ce soit un peu moins dur. Au cours des XIIe et XIIIe siècles on a créé des chapelles où on déposait un enfant mort de bonne heure en supposant qu'un ange, un saint, devait le réveiller, le baptiser et le re-laisser mourir. Les historiens connaissent ces coutumes. Ces inventions sont intéressantes en tant qu'elles sont l'indice d'une terreur, d'une terreur générée par un texte menaçant, un texte de ce genre.

Le tenant.

Si je regarde maintenant le tenant, c'est-à-dire l'articulation, ce texte se laisse analyser selon notre grammaire comme une proposition conditionnelle. Elle comporte une condition et un conséquent.

Ce que nous allons voir :

Notre travail va nous conduire à dire :

– En ce qui concerne la teneur, il ne s'agit pas directement du baptême ici, ni de la vie plus tard après la mort.

– Du point de vue du tenant, il ne s'agit pas d'une proposition conditionnelle : il faudra apprendre que, chez saint Jean, si n'est pas conditionnel, parce que n'est pas causal, afin que n'est pas final. Ce sont les articulations de notre grammaire occidentale. Nous avons des propositions (je ne parle pas des propositions circonstancielles de lieu et de temps) dont l'origine remonte à la logique et même à la métaphysique qui se développe chez Aristote : la logique, en tant que les propositions conditionnelles ont un régime de fonctionnement bien déterminé, et la métaphysique des quatre causes dont on retient surtout la cause finale. Nous avons donc ici un tenant qui laisse passer beaucoup de choses de l'intérieur de nos propres langues, et qui, a fortiori, ne peut pas s'imposer comme une grille de lecture pour un texte tel que celui-là. Il faudra que je le montre. Pour l'instant, je me contente de l'indiquer.

– Enfin ce verset n'est pas dans la tonalité de la menace. Cela, je pouvais le dire a priori, car la plus grande difficulté, pour entendre l'Évangile, c'est de l'entendre dans sa propre tonalité. Or l'Évangile est une parole de libération. Quand je l'entends comme menace, je suis à peu près sûr d'avance que je ne l'entends pas dans sa tonalité propre. Par principe. Chaque phrase doit être lue comme l'Évangile, chaque phrase a l'Évangile en elle, et chaque phrase s'entend comme annonce heureuse, bonne nouvelle.

« Naître d'eau et pneuma (Esprit) » est-ce le baptême ?

Revenons au texte. Tout est à soigner, à corriger en même temps. Il faut bien que nous procédions dans un certain ordre. Prenons des éléments de chacun des deux stiques du verset 5 et voyons comment ça se tient à l'intérieur de chacun. Ensuite nous verrons le rapport des deux versets entre eux.

Pour le contenu : « Naître d'eau et pneuma (Esprit) » ne désigne pas le baptême. Pourtant, naître, eau et Esprit semblent nous indiquer la pensée du baptême, notamment l'eau et l'Esprit, puisque : « Au sacrement du baptême, l'eau est le signe visible d'une réalité invisible qui est l'Esprit Saint, le baptême étant signe visible d'une réalité invisible. » C'est une définition de Hugues de Saint-Victor (XIIe siècle) mais qui a été préparée longtemps auparavant par la distinction du visible et de l'invisible qui implique le mot de signe. Elle continuera à régner. Par parenthèse, on perçoit peut-être déjà maintenant que la distinction entre deux choses, dont l'une est le signe qui fait monter vers l'autre (le visible vers l'invisible), est une caricature du rapport du secret (caché) au dévoilé.

La distinction intelligible/sensible n'est pas la distinction caché/dévoilé.

La sacramentalité a bien à voir avec le rapport du caché au dévoilé mais il ne s'agit pas de la différence entre deux éléments dont l'un est visible et l'autre invisible, qui sont raboutés ensuite par le concept de signe. Ils sont d'abord pensés deux, l'eau est l'eau, le pneuma est le pneuma, puis ils sont joints parce que l'un signifie l'autre. La distinction du visible et de l'invisible est ici la distinction post-platonicienne de l'intelligible et du sensible dont les éléments sont ensuite raboutés. C'est un tout autre processus que celui que nous avons aperçu dans le dé-voilement de la réalité secrète de la semence qui vient à fruit, et qui, s'accomplissant, se donne à voir. L'un est le processus d'une pensée qui est sur le mode de l'accomplissement dévoilant, et l'autre est sur le schème du rapport entre deux sphères, la sphère de l'intelligible et la sphère du sensible.

Garder le texte tel qu'il est ?

Il y a un indice assez intéressant : en dehors du verset 5, le contexte ne parle pas d'eau, il parle de pneuma. Le verset suivant est : « Ce qui est né de la chair est chair, ce qui est né du pneuma est pneuma. Ne t'étonne pas si je t'ai dit (…) Le pneuma souffle où il veut … ». Les exégètes protestants, notamment, se sont dit de bonne heure qu'il ne pouvait être question ici de la conception sacramentelle proto-catholique. Celle-ci, au IIe siècle se développe parfois dans certains milieux (par exemple, on la trouve dans Les extraits de Théodote de Clément d'Alexandrie), mais la lecture protestante ne pouvait admettre cette conception de la sacramentalité. Les exégètes, en général, pensent que, puisqu'il n'est pas question d'eau ailleurs qu'au verset 5, c'est un ajout postérieur. Le texte primitif aurait dit :   « Si quelqu'un ne naît pas de l'esprit ». Donc il n'y aurait aucune référence au sacrement de baptême. Mais, dans tous les grands manuscrits, on a "eau et esprit" donc la solution n'est pas là. Il ne s'agit pas directement du baptême et en cela les protestants ont raison : ce n'est pas à partir de notre conception du baptême qu'il faut comprendre ce texte, même si, ayant compris ce texte, au contraire, nous avons de quoi comprendre mieux notre baptême ensuite. Je ne dis pas qu'il n'y a aucun rapport avec le baptême.

Eau et pneuma. Qu'est-ce que naître du pneuma ?

Même en gardant le texte tel qu'il est, on peut montrer qu'il ne s'agit pas immédiatement du baptême parce que nous avons affaire ici à un hendiadys. Voilà un exemple majeur d'hendiadys, il faut donc lire : « si quelqu'un ne naît pas de cette eau-là qui est le pneuma ». L'eau n'est pas ici un élément matériel qui serait autre chose que le pneuma. L'eau est une désignation du pneuma lui-même.

Pour l'instant, je ne prouve rien, je vais le prouver avec un autre texte tout à l'heure. J'invite à entendre, sans l'avoir totalement montré, que ce texte ne parle pas de ce que nous appelons le sacrement de baptême, mais qu'il s'agit de naître du pneuma. Qu'est-ce que naître du pneuma ? C'est naître du pneuma de Résurrection, c'est venir nouvellement au monde à partir de la Résurrection.

Naître, c'est la même chose que croire. Ce qui permet de le dire, c'est : « À tous ceux qui l'ont reçu il a été donné cet accomplissement de devenir enfants de Dieu, à ceux qui ont cru en son nom, ceux qui ne sont pas nés des sangs ni de la volonté de la chair… mais qui sont nés de Dieu. » (Jn 1, 12-13) Ce qui signifie : naître à partir de la foi dans la Résurrection (ou du Pneuma de Résurrection), c'est aussi radical que venir au monde.

Naître de nouveau ?

J'indique, pour une bonne compréhension de ce qui est en question ici, ce qu'on dit souvent : il y a une première naissance, puis une re-naissance. On dit que le baptême est une nouvelle naissance. C'est vrai, mais il faut bien l'entendre : ce n'est pas quelque chose qui se rajoute à la naissance acquise, c'est une naissance de plus originaire que ma première naissance. Ce qui est en jeu ici, c'est à nouveau le principe johannique selon lequel ce qui vient après atteste qu'il était d'avant. Nous l'avons déjà vu à propos du Baptiste.

Et ceci répond à la question : D'où je viens ? Quelle est mon identité ?  Mon identité essentielle n'est pas contenue dans ma carte d'identité. Le nom de mon père, de ma mère, mon lieu et ma date de naissance, mes signes particuliers (néant), ce schéma de la carte d'identité, c'est ce par quoi s'identifie quelqu'un chez nous. Mais j'ai une origine plus originelle, je suis né de Dieu avant cette naissance-là. Je suis né de la volonté de Dieu, de son secret, de sa déposition des semences. Je suis séminalement, de toute éternité – peu importe si l'expression est bizarre –, je suis de là. Mon accession à la foi est la fructification, la venue à jour de cette plus originelle origine.

Qu'est-ce qu'entrer dans le Royaume de Dieu ?

Notre première partie du verset dit ce qu'il en est de naître, c'est-à-dire de venir au jour à partir d'une semence plus originelle, de par la Résurrection. La deuxième partie du verset parle de "entrer dans le Royaume de Dieu".

Longtemps on a eu tendance à penser qu'entrer dans le Royaume de Dieu, c'était, après la mort, aller au ciel. Mais le Royaume, c'est maintenant ! Nous apercevons déjà que ce n'est pas un rapport de conditionnel, mais que, vivre à partir de l'Esprit de Résurrection, c'est déjà être entré dans le Royaume. Ceci touche au tenant, c'est-à-dire à la compréhension du rapport de ces deux termes autrement que dans le conditionnel.

Qu'est-ce que le pneuma ici ?

Je note déjà que si nous arrivons à dire que ces deux parties du verset disent deux fois la même chose, alors le pneuma de Résurrection est la même chose que le Royaume.

Je dis souvent : « Pneuma, Royaume, Vérité – ce mot vérité  n'est pas ici mais ailleurs – ce sont des mots qui disent la même chose. » Pneuma prend donc ici la signification d'un espace régi, et même la qualité d'espace. On reviendra sur cet aspect de la symbolique du pneuma comme espace.

Il y a vingt ans j'ai voulu faire une série de cours sur l'Esprit Saint à partir de l'épître aux Éphésiens, et chaque fois que je voyais pneuma, je pensais espace, ce qui était, de ma part, assez audacieux. Or, pendant les vacances suivantes, j'ai trouvé un petit volume du XVIIe siècle commençant, un lexique hébreu - latin de Buxtorf. Comme il possède une table de lexique rabbinique, je cherche à rouah, le mot hébreu qui correspond à pneuma : je vois spacium, intervallum. Le mot de rouah a donc été médité dans le monde rabbinique sous cet aspect-là. Il y a parfois des tentatives comme la mienne qui se trouve confirmées.

Deux propositions pour une seule chose.

Nous en étions au moment où il nous fallait lire avec plus de précision le rapport des deux parties du verset 5. J'ai déjà indiqué de façon anticipée que c'était dire deux fois la même chose et qu'il faudrait traduire : « naître (ou vivre) à partir de l'Esprit de Résurrection, c'est la même chose que être entré déjà dans le Royaume ». Il y a ici ce qu'on pourrait appeler un hendiadys de propositions. Nous avons vu l'hendiadys de mots : l'eau qui est esprit, deux mots pour dire une chose. Ici c'est deux propositions pour une chose.

Mais n'avez-vous pas remarqué que c'est de la poétique sémitique ? Il ne faut pas avoir une très grande familiarité avec les psaumes pour apercevoir que le principe de la rime psalmique est de jouer non pas au niveau de la sonorité, comme dans la rime chez nous, mais au niveau du sens : dire deux fois la même chose.

Au lieu de prendre un psaume, je prends le cantique de Marie qui est simple :
« Ma psychê magnifie le Seigneur,
mon pneuma exulte en Dieu mon Sauveur
» (Lc 1, 47).

– Ma psychê, mon pneuma, c'est deux façons de dire moi ;
– magnifier
et exulter, c'est deux façons de dire le chant ;
– le Seigneur
et mon Sauveur, c'est deux façons de désigner le même.

Autrement dit la poétique consiste à dire deux fois la même chose, non pas dans une répétition matérielle, mais avec un élément légèrement glissé. C'est Empédocle qui disait : « Ce que tu dis, dis-le deux fois». Deux pour un sens. C'est la poétique psalmique qui met en œuvre cela.

Nous aurions besoin de beaucoup de travail pour essayer d'entendre une autre phrase de ce type qui est au chapitre 14 : « Si vous m'aimez, vous garderez ma parole » (d'après le v. 15), dans le sens où aimer, c'est tenir en garde la parole. Ce n'est pas : si tu m'aimes mon petit garçon, par conséquent tu pratiqueras. D'ailleurs il ne faut jamais traduire garder par pratiquer, ce qu'on fait tout le temps, parce qu'en Occident on distingue la théorie de la pratique. Cette différence-là n'existe pas dans le monde biblique. C'est notre précompréhension qui l'introduit.

Effacer les "si ... alors", les "afin que" et les "parce que".

Chemin faisant, en disant « naître (ou vivre) à partir de l'Esprit de Résurrection, c'est la même chose que être entré déjà dans le Royaume » j'ai effacé le "si ... alors". De quel droit ? On peut montrer de la façon la plus claire que, chez Jean, hina ne signifie pas afin que, oti ne signifie pas parce que, et si ne signifie pas le conditionnel. Pourquoi, alors, employer ces mots-là ? Parce que la pensée fondamentale de Jean est une pensée sémitique et que les articulations de la pensée sémitique ne sont pas celles de la pensée grecque. Il faudrait regarder de près.

Ainsi au chapitre 17, dans la grande prière, les articulations relatives, causales, sont du grec impossible parce que ce sont des structures sémitiques qui sont à l'oreille de Jean. « 1Père, l'heure est venue, glorifie ton Fils afin que le Fils te glorifie ». N'est-ce pas là le meilleur échange de procédé entre copains et copines : si tu me glorifies, eh bien, en retour, je te glorifierai ! En fait, cela signifie que ceci : la glorification du Fils comme Fils c'est la glorification du Père puisque s'il y a fils, il y a père. C'est pourquoi je traduis toujours : « Glorifie ton Fils, ce qui est que le Fils te glorifie ». Ce n'est pas bien élégant, mais il vaut mieux une inélégance qu'une erreur grossière. Et ce n'est pas fini : « Glorifie ton Fils… 2selon que tu lui as donné l'exousia (d'être l'accomplissement) de la totalité de l'humanité – le Fils n'a jamais cessé d'avoir la gloire auprès du Père, mais il demande à être glorifié en tant qu'il a en lui la totalité de l'humanité – afin que tous ceux que tu lui as donnés, il leur donne vie éternelle (avec un accusatif) », autrement dit : "à tous ceux que tu lui as donnés, il donne vie éternelle", on laisse tomber le "afin que". Et il poursuit : « 3Et c'est ceci, la vie éternelle, qu'ils te connaissent ». Dans le grec, il y a un hina : "afin qu'ils te connaissent". Nous avons là un exemple majeur où le hina n'est pas final.

De même, ce que nous entendons comme conditionnel ne vaut pas. Je peux vous le montrer dans la première lettre de Jean. A la fin du chapitre 4, nous avons : « 20Si quelqu'un dit qu'il aime Dieu et qu'il n'aime pas son frère, c'est un menteur.» Et l'inverse est dit ensuite, au début du chapitre 5 : « 2Nous savons que nous aimons les enfants de Dieu (nos frères) quand nous aimons Dieu. » Si le conditionnel et le conséquent sont réversibles, c'est que l'un n'est pas la condition de l'autre.

J'ai voulu faire ici une première justification qui n'est pas tout à fait suffisante – mais, suffisante pour nous –, pour nous inviter à être prudents.

Conclusion.

Il s'ensuit de tout cela :

– que nous corrigeons notre première impression de la tonalité qui n'est pas menaçante, mais au contraire révèle qu'entendre la Résurrection, c'est entrer déjà dans le Royaume, c'est déjà y vivre. La tonalité est une bonne tonalité.

– nous avons corrigé notre interprétation du tenant en montrant en quoi les deux parties du verset 5 constituaient un hendiadys de propositions,

– et nous avions corrigé notre première interprétation de la teneur (il s'agit du baptême) par l'hendiadys des mots eau et pneuma.

Donc, ni du point de vue de la teneur, ni du point de vue du tenant, ni du point de vue de la tonalité, nous n'en sommes restés à notre lecture initiale, quand nous étions tentés d'entendre d'après la tonalité de notre peur, dans le tenant de notre grammaire et dans la teneur des mots dont nous usons habituellement.

 

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